Lucio Fulci: le poète du macabre
S'il est un réalisateur qui aura marqué l'histoire du cinéma d'horreur italien durant les années 70 et surtout 80, c'est bien Lucio Fulci, Il maestro Fulci, auquel aujourd'hui encore toute une foule d'adorateurs d'hier mais aussi d'aujourd'hui voue un véritable culte, considérant son oeuvre comme un élément incontournable du cinéma fantastique italien, une oeuvre souvent imitée mais rarement égalée. Lucio Fulci fut et restera toujours le père spirituel, sorte de muse, de toute une vague de réalisateurs. Son travail quant à lui, d'une particulière richesse, est un des plus, si ce n'est torturé, fabuleux de l'âge d'or du cinéma transalpin.
Qui était donc cet homme réputé plutôt autoritaire à la mine quelque peu rustre et qui a su avec talent rejoindre le panthéon des plus grands réalisateurs transalpins d'alors?
Lucio Fulci est né à Rome le 17 juillet 1927 et se prédestine à la médecine lorsque, si l'on en croit la légende, suite à une déception amoureuse il quitte la faculté où il étudiait pour entrer dans une école d'arts dramatiques et de cinéma. Il y fait la connaissance des oeuvres de Max Ophuls et Marcel l'Herbier mais surtout de son maître, Steno.
A la fin de ses études, il commence par travailler comme assistant scénariste et parfois même comme réalisateur de Steno et Riccardo Freda.
A travers des comédies telles que Un américain à Rome, il fait doucement l'apprentissage du métier et va même diriger des acteurs de grande renommée tel que Toto qu'il engage sur le tournage de son premier film, la comédie I ladri / Les voleurs en 1959. Le film est malheureusement un échec et cela l'écarte pour un moment des studios. Il se rabat donc sur l'écriture et devient l'assistant du célèbre écrivain italien Ugo Pietro Vivarelli tout en écrivant également des paroles pour tubes d'alors. Son talent de parolier va étonnamment le relancer dans le monde du cinéma. On lui confie alors la mise en scène de comédies musicales. On est au début des années 60 et vont donc sortir des oeuvres telles que Ragazzi del Juke box, Urlatori alla barra ou encore Agents secretissimi.
Lucio Fulci est beaucoup plus ambitieux que ça. Il parvient à convaincre ses producteurs de le laisser tourner des choses qui lui sont plus propres, mieux adaptées. C'est ainsi qu'en 1966 il signe son premier western, le fabuleux Tempo di massacra / Le temps du massacre avec Franco Nero et Georges Hilton.
Il retourne à la comédie où il tourne beaucoup entre 1966 et 1969 avec le duo Francho Franchi et Ciccio Ingrassia jusqu'à l'arrivée d'un genre tout à fait nouveau et très prisé du public, le giallo . Il signe alors en 1969 un des premiers fleurons du genre Una sull'altra / Perversion story / La machination avec Jean Sorel que certains verront comme la préface de son futur et excellent Una lucertola con la pelle di donna.
Fulci avoue que tout ses travaux jusqu'alors ne sont qu'en fait les prémices de la réalisation de ce qu'il voudrait être son chef d'oeuvre mais qui sera malheureusement le plus gros échec de sa carrière, le drame historique Beatrice Cenci / Liens d'amour et de sang qui fut son plus gros budget. Réunissant Raymond Pellegrin, Tomas Milian et Adrienne Larussa, le film est très mal accueilli par le public qui le trouve trop élitiste malgré une mise en scène ambitieuse et intelligente, un scénario brillant et particulièrement fort sans oublier une interprétation quasi parfaite. L'église réagit elle assez mal au film et Lucio Fulci se retrouve diabolisé ce qui le blessera énormément. Il en gardera à jamais une profonde amertume envers le monde du cinéma qui selon lui l'a laissé tombé durant cette épreuve.
Loin de vouloir abandonner sa carrière, Lucio Fulci reprend le dessus et comme pour faire la nique à ses détracteurs il va alors s'imposer dans un registre bien particulier, le thriller et le giallo, donnant au public ce qu'il réclame: de l'insoutenable! Fulci aime la provocation et va jouer cette carte sans avoir les foudres de l