Al Cliver: Un si sympathique bourru
Il fait irrémédiablement partie des gueules du cinéma de genre transalpin dont il toucha à tous les styles. Du western à l'érotisme en passant par l'horreur et le polar, il y traina sa carrure et sa nonchalance légendaire pendant presque quinze années avant de devenir l'un des acteurs fétiches de Lucio Fulci. C'est sous son pseudonyme anglais qu'il allait devenir célèbre tant pour ses rôles dans un métier qu'il n'avait pas particulièrement choisi au départ que pour ses déboires personnels. Il était impossible que le Maniaco ne lui consacre pas une rétrospective puisque son nom, Al Cliver, est à jamais gravé sur le parvis de la grande cathédrale du cinéma Bis transalpin.
Si Al Cliver de son vrai nom Pier Luigi Conti est né en 1951 en Egypte, plus précisément à Alexandrie, il va dés l'âge de quatre ans, suite au coup d'état de Nasser, retrouver le pays d'où sont originaires ses grands-parents l'Italie. C'est à Rome que sa famille s'installe. S'il y suit le parcours normal de n'importe quel petit garçon c'est à la fin de l'adolescence que son destin va prendre un tournant inattendu. Pier Luigi rêve de liberté, d'évasion et n'aime guère l'autorité. Il fait ses valises et quitte le foyer familial pour mener une vie de Bohême alors que le mouvement hippie commence à poindre son nez. Pier Luigi vivra pleinement parfois dangereusement cette nouvelle vie. Grand, blond, des faux airs de Terence Hill, un des sex-symbol d'alors, Al ne passe cependant pas inaperçu. C'est très vite qu'une agence de mannequins le repère. Il commence à poser pour quelques revues. Le cinéma ne tardera pas à lui faire de l'oeil. C'est en tant que simple figurant qu'il fait ses débuts au grand écran. Il tourne son premier film en 1968, un sex mondo signé Sergio Bergonzelli intitulé Le 10 meraviglie dell'amore / Tout le monde est sexy tout le monde est cochon puis il fait de très brèves apparitions souvent non créditées notamment dans Les Damnés de Lucchino Visconti.
Sa carrière commence véritablement en 1974 lorsqu'il endosse la défroque d'un jeune et machiavélique séminariste atteint d'aphasie pour l'anticlérical Il saprofita / Le profiteur de Sergio Nasca avec Janet Agren. Ce film lui vaudra d'être nominé Meilleure révélation italienne de l'année. Tout va alors très vite pour Pier Luigi que tout le monde connaitra désormais sous le nom de Al Cliver.
En 1975, il est au générique de La fine dell'innocenza de Massimo Dallamano qu'il tourne à Hong-kong. C'est sur ce tournage qu'il va rencontrer Annie Belle, jeune starlette dont c'était le premier vrai film et qui très vite allait devenir une des valeurs sûres de l'érotisme italien. Va naitre entre eux une belle histoire d'amour qui pour Pier se terminerait forcément à la fin du tournage. Mais le destin allait en décider autrement.
Cette même année, Pier tourne aux Philippines Laure de Emanuelle Arsan avec pour partenaire Linda Lovelace. Mais Linda ayant d'autres engagement doit refuser le rôle et Annie Belle lui succède. Les deux acteurs se retrouvent donc et c'est à cet instant que va réellement commencer leur romance, une romance passionnée, torride et destructive. A la fin
du tournage, ils décident de vivre ensemble à Rome. Leur amour se traduira souvent à l'écran par de fulgurantes étreintes qu'Annie n'a aucune honte à décrire comme réelles. Mais au délà l'amour le couple va surtout connaitre de graves crises, allant de déchirements en déchirements, passant leur temps à s'aboyer l'un sur l'autre parfois violemment.
En 1976, ils tournent encore une fois ensemble pour Brunello Rondi cette fois Velluto nero / Vicieuse et manuelle avec Laura Gemser qui se souvient que hors caméra leurs disputes étaient insupportables. L'alcool en est une des raisons. Al Cliver est alcoolique et son penchant pour la bouteille ne cesse de croitre. Il y entraine Annie qui à cette époque doute de plus en plus de sa carrière, cherchant à s'évader de ce filon érotique dans lequel elle s'enfonce. Leur passion durera trois années et Annie sans rien dire quittera Al un soir d'hiver.
Al, quant à lui, continue de tourner et touche à tous les genres. Toujours dans le domaine de l'érotisme, on le voit dans le sulfureux Ondata di piacere de Ruggero Deodato avec Silvia Dioniso et John Steiner et Amore grande amore libero de Luigi Perelli, le dramatique et cruel western Una donna chiamata Apache de Giorgio Mariuzzi dans lequel il est pour l'unique fois de sa carrière le protagoniste principal. Il est à l'affiche de quelques polars urbains tels que le ridicule Provincia violenta de Mario Bianchi, Mister Scarface / I padroni della città de Fernando Di Leo avec Jack Palance dans lequel il tient le second rôle et Milano... difendersi o morire / La fleur qui tue de Gianni Martucci avec Marc Porel. Il enchaîne ensuite sur des films de commande pas toujours glorieux comme le violentissime et complaisant polar No alla violenza de Tano Cimarosa dans lequel il endosse la peau d'un inspecteur qui n'a rien à envier à Maurizio Merli.
