George Eastman: Un colosse au coeur d'or
Lorsqu'on évoque le cinéma de genre italien il est des noms qui viennent automatiquement en tête tant ils sont indissociables au genre d'une part et d'autre part tant leur popularité est grande. Cet acteur-scénariste en fait irrémédiablement partie. Grand escogriffe barbu à la force herculéenne, il fut un éternel méchant, touchant à tous les genres, passant allègrement du polar au western, de l'horreur au film d'action et d'aventures sans oublier l'érotisme y compris le plus sulfureux. Fidèle acolyte de Joe D'Amato, il est plus connu sous son pseudonyme anglais que sous son véritable nom, George Eastman alias Luigi Montefiori dont Le Maniaco vous conte sans plus attendre l'itinéraire sans faute.
Le petit Luigi Montefiori voit le jour à Gênes le 16 août 1942. Il commence assez jeune à travailler dans des agences de publicité avant de tenter d'entamer une carrière de graphiste. C'est alors qu'il décide de quitter Gênes pour monter à Rome afin d'y suivre ses études et chercher du travail. Noctambule et plutôt joyeux fêtard, Luigi sort beaucoup et très vite il sympathise avec des professionnels qui remarquent son exceptionnelle carrure et ce visage si particulier. Ces rencontres nocturnes lui mettront le pied à l'étrier et décideront de son avenir.
Grand, robuste et sportif- Luigi est un ancien lutteur- il a les qualités requises pour incarner des rôles de méchants dans des westerns spaghetti, genre qui était alors en plein essor.
C'est ainsi qu'en 1966, à 24 ans, Luigi débute dans le film Mon nom est Pecos / Due once di piombe de Maurizio Lucidi. Dès son deuxième long-métrage, Ultimo Killer de Giuseppe Vari, il change son nom pour un patronyme à consonance anglaise, chose très courante alors. Luigi sera désormais connu sous le pseudonyme de George Histman qu'il transformera définitivement en George Eastman. Physiquement impressionnant et particulièrement charismatique, Luigi va rapidement décrocher des rôles plus importants.
Il est ainsi le protagoniste principal de Django le taciturne / Bill il taciturno de Massimo
Pupillo et enchaine films sur films dont entre autres Preparati la bara / Trinita prépare ton cercueil de Ferdinando Baldi, Niente rose per OSS 117 / Pas de roses pour OSS 117 de Rezo Cerrato, Les Rangers défient les karatékas mais aussi le Satyricon de Fellini en 1969. Luigi touche à tous les genres et il excelle dans les rôles qu'on lui confie. Il va vite devenir le méchant par excellence du cinéma de genre transalpin. On le voit également dans La collina degli Stivali de Giuseppe Colizzi, Vamos a matar de Gino Mangini, Amico stammi lontano almeno un palmo / Méfie toi Ben Charlie veut ta peau de Michele Lupo et même dans une production américaine tirée de l'oeuvre de Jack Landon L'appel de la forêt / Call of the wild de Ken Annakin avec Charlton Heston.
Ceci ne l'empêche pas de jouer parfois des rôles plus gentils. C'est ainsi qu'on le voit en 1972 dans l'excellent Baba Yaga de Corrido Farina avec Caroll Baker et Ely Galleani et en 1976 chose rarissime voire unique dans sa longue et impressionnante carrière en victime dans Emanuelle et Francoise de Joe D'Amato dans lequel il interprète un violeur sadique qui sera à son tour violé par la soeur de sa victime, Rosemarie Lindt, qui en fera son esclave pour mieux le torturer.
Outre ses talents d'acteur, Luigi montre également de réelles capacités d'écriture. Dés 1970 il s'est mis à écrire de nombreux scénarii, une activité à laquelle il s'adonnera totalement après avoir mis fin à sa carrière de comédien. Parmi ses plus fameux, on citera celui de Keoma qu'il vendra à Enzo Castellari.
En 1974, il apparait dans le film maudit de Mario Bava Les Chiens enragés / Cani arrabiati. Luigi y était réellement inquiétant en malfrat mentalement dérangé aux cotés de Lea Lander qu'il oblige à uriner devant lui. Il est également le héros de Pour un dollar d'argent / Sangue di sbirro, un petit polar explosif de Alfonso Brescia tourné à New York dans lequel il donne la réplique à Jack Palance.
Professionnellement, ses contacts se situent surtout dans les milieux du cinéma de genre et d'exploitation alors en plein boom. Luigi va vite devenir non seulement un ami mais surtout un des principaux collaborateurs de Joe D’Amato et acteur régulier de ses films. Dés lors, il lui usine à la chaîne une kyrielle de scénarii dont ceux de Caligula la véritable histoire, Porno Holocaust, 2020 Texas gladiators, l'hallucinant Bestialità, Candido erotico, Il pornoshop sulla 7ma strada, Violez les otages ou encore Alligator de Sergio Martino.
Parallèlement, ses apparitions en tant qu'acteur en font l’un des visages les plus familiers du cinéma Bis transalpin. On le voit en gourou obsédé dans Black Emanuelle autour du monde en 1977, en inquiétant serviteur balafré pour Quella strana voglia d'amare de Mario Imperoli et en 1980 il est l'inoubliable et monstrueux cannibale vérolé de Anthropophagous où il finira par manger ses propres entrailles après avoir dévoré vivant le foetus d'une femme enceinte. Ces deux scènes aujourd'hui connues dans le monde entier et firent jadis la réputation du film. On notera que Luigi fut également scénariste et producteur de ce film, la production se trouvant être une troisième corde à son arc. Il reprendra plus ou moins ce rôle en 1982 dans ce qui se voulut être une fausse suite Horrible / Rosso sangue. Il est cette fois un monstre humain capable de se régénérer faisant vivre une sanglante nuit d'horreur pure à une jeune handicapée, Katya Berger, son frère et leur baby sitter jouée par Annie Belle.
Dés 1980, George Eastman va être plus présent à l’écran que jamais. Généralement promu aux personnages de méchant, il apparait dans quelques fleurons du Bis. On le voit en chef de bande sadique dans Les Guerriers du Bronx de Castellari en 1982, en terrible et vindicatif chef de tribu dans La Guerre du fer de Umberto Lenzi, en exterminateur fanatique et sodomite dans Les Nouveaux barbares de Castellari et en implacable ennemi de Al Civer dans Le gladiateur du futur de D'Amato. Il apparait également dans le rôle de Big ape, le chef des Hommes-singes, dans 2019 après la chute de New York de Sergio Martino. Il est un chasseur impitoyable dans le sous Rambo de Lamberto Bava Blastfighter. Pour Sergio Martino de nouveau, il est un des redoutables adversaires de Daniel Greene dans Atomic Cyborg avec qui il se livre à une partie de bras de fer acharnée. George s'affirme comme l'un des plus solides piliers de ce genre cinématographique. Omniprésent dans la série B italienne du début des années 80, il est aussi au générique de nombreux films érotiques exotiques signés D'Amato. N'ayant point peur de s'afficher dans un certain cinéma érotico-trash aux limites du hardcore, on peut ainsi le voir dans La nuit fantastique des morts vivants où il admire Dirce Funari en pleine masturbation frontale et une jeune autochtone déboucher une bouteille de champagne avec son vagin. Il est un des violeurs de Hard sensation où il force cette même Dirce à se soumettre aux pires humiliations. Il est au générique de Sesso nero et bien sûr de l'incontournable Porno Holocaust. Très drôle, il deviendra pour les amateurs du genre l'homme qui fait l'amour ou viole ses victimes sans jamais défaire son jean.
On notera sa présence en 1985 dans une production plus riche, Le Roi David, récit biblique avec Richard Gere, tourné en partie à Cinecittà. Il y joue le rôle de Goliath. Parallèlement, Luigi poursuit ses activités de scénariste et s’essaie à la mise en scène en collaborant à la réalisation de 2020 Texas gladiators de Joe D'Amato.
C'est à cette époque que Luigi va développer une autre activité plus ludique cette fois, la gastronomie. En bon vivant qu'il est, il ouvre un restaurant dans le centre de Rome.
En 1986, il écrit encore le scénario de Bloody bird pour Michele Soavi qui est un de ses amis.
A la fin des années 80, le cinéma de genre étant moribond, George Eastman se fait plus rare en tant qu'acteur. On le voit dans le giallo de Lamberto Bava Delirium prendre son bain avec la plantureuse Serena Grandi, il apparait sans Les Barbarians de Ruggero Deodato. Il tente alors de se remettre à la mise en scène avec le film d’horreur Metamorphosis / DNA Formula letale mais le producteur qui n'est autre que Joe D’Amato se fera trop envahissant ce qui provoquera une brouille entre les deux ex-acolytes. C'est alors qu'il décide de prendre sa retraite de comédien pour se consacrer uniquement à son travail de scénariste. Il deviendra un auteur assez coté à la télévision italienne pour laquelle il travaillera beaucoup et ne tiendra plus que quelques rôles occasionnels dont le dernier remonte à 2004 pour La rivincita di Natale.
Aujourd'hui Luigi, toujours installé à Rome, est un homme fort occupé de par ses nombreuses activités. Il continue toujours d'écrire de nombreux scénarii, heureux de ce parcours malgré les inévitables erreurs de parcours qu'il juge avec beaucoup de discernement. S'il restera aux yeux du bissophile l'éternel méchant ou même un des monstres du cinéma de genre transalpin, George malgré son coté impressionnant est un des hommes les plus doux et sympathiques qui soit aux dires de ses nombreuses partenaires cinématographiques, un homme à l'appétit d'ogre également, ajoutera malicieusement Laura Gemser qui fut une de ses amies.
Notre boulimie pour nous bissophiles c'est cette filmographie impressionnante qui n'est pas prête de nous laisser sur notre faim. Merci Luigi!