Ruggero Deodato
Ruggero Deodato est certainement un des réalisateurs qui fit le plus parler de lui dans les années 80, gagnant une réputation sulfureuse suite au très controversé Cannibal holocaust. Si son nom restera associé à jamais à ce film brutal, le nom de Deodato restera également associé au cinéma ultra violent puisqu'il fut l'auteur plus ou moins heureux d'un Live like a man, die like a cop, polar prônant l'auto-justice, d'un Dernier monde cannibale, préface à ce que sera Cannibal holocaust et d'un remake de La dernière maison sur la gauche. Plus ou moins heureux car cette réputation d'auteur à scandale à surement desservi sa carrière, beaucoup pensant que le réalisateur n'était l'homme que d'un seul genre de film. Force est de constater que le reste de sa carrière fut plutôt boudée. Redécouvrons donc ensemble la vie d'un cinéaste trop souvent déconsidéré.
Né le 7 mai 1939 à Potenza en Italie, Ruggero Deodato vécut et fit ses études prés de Rome, dans les vertes campagnes environnantes. Déjà adolescent, il avait pour passion le cinéma. sa chance fut d'avoir pour meilleur ami Lorenzo Rosselini, le fils du grand réalisateur Roberto Rosselini. C'est Lorenzo qui le premier va persuader Ruggero de travailler dans cet univers en lui proposant d'assister son père sur ses tournages. C'est pour le jeune garçon sa première approche du septième art et cela lui servira de tremplin pour, dés 1958, travailler pour nombre de grands réalisateurs. C'est ainsi qu'il va assister des metteurs en scène aussi prestigieux que Antonio Margheriti, Riccardo Fredda, Joseph Losey et surtout Sergio Corbucci pour Django en 1966.
Son premier film en tant que réalisateur sera un peplum, une version d'Hercules, Ursus, il terrore dei Kerghisi, un projet de Antonio Margheriti que le cinéaste abandonna à Ruggero qui en terminera le tournage. Ce petit film remportera un succès d'estime permettant au jeune Ruggero de continuer à tourner. Il revient à la réalisation dés 1968 en mettant la boite Gungala la pantera nuda, la séquelle du film de Romano Ferrara Gungala vergine della giunglia . Comme pour Ursus, Gungala n'est pas un projet personnel de Deodato. Lorsque les producteurs limogèrent Ferrara peu satisfaits des premiers rush du film, c'est à Deodato qu'ils demandèrent de reprendre les commandes de ce petit film de jungle qu'on peut donc considéré comme le tout premier film du cinéaste. Il va ensuite adapter pour le grand écran des petites comédies d'aventures tirés de comic books, le peu énergique Fenomenal e il tesoro di Tutankamen et Zenabel. C'est à cette époque qu'il rencontre Silvia Dioniso, actrice en passe de devenir l'une des égéries du cinéma érotique italien, et sans tarder ils se marient. De cette union naîtra le petit Saverio.
Ruggero va par la suite tourner essentiellement pour la télévision italienne et accumulera également un grand nombre de spots publicitaires. Cette période s'étalera jusqu'en 1975 où il réalise Waves of lust / Ondata di piacere avec Al Cliver et Silvia Dioniso. Ce film à l'érotisme exacerbé conte l'histoire d'un couple joué par John Steiner et Elisabeth Turner dont la mariage est basé sur le masochisme, l'humiliation et la violence. Ils rencontrent un jeune couple, les invite à bord de leur bateau où très vite un climat d'érotisme malsain va monter, la haine et la vengeance devenant le moteur du film.
Il s'essaie ensuite au polar avec le controversé Live like a man die like a cop. Réunissant Ray Lovelock et Marc Porel, Deodato nous entraîne dans l'univers de deux jeunes flics ripoux sans foi ni loi qui vont faire leur propre justice afin d'éliminer de la ville vermine et dealers. Prônant l'auto-justice et la violence par la violence, le film fera naître pas mal de remous en Italie par cet ardent sujet.
Alors qu'il divorce d'avec Silvia Dioniso, Ruggero Deodato s'envole avec Lamberto Bava comme assistant pour la Malaisie afin de repérer les lieux de tournage de son prochain film, Le dernier monde monde cannibale, qui sortira en 1976, un avant goût de ce que sera Cannibal holocaust quelques années plus tard. Le dernier monde cannibale est avant tout un film de jungle à l'atmosphère étouffante, véritable plongée au coeur d'un monde primitif quasi préhistorique, plutôt léger niveau gore si on excepte quelques tueries d'animaux et la mort atroce de Me Me Lei en fin de film. Si le film remportera un succès d'estime à sa sortie, il sera surtout redécouvert à la sortie de Cannibal holocaust qui en constitue une suite logique.
En 1979, il met en scène un sympathique film catastrophe, fort bien réussi, qui se veut le concurrent direct de Airport 80 avec Alain Delon, Concorde affaire 79, un genre très en vogue à cette époque. Le film réunit entre autres réunit James Franciscus, Venantino Venantini et la belle Mimsy Farmer.