Al ne prend guère sa carrière au sérieux, une carrière qu'il n'a pas choisi mais qui s'est imposée à lui. Pour lui, le cinéma n'est qu'une agréable distraction qui lui permet surtout de voyager et de rencontrer de bien jolies filles avec qui il peut s'amuser.
En 1979 il fait la connaissance de Lucio Fulci pour qui il accepte d'être un des protagonistes de L'enfer des zombis. Coup de foudre sur le tournage. Lucio et lui deviendront amis. Dés lors l'acteur tournera souvent pour le Maestro. Il sera entre autres à l'affiche du Chat noir, de L'Au delà et de Murderock.
Cette même année il revient à l'érotisme avec Chaleurs exotiques / Sesso profondo de Marino Girolami, une petite polissonnerie exotico-érotique avec Stefania D'Amario dissimulée sous le pseudonyme de Evelyn Barrett. Toujours dans le domaine exotique, il apparait hirsute en aventurier alcoolique dans un de ses plus mauvais rôles, celui qu'il tient en 1980 dans l'inénarrable Mondo cannibale de Jesus Franco tourné en Espagne pour la firme Eurociné avec Sabrina Siani. Simultanément à ce film Jesus Franco tourne Chasseurs de l'enfer / Chasseurs d'hommes où Al y reprend son personnage d'aventurier perdu cette fois sur une île peuplée de primitifs.
En 1983, il donne dans un autre genre alors à la mode, le post nuke. Il tourne pour Joe D'Amato 2020 Texas Gladiator et Le Gladiateur du futur, puis enchaîne dans la foulée avec un rôle secondaire dans 2072 les Mercenaires du Futur de Fulci. Pendant cette période, la vie privée de Pier Luigi est de plus en plus chaotique. L'alcool est toujours pour lui un grave problème, le sexe mais également désormais la drogue. Al va d'excès en excès et sa carrière en pâtit. Il apparait de plus en plus dans des rôles secondaires voire furtifs. C'est ainsi qu'il est au générique de l'excellent I Paladini, storia d'armi e d'amori / Le choix des seigneurs de Giacomo Battiato ou dans le film d’espionnage Notturno de Georgio Bontempi.
A partir de 1984, Al Cliver connaît un passage à vide : il tourne encore deux films érotiques pour Joe D’Amato, La retape / L'alcova et Lussuria où il prouve qu'il n'a rien perdu de ses facultés en chevauchées amoureuses notamment avec Laura Gemser, Lilli Carati et Annie Belle puis le fameux mais semble t-il inédit chez nous Les Mines du Kilimanjaro de Mino Guerrini avec Christopher Connely et Gordon Mitchell.
A la fin des années 80, le cinéma de genre et le cinéma populaire se meurent. La carrière de Al s'effiloche. On le voit encore dans les dernières tentatives de Lucio Fulci auquel il reste fidèle, Les fantômes de Sodome, Quando Alice ruppe lo specchio / Soupçons de mort et La casa nel tempo. Il revient un temps au cinéma érotique en 1987 avec Laura oggetto sessuale. Al mettra définitivement un terme à sa carrière en 1990 après Demonia.
Al Cliver, qui ne s’est jamais pris au sérieux en tant qu'acteur, quitte les plateaux de cinéma. Après avoir suivi une cure de désintoxication, Pier Luigi s'est par la suite consacré à une autre occupation: la menuiserie et la confection d'objets en bois qu'il vendra sur les marchés de Rome, ces marchés sur lesquels il retrouve parfois Laura Gemser avec qui il est resté proche. En 2008 il apprend malheureusement qu'il est atteint d'un cancer de la gorge. Il doit alors suivre un traitement drastique qui lui laissera des séquelles irréversibles. Si par chance son cancer est éradiqué il aura désormais de gros problèmes de voix, murmurant plus qu'il ne parle.
Connu pour son caractère un peu bourru et son coté bougon, Pier Luigi s'est aujourd'hui installé à Bali. Il porte un regard détaché sur son passé d’acteur qui lui a permis de voyager aux quatre coins de la planète et de s'amuser en côtoyant les plus belles actrices d'alors, une bien belle histoire qu'il a raconté dans son autobiographie sortie en 2018, Senza copione. Une sorte de rêve qu'on lui a offert et dont l'acteur qui de temps à autres réapparait lors de conventions ne s'est pas privé de jouir!