John Steiner: Le plus italien des britanniques
En égrenant la longue liste des films de genre italiens, de nombreux visages reviennent régulièrement au générique d'un grand nombre de pellicules. On les remarque car non seulement ils semblent omniprésents mais également et avant tout car ce sont ce qu'on appelle communément des "gueules", des incontournables qui marquent et retiennent instantanément l'attention du spectateur. Du western au polar en passant par l'aventure, l'exploitation ou bien encore l'horreur, celui dont nous allons parler aujourd'hui a promené sur nos écrans son flegme so british, son élégance de lord anglais pendant plus de vingt ans, enchainant les films comme on enfile des perles. Et perle il fut!
Voici sans plus tarder le parcours du plus italien des anglais, le parcours de l'unique John Steiner.
John Steiner est né le 7 janvier 1941 à Chester dans le conté de Chelsire en Angleterre où il suit une scolarité fort studieuse dans de riches écoles. Il décide de rentrer assez jeune à la prestigieuse Royal Academy of Dramatic Arts pour y faire une formation de comédien classique au bout de laquelle il parvient à décrocher un contrat de trois ans à la Royal Shakespeare Company. Dés lors, John Steiner va apparaitre sur scène et à la télévision dans de petits rôles dont un dans la série Le Saint. On le voit également dans quelques pièces tournées pour la BBC.
Après ces diverses petites apparitions au cinéma, il est à l'affiche en 1967 de Marat-Sade de Peter Brook. Le personnage secondaire qui l'y joue lui vaut d’être remarqué, notamment en Italie où le film remporte un grand succès.
La carrière de John Steiner va alors prendre une tournure radicalement différente. Alors qu'il passe quelques vacances en Italie, il se voit proposer un des rôles principaux de Tepepa: Viva la Revolucion de Giulio Petroni aux cotés de Tomas Milian et Orson Welles. Son physique très british le fera vite remarquer. L'Italie l'adopte alors tant et si bien qu'il va tout naturellement s'y installer.
Bâtissant peu à peu sa réputation de comédien sérieux et professionnel, il se fait une place comme acteur de second plan, notamment dans une poignée de thrillers tels que Nous sommes tous en liberté provisoire de Damiano Damiani, Viol en première page de Marco Bellocchio ou le très beau film de guerre Rappresaglia / Représailles SS. On mentionnera aussi son court mais O combien douloureux rôle dans Une fille nommée Julien où il se fait castrer par Silvia Dioniso en toute fin de bande. On remarque sa prestation aux cotés de Laura Antonelli et Umberto Orsini dans le dramatique Incontro d'amore a Bali de Ugo Liberatore pour qui il avait déjà tourné en 1970 le très beau drame Alba pagana / delitto a Oxford dans lequel il jouait un jeune étudiant anglais ultra conservateur issu d'Oxford.
Lorsque Lucio Fulci lui propose Croc-blanc en 1973, John Steiner est à l'apogée de sa carrière. Son rôle dans cette adaptation du roman de Jack Landon sera le premier d'une longue série, son visage anguleux, sa silhouette sèche en faisant le stéréotype même du vilain à l'écran. Il va devenir le méchant par excellence du cinéma de genre italien.
Il enchaine alors films sur films dont la suite de Croc-blanc, Le retour de Croc-Blanc, toujours mis en scène par Fulci deux ans plus tard. John tourne alors à un rythme stupéfiant. On le voit ainsi entre autres aux cotés de Maurizio Merli dans deux films Rome violente de Marino Girolami et le western Mannaja l’homme à la hache de Sergio Martino, il est un officier SS impressionnant dans Salon Kitty et Les déportées de la section spéciale SS dans lequel il reprend quasiment le même personnage, il incarne un conseiller félon à l'aspect reptilien dans le Caligula de Tinto Brass ou encore il est le mari violent, pervers et psychopathe de Silvia Dioniso dans l'érotico-trash Ondata di piacere de Ruggero Deodato sans oublier son apparition dans le film plutôt médiocre de Peter Sasdy, le très ennuyant I don't want to be born / Evil baby.
A la mort du western spaghetti, John se tourne alors vers d'autres genres. Il se retrouve ainsi au générique de films tels que le giallo de Paola Cavara E tanta paura dans lequel il joue un bourgeois odieux très imbu de lui même, les polizeschi Milano violenta et La malavita attaca la polizia risponde de Mario Caiano ainsi que le seul et unique film de Alberto Marras, un petit polar intitulé L'avvocato della mala / Gangbuster aux cotés de Ray Lovelock et Lilli Carati dans lequel il joue un tueur aussi impassible que glacial.
Ceci ne l'empêche pas d'incarner également des personnages plus sympathiques comme pour Shock de Mario Bava dans lequel il est le mari de Daria Nicolodi ou drôles comme pour la comédie vampirique Il Cav. Costante Nicosia demoniaco ovvero Dracula in Brianza de Lucio Fulci dans lequel il interprète un Dracula homosexuel.
Si John s'amuse beaucoup et que les films s'accumulent, il se sent pourtant quelque peu frustré et déçu de ne jamais avoir de rôles plus importants, de devoir se cantonner dans un cinéma de genre alors qu'il souhaiterait pouvoir enfin jouer dans de grands films. Il est vrai que John n'aura guère eu contrairement à Tomas Milian l'occasion de décrocher un premier rôle à l'écran. Sa carrière est essentiellement axée sur le cinéma de genre où il touche à quasiment tous les styles, films d'action ou d'aventures, horreur, science-fiction, polar, western pour le meilleur et parfois pour le pire.
Au début des années 80 alors que ce cinéma de genre italien est en plein déclin, il se voit offrir le rôle du méchant dans Yor, le chasseur du futur de Antonio Margheriti. C'est un autre personange de méchant qu'il décroche en 1983 dans le thriller Mystère des frères Vanzina.
Il va ensuite apparaitre dans une poignée de films d'action, d'aventures et de guerre. C'est ainsi qu'il enchaîne cinq autres films pour Margheriti, Héros d'apocalypse, Les Aventuriers du cobra d’or, Le temple du Dieu soleil, Commando Léopard et Le triangle de la peur, trois pour Ruggero Deodato, Amazonia, la jungle blanche, l'insipide Lone runner et Bodycount. Il tourne Sinbad of the seven seas pour Castellari et le fameux Ténèbres de Dario Argento dans lequel on retiendra la mort particulièrement spectaculaire de son personnage, la tête fendue par une hache.
L'agonie du cinéma de genre va mettre un gros coup de frein à sa carrière. Lui qui ne cessait de tourner dans les années 70 voit celle ci de plus en plus ralentir. Il apparait encore dans Paprika de Tinto Brass en 1991 et après un dernier rôle pour la télévision cette même année, John Steiner décide de mettre justement un terme à cette carrière.
A tout juste cinquante ans, il quitte l’Italie pour la Californie avec sa famille. Il va alors totalement changer d'orientation. Il entame en effet une carrière dans l’immobilier et le commerce de bijoux.
Très heureux, John ne renie en rien toutes ces années passées à Cinecittà et porte un oeil malicieux à cette étonnante carrière. Il est resté cet homme simple à l'allure so-british qui a fait de lui son succès auprès de ses très nombreux fans qui ne l'ont pas oublié. Il restera pour eux cette gueule du cinéma Bis mais surtout cet acteur si sympathique qu'ils ont tant apprécié.
Ces mêmes fans le pleurent malheureusement aujourd'hui puisque John Steiner nous a quitté le 31 juillet 2022, victime d'un tragique accident de la route survenu à La Quinta, un quartier résidentiel de Californie non loin de Pioneer Park. La voiture de John Steiner s'est faite percutée par un autre véhicule à une intersection. John venait d'avoir 81 ans.