Velluto nero
Autres titres: Vicieuse et manuelle / Vicieuse Emanuelle / Emanuelle in Egypt / Black Emanuelle, White Emanuelle / Black velvet white silk / Emanuelle viciosa / Smooth velvet raw silk
Réal: Brunello Rondi
Année: 1976
Origine: Italie
Genre: Erotique
Durée: 95mn
Acteurs: Laura Gemser, Annie Belle, Al Cliver, Susan Scott, Ziggi Zanger, Theodore Chaliapin, Mimsy Bouchet, Tarik Ali...
Résumé: Emanuelle, jeune et belle modèle, part en Egypte afin d'y faire une série de photos sous l'égide d'un photographe sadique fasciné par la mort. Il veut sublimer cette dernière à travers la jeune femme. Emanuelle rencontre la jeune Pia et sa soeur Magda, les deux filles de Crista, une somptueuse quadragénaire. Mère et filles partagent un jeune amant, Ali, le serviteur arabe muet. Elle fait aussi la connaissance d'un vieil et étrange homosexuel aux tendances pédophiles. Plus le séjour avance plus un climat de mort entoure Emanuelle alors que son photographe passe son temps à l'humilier et exiger d'elle de poser pour des clichés particulièrement macabres...
Après Bitto Albertini qui créa le personnage de Black Emmanuelle en 1975, (Black Emanuelle en Afrique, Emanuelle nera 2) et Joe D'Amato qui lui donna ses lettres de noblesse (Black Emanuelle en Amérique, Black Emanuelle en Orient, Black Emanuelle autour du monde) c'est au tour de Brunello Rondi connu pour ses collaborations avec Fellini et Rosselini de prendre cette fois les commandes de ce nouvel épisode de la longue série des Black Emanuelle toujours incarnée par la divine Laura Gemser. Elle interprète cette fois une jeune modèle qui part en Egypte faire une série de photos pour un photographe fasciné par la mort et la décomposition.
Ce qui séduit d'emblée dans Velluto nero, retitré de façon fort drôle (mais totalement maladroite et absurde vu le sujet du film) Vicieuse et manuelle pour sa brève sortie en France, c'est la beauté des décors naturels. Rondi nous fait visiter une Egypte de rêve dont il sublimine la somptuosité par une exceptionnelle photographie. Il nous entraine dans ces étendues de sable doré, nous promène à travers de vieilles cités de pierres et des jardins tropicaux magnifiques. Le spectateur à cette merveilleuse sensation de flotter comme dans un rêve aidé en cela par une partition musicale signée Alberto Baldan Bembo, étrange, envoûtante qui renforce cette impression d'irréalité.
Cette beauté contraste fortement avec la morbidité du récit. Velluto nero est une sorte d'ode à la nécrophilie, à la décomposition et à la mort présente tout au long du récit. Carlo, photographe sadique et nécrophile, exige de sa jeune modèle qu'elle magnifie la mort en la photographiant au milieu de cadavres et autres carcasses animales. Cela donne l'occasion à Rondi de nous offrir quelques séquences nauséabondes comme celle où Emanuelle pose au milieu du désert prés du corps décomposé d'une chèvre ou celle où elle doit s'installer sur un bûcher recouvert de cendres funéraires avant de poser contre son gré sur un charnier d'enfants berbères que la caméra dévoile dans ses plus terribles détails.
Brunello Rondi nous présente la mort comme dans une sorte de poème à travers duquel il montre ce qu'elle a de plus effroyable mais également de fascinant. Elle en devient presque belle dans toute son horreur. Ce parallèle entre la beauté et l'horreur, entre la vie et la mort, est omniprésent tout au long du film. Coincée dans ce décor de rêve où paradoxalement règne la décrépitude, Emanuelle tout en robe blanche diaphane est une sorte d'oiseau qui symbolise alors la vie. Elle est la beauté immaculée face à la laideur de la mort et de la pourriture. D'un autre coté, Emanuelle personnifie la mort et la putrescence auxquelles Carlo ne cesse de la comparer. Lors d'une séance d'initiation rituelle, elle deviendra celle qui détient le pouvoir de donner la mort, qui en absorbe le liquide vital. Elle tue ainsi de façon symbolique Carlo et se libère de son emprise. "Tu n'es personne, tu n'es rien, tu es de la merde, tu es vivante mais déjà morte" ne cessera t-il de répéter, trahi, désormais seul. Carlo ne cesse de se référer à la merde, symbole de négation, de déchet. Si elle est l'ultime étape avant l'annihilation de toute vie elle est aussi la vision qu'à notre société occidentale des pays orientaux, africains et asiatiques, dominés par la maladie et la mort où la sexualité y est souvent excessive et les rites bestiaux.
Le regard d'Emanuelle est ici celui de l'européen. Elle n'est d'ailleurs plus la photographe qui hier montrait. Elle est désormais celle qui voit. Plus que jamais la caméra est montrée à travers ses humiliations comme un terrible outil de sadisme et d'oppression. C'est l'occident écrasant l'orient. L'ouverture avec ses relents coloniaux en est la parfaite démonstration. Alors que des bédouins prient devant des temples, un religieux arabe se prosterne devant la caméra au moment même où le nom de Rondi apparait dans les crédits. C'est là le symbole de la servitude dont ces civilisations sont soumises face à la technologie et l'idéologie occidentale. On retrouve également cet aspect quand la mère de Magda ordonne à son serviteur arabe de la séduire. Il sera alors sexuellement humilié par sa fille. C'est l'évidente domination de l'Homme blanc sur l'étranger désormais son esclave. C'est à travers le personnage de Hal, un vieil homosexuel qui se cherche à travers l'Islam, que cet aspect prend toute sa dimension. Il profite de cette quête intérieure pour assouvir ses propres instincts pédophiles sur des autochtones pré-pubères, asservis, soumis à ses désirs.
Contrairement aux autres volets de la longue saga des Black Emmanuelle l'érotisme certes omniprésent demeure cette fois assez léger même si Rondi nous offre quelques très belles séquences de sexe hétérosexuel mais aussi saphique entre la toujours flamboyante Laura Gemser qui nous offre une fois encore une panoplie de nus époustouflants, Annie Belle, irradiante, plus androgyne que jamais sous le soleil égyptien avec ses cheveux couleur neige coupés très courts qui tranchent avec l'or du sable, l'éphémère starlette helvète Zigi Zanger qui trouve ici le meilleur rôle de sa courte carrière et l'incandescente Susan Scott dont on n'oubliera pas la fellation qu'elle fait à Al Cliver en plein désert avant de se délecter de son sperme maculant son visage. On gardera également en tête également l'envoûtante cérémonie rituelle où le vieil Hal sodomise le jeune Antonio sous les vocalises castrates et féeriques d'un autochtone pré-adolescent, un pur moment de bonheur visuel dont la puissance érotique n'a d'égal que la magie des choeurs.
Même si Velluto nero souffre d'un scénario parfois chaotique Brunello Rondi toujours aussi professionnel et méticuleux a réalisé un film où plane l'ombre du colonialisme, une oeuvre érotique forte qui offre une vision par moment abjecte du monde oriental et de ses moeurs. A travers des thèmes aussi disparates que la recherche de soi-même à travers l'Islam, l'humiliation, la pédophilie, Velluto nero est surtout et avant tout une peinture souvent radicale de l'Orient et de la sexualité exotique à travers le regard des occidentaux que nous sommes mais d'un point de vue totalement (s)exploitatif ici. Est-ce un mal?
Quoiqu'il en soit Vicieuse et manuelle est très certainement un des meilleurs film de la série des Black Emmanuelle, si ce n'est le meilleur.