Puis il part en Colombie pour tourner ce qui restera son chef d'oeuvre, le film qui marquera les annales du cinéma, le fameux Cannibal holocaust qui lors de sa sortie provoquera toute une vague de scandales en Italie et à travers le monde pour sa violence et sa cruauté excessive. Deodato se voit alors cataloguer dans le registre des réalisateurs à scandales, une réputation qu'il confirme avec son film suivant, un ersatz de La dernière maison sur la gauche qu'il intitule ironiquement La maison au fond du parc.Tourné à New York en dix neuf jours, il se voit interdit à son tour dans de nombreux pays pour cause de violence exacerbée. Il est vrai que ce huis clos étouffant baigne sans cesse dans un climat de malaise, de violence gratuite et d'érotisme pervers. David Hess et Giovanni Lombardo-Radice y donnent libre cours à leurs instincts les plus bas lors d'une soirée qui réunit des invités aux noms aussi prestigieux que Lorraine De Selle, Christian Borromeo et Annie Belle. Malheureusement Cannibal holocaust et sa sulfureuse réputation fera de Deodato l'homme d'un seul film. Le public attend désormais de sa part un déluge d'atrocités. Ruggero Deodato ne l'entend point de cette oreille pourtant et les années 80 verront son lent déclin. Il réalise en 1983 Atlantis interceptors / I predatori di Atlantide, un post nuke particulièrement sympathique dont la spécificité est de mettre en vedette le peuple atlante. Puis il va s'atteler à Inferno in diretta / Amazonia, la jungle blanche qui malgré quelques scènes gore comme la massacre sur le bateau qui ouvre le film est loin d'égaler ses oeuvres précédentes. Malgré un casting alléchant et une mise en scène agréable, le film souffre surtout d'une absence de climat qui le rend trop lisse. Suivra The lone runner / Per un pugno di diamanti, ennuyeuse fable avec Miles O'Keefe, tournée au Maroc et destinée à l'origine pour la télévision. Il retrouve le grand public avec son film suivant, The barbarians, véritable délire d'heroic fantasy qui se veut être une sorte de bande dessinée pour grand écran. Il retrouve l'univers de ses débuts mais malgré toute la bonne volonté et le budget conséquent, le film ne rencontrera pas le succès escompté.
Ruggero Deodato va alors se remettre à l'horreur avec ses trois films suivants, le faible et décevant Dial Help / Ragno gelido / Angoisse sur la ligne tout d'abord, sorte de remake de Terreur sur la ligne avec Charlotte Lewis puis Un delitto poco commune / Le tueur de la pleine lune où Michael York, atteint d'un mal étrange qui le dégrade aussi bien physiquement que cérébralement, donne libre cours à ses pulsions meurtrières. S'il s'agit d'un des derniers bons sursauts du réalisateur, le film ni bon ni mauvais se laisse voir sans réel déplaisir mais s'oublie assez vite malgré un casting alléchant regroupant Donald Pleasance, Edwige Fenech et Giovanni Lombardo Radice. Le troisième sera l'ennuyeux Bodycount / Camping del terrore, un splatter movie insipide bien peu imaginatif. Malgré les efforts d'acteurs confirmés tels que David Hess, Mimsy Farmer ou Ivan Rassimov, les dialogues d'une rare ineptie et le choix de jeunes acteurs médiocres font sombrer cette énième mouture de Vendredi 13 dans la plus totale absurdité.
Le réalisateur va par la suite beaucoup travailler pour la télévision. Il réalise quelques séries dont Mom I can do it / Les p'tites canailles et son ultime apparition sur les écrans de cinéma sera en 1993 avec l'étrange The washing machine, film mêlant folie, sordide et érotisme pervers dont la lenteur et la platitude de la mise en scène viennent gâcher le propos au départ déjà fort improbable de ce thriller où un policier doit découvrir qui des trois soeurs névrosées a tué et mis dans une machine à laver l'amant de l'une d'entre elles.
Après ce retour raté, Deodato va travailler exclusivement pour le petit écran tournant téléfilms sur séries dont Noi siami angeli / Sorry we're angels ou Father Hope. Deodato préparerait actuellement un nouveau film en hommage à sa glorieuse période, un projet intitulé Cannibal metropolitana.
Quelque soit son parcours, Ruggero Deodato qui vit aujourd'hui à Rome avec sa femme Micacla Rocco fait partie des grands noms qu'on associera à jamais au cinéma de genre italien. Il émerge de sa filmographie éclectique non seulement des films phares des années 70 mais également des films méritants et méconnus qui devraient être réestimés, permettant ainsi au public de redécouvrir l'oeuvre du réalisateur et agrandir sa place dans le coeur des amoureux de ce cinéma.
Même s'il n'atteint pas la popularité d'un Lucio Fulci ou autre Dario Argento, gageons que Ruggero Deodato aura un jour les honneurs et la reconnaissance qui lui reviennent.