Laura Gemser: Eternelle Emanuelle
S'il est une actrice qui représente plus que n'importe qui d'autre d'une part un certain type de cinéma Bis et d'autre part symbolise plus que n'importe quelle autre de ses consoeurs la beauté et l'exotisme jusqu'à être élevée au rang de véritable déesse, c'est bien cette généreuse actrice à la peau sombre. Connue à travers le monde entier pour avoir incarné la plus fameuse des reporters elle restera à jamais notre Black Emanuelle, un personnage qui aujourd'hui encore demeure un des piliers incontournables du cinéma de genre. Belle, sensuelle, quasi divine, mutine à la chevelure de jade, voici l'étonnant parcours d'une mythe, une star qui sut rester simple, celui de l'inoubliable Laura Gemser.
De son vrai nom Laurette Marcia Gemser, Laura est née le 5 octobre 1950 à Java en Indonésie. Rien au départ ne prédestinait cette resplendissante créature à devenir actrice. Elle commença par être modèle et posa nue pour des magazines dits pour adultes tels que Lui ou Playman. Ce sont ces photos qui vont la faire remarquer en 1975. Le réalisateur Pier Ludovico Pavoni la contacte pour qu'elle soit l'héroïne de son film Amore libero-Free love. Sans trop savoir ce qui l'attendait, Laura quitte les Seychelles pour l'Italie et se retrouve sur le set de tournage, un tournage dont elle gardera un excellent souvenir tant sur l'accueil que sur le plateau lui même.
Tout va alors très vite s'enchainer et il ne se passe guère de temps avant qu'elle n'apparaisse dans Emanuelle 2 de Francis Giacobetti dans le rôle assez court d'une masseuse. Cette même année elle travaille avec Just Jaekin sur son film Collection privée.
C'est Bitto Albertini qui le premier lui mettra le pied à l'étrier en la faisant endosser la peau d'un des plus célèbres personnages du cinéma érotique italien, celui qui lui apportera la renommée internationale et qui ne fera plus qu'un avec elle durant plus de dix années, Black Emanuelle, la jeune journaliste-reporter. Elle tourne en effet au Kenya Emanuelle en Afrique / Emanuella nera avec Angelo Infati qui restera un de ses proches amis, Karin Schubert qu'elle retrouvera pour Emanuelle autour du monde et Gabriele Tinti. Si Laura a une affection toute particulière pour ce film c'est, outre les paysages fabuleux qu'ils sillonnèrent, le film durant lequel elle rencontra Gabriele qui allait devenir l'homme de sa vie. Elle s'installe définitivement à Rome pour être à ses cotés et ne quittera plus l'Italie.
En 1976 elle fait la connaissance de Joe D'Amato et une réelle amitié va très vite naitre entre eux. Le premier film qu'elle tourne pour lui sera Voto di Castità / Voeu de chasteté avec Enzo Colajacono et Jacques Dufhilo où elle est une jeune servante au service d'une famille tous plus pervers les uns que les autres.
Cette même année elle tourne en Thaïlande le premier Emanuelle de D'Amato, Emanuelle: Orient reportage / Black Emanuelle en Orient avec son ami Ivan Rassimov et surtout Gabriele Tinti dont elle va tomber amoureuse. La machine est alors lancée et la série des Black Emanuelle va prendre son envol.Elle tourne ensuite un des plus célèbres opus de la série, Emanuelle en Amérique / Emanuelle in America avec Paola Senatore, Lorraine De Selle et toujours Gabriele Tinti qu'elle épousera à New York à la fin du tournage. A partir de ce jour, Gabriele apparaitra dans chacun des films que tournera Laura, inséparables à la vie comme à l'écran. Pour des raisons de droits, Emanuelle s'écrira désormais avec un seul "m" et l'adjectif Black sera assez vite abandonné. Laura deviendra alors et à tout jamais Emanuelle.
Le succès de ces films Laura l'explique d'une part par le fait que Emanuelle était noire, objet de curiosité pour le public qui y voyait là la touche d'exotisme qu'il cherchait en vain chez le personnage de Sylvia Kristel. D'autre part, le cinéma érotique était alors en pleine expansion et cette touche d'exotisme lui apportait énormément, les lieux et pays de tournage offraient aux spectateurs le rêve et la magie.
Elle endossera en 76 deux autres fois la peau de la charmante journaliste à la peau d'ébène pour le célèbre réalisateur. Laura se sentait en totale harmonie avec lui, comme protégée et en sécurité. Il lui était ainsi facile de tourner tout ce qu'il désirait en complète harmonie même si avoue t-elle les scènes d'amour ne sont jamais faciles surtout au début. Mais au bout d'un moment cela devient une habitude. Si les amours hétérosexuelles ne sont déjà pas faciles à tourner, les scènes saphiques le sont encore moins. C'est toujours un grand moment d'embarras qu'on oublie en fermant les yeux avant de se lancer, ajoutait elle. Et Laura confesse en riant qu'elle a du tenir dans ses bras et fait l'amour à la plupart des actrices d'alors tout comme elle n'a jamais passé autant de temps à se laver que dans ce type de films.
Laura enchaine ensuite sur Eva Nera / La possédée du vice tourné cette fois à Hong-Kong avec Jack Palance dont elle garde un souvenir amer dû à son antipathie.
Dés lors, le nom d'Emanuelle sera instantanément associé aux films que Laura fera même si elle n'y est pas la célèbre journaliste, attrait tout particulièrement commercial vu le succès triomphal des Emanuelle. C'est le cas du film de Enzo D'Ambrosio, premier d'une longue liste où le fameux prénom sera galvaudé, où elle interprète une sensuelle et désirable indigène qui enflamme un jeune naufragé sur La spiaggia del desiderio / Emanuelle on taboo island.
Elle retrouve son personnage fétiche sous la direction de Brunello Rondi avec Emanuelle in Egypt / Velluto nero, histoire morbide mêlant la beauté des paysages d'Egypte à un érotisme parfois sulfureux qui n'hésite pas à flirter avec la nécrophilie. Laura y a pour partenaire la magnifique Annie Belle et Susan Scott. Le tournage fut pour Laura épuisant puisqu'elle tournait en même temps Emanuelle Orient reportage et devait sans cesse faire des allers-retours entre l'Egypte et la Thaïlande tant et si bien qu'elle finit le tournage totalement épuisée. L'année 1977 sera tout aussi chargée. Elle allait retrouver Joe D'Amato pour deux nouvelles aventures d'Emanuelle.
C'est tout d'abord Emanuelle e gli ultimi cannibali où pour la première fois l'érotisme se mêle au film d'horreur et au gore. Emanuelle se retrouve cette fois prisonnière d'une tribu primitive dans la forêt amazonienne.
Vient ensuite l'excellent Emanuelle perché violenza alle donne / Emanuelle autour du monde où comme son titre l'indique Laura nous invite à un tour du monde pour ce nouvel épisode des aventures de notre reporter de charme en compagnie entre autre de Ivan Rassimov.
Laura retrouve Monica Zanchi, sa partenaire de Emanuelle e gli ultimi cannibali, pour Suor Emanuelle / Emanuelle et les collégiennes sous la houlette de Giuseppe Vari. Cette fois, Laura joue le rôle d'une soeur devant s'occuper de l'impétueuse et insolente Monica qui lui donnera bien du film à retordre. Si Laura se souvient tout particulièrement de cet épisode, c'est que pour la première fois elle dut assister à une scène d'amour plutôt torride entre Gabriele et Monica alors qu'il était convenu que si l'un devait tourner ce genre de scène l'autre ne serait pas présent sur le plateau. Mais cette fois, le scénario exigeait la présence de Laura.
La belle javanaise terminera l'année en étant l'hôtesse des deux mondos que tourna Bruno Mattei Le notti porno del mondo et sa séquelle Emanuelle e le notti porno nel mondo. Si Mattei réalisa les films, c'est Joe D'Amato en accord avec Mattei qui filma les séquences où apparait Laura car personne d'autre mieux que lui ne pouvait la mettre en valeur.
A son grand étonnement elle sera aussi en cette fin d'année l'héroïne aux cotés de Orson Welles l viaggio dei dannati de Stuart Rosenberg.
1978 sera une année tout aussi riche. Elle reprend pour D'Amato son rôle fétiche d'Emanuelle pour Via della prostituzione / Emanuelle et les filles de Mme Claude. Elle sera ensuite une jeune doctoresse qui enflamme tout un village dans la très mauvaise sexy comédie paysanne de Mario Bianchi L'infermiera di campagna / Emanuelle goes in the country. On la verra ensuite dans Voglia di donna / Chevauchées érotiques de Franco Bottari.
Elle est ensuite l'héroïne d'une nouvelle aventure exotico-érotique dont elle a le secret, La donna della calda terra / Le tropique du désir de Maria José Forque dont elle partage l'affiche avec Stuart Whitman.
Elle garde de Stuart un souvenir amusé, un grand séducteur qui s'était amouraché d'elle, ce qui rendit Gabriele Tinti fou de jalousie tant et si bien qu'elle dut tenir Stuart à l'écart d'elle le plus souvent possible.
Elle retrouve son fidèle Joe D'Amato en 1979 pour deux films. C'est d'abord le célèbre Le notti erotiche dei morti viventi / la nuit fantastique des morts-vivants. S'il est classé X, Laura se contente de torrides scènes érotiques dont une avec George Eastman qui fut un de ses proches amis. Suivra une des premières exotico-polissoneries de Joe tournée aux Caraïbes Porn esotic Love / Exotic love.
Elle fait un détour par l'Espagne avec l'amusant Malizia erotica / L'infirmière a le feu aux fesses de José Larraz. Elle entame les années 80 avec une production allemande lesoporifique Love camp / Divine Emanuelle de Christian Anders puis tourne pour le français Sergio Gobbi l'intéressant International prostitution et se retrouve enfin au générique de Follia omicidia / Murder obsession de Riccardo Freda, un giallo qui tente de marier en vain le slasher au cinéma gothique d'antan. Laura, simple figurante, y apparait nue lors de quelques brèves séquences avant de se faire tuer.
En 1982, elle retrouve Joe D'Amato pour Ator dans lequel elle est une bien vilaine sorcière n'ayant aucune scène de nu cette fois pour le malheur de ses admirateurs.
Mais ceux ci se rattraperont avec le mauvais rape and revenge La belva dalla calda pelle/ Les 7 salopards de Bruno Fontana où elle apparait le plus souvent en tenue d'Eve et surtout la version de Caligula de Joe D'Amato Caligola la storia mai raccontata avec David Brandon. Laura garde d'ailleurs un très mauvais souvenir tant du tournage du film que de son partenaire. On la retrouve ensuite dans deux aventures exotiques, l'ennuyeux Safari cannibal / Les aventuriers de l'or perdu de Allan Birkinshaw tourné aux Philippines avec de nouveau Stuart Whitman et l'autre, plus mouvementée mais également ennuyeux qui conte l'histoire vraie d'un journaliste espion américain et d'une jeune autochtone durant la prise du Laos par les communistes, Les évadés du triangle d'or de Hall Bartlett, avec Michael Landon. Elle ne garde de ce film qu'un souvenir mitigé.
En 1983 Laura retrouve pour l'ultime fois après quelques années d'abandon son personnage fétiche d'Emanuelle pour deux nouvelles aventures qui cette fois se réclament d'un genre qu'elle n'avait pas encore testé, le WIP. Il s'agit de Violenza in un carcere femminile / Pénitentier de femmes de Bruno Mattei avec Franca Stoppi et Lorraine De Selle et Blade violent / Révolte au penitencier des filles de son compère Claudio Fragasso avec le même casting, les films ayant été tournés simultanément. Laura se souvient surtout de sa mauvaise relation avec Lorraine De Selle dont elle n'appréciait guère le coté vaniteux. Laura résume cela par cette pique: Quand on joue des films de merde, on ne se prend pas pour une actrice shakespearienne.
Joe D'Amato ne l'oublie pas et on la retrouve avec Lilli Carati et Annie Belle dans le torride L'Alcova / La retape où dans les années 40, elle est une jeune servante de couleur qui va faire chavirer Lilli et Annie, attisant leur jalousie, nous offrant une fois de plus de superbes et très sulfureuses scènes d'amours tout comme dans Il piacere / La femme pervertie. Déchainements pervers de Manuela n'est quant à lui qu'un assemblage de plusieurs de ses films.
Elle donne dans le post nuke avec Le gladiateur du futur toujours de D'Amato où elle apparait comme souvent à cette époque sous le pseudonyme de Moira Chen. Les producteurs ne voulant pas que certains films soient associés à des oeuvres érotiques de par la présence de son nom au générique, elle dut avoir recours à ce pseudonyme asiatique avoue t-elle depuis le tournage des Evadés du triangle d'or.
Les années 80 s'achèvent doucement. Laura continue de beaucoup tourner pour D'Amato. Elle est le temps de quelques scènes seulement dans Voglia di guardare, Delizia, 11 giorni 11 notti et sa séquelle Top model dans lesquels elle arbore une coupe courte ou encore Blue angel café en 1987 tout en faisant une parenthèse chez son grand ami Mario Bianchi pour Riflessi di luce avec Pamela Prati.
Toujours aussi séduisante à l'aube de la quarantaine, elle entame alors la dernière partie de sa carrière mais aussi la plus douloureuse. Si elle ne tourne quasiment plus que pour D'Amato, on la voit furtivement dans Pomeriggio caldo / 11 giorni 11 notti 3, Una tenera storia, Deep blood (un simple caméo non crédité) ou Passion's flower, elle aime désormais se consacrer aux costumes et devient une des costumières attitrées de Joe pour qui elle crée ses modèles. Laura avait toujours caresser cette idée et Joe, ravi, lui offrit la possibilité de mettre ses talents de créatrice en pratique. La première fois ce fut pour son film Dirty love.
C'est en 1991 qu'elle tourna ses deux derniers films Wall street woman et Sul filo del rasoio lorsqu'un drame terrible s'abattit sur elle. Gabriele, l'homme tant aimé, s'éteint, emporté par un cancer le 11 novembre de cette année. Effondrée, la vie de Laura s'arrêta. Elle lui fut impossible de continuer ce métier pour lequel elle ne s'était jamais réellement sentie faite, un métier qu'elle n'avait jamais réellement souhaité. Malgré les bons moments, les voyages, les amis, seul Gabriele et leur amour lui donnait l'envie de continuer toujours et encore. Parti, Laura préféra se retirer définitivement du monde du show bizz.
Retranchée dans un premier temps dans sa petite maison à Rome, tranquille et sereine demeure où elle vit avec ses chats et les quelques amis qu'elle a gardé, Laura se coupa à jamais de cet univers, refusant toute interview. Elle se consacra à une toute autre occupation, celle de l'artisanat, fabriquant de petits objets en matières recyclées qu'elle vend sur les marchés romains. Puis notre éternelle Emanuelle quitta Rome pour se réfugier quelque part dans les montagnes des Abbruzzes où aujourd'hui elle vit d'une autre passion, l'agriculture.
Si Laura ne renie en rien ni son extraordinaire parcours ni cette carrière qui lui apporta la gloire mondiale et la reconnaissance éternelle du public, son public, si elle parle avec bonheur de ces années et des merveilleux moments vécus, tout cela appartient cependant à un passé aujourd'hui révolu qu'elle n'a pas choisi à l'époque mais qui la suivra jusqu'à son ultime souffle.
Aujourd'hui septuagénaire, Laura a gardé son port altier et cette beauté ravageuse que le temps n'a en rien ravagé mais elle a gardé avant tout cette simplicité et cette générosité qui l'ont toujours caractérisé. Si elle a décidé de rester loin, très loin des feux de la rampe, elle restera néanmoins à jamais dans le coeur de ses fans, éblouissante, symbole de l'exotisme et d'un certain cinéma sur lequel elle a su régner telle une déesse. Et c'est bien connu les déesses sont éternelles. Laura en est la preuve vivante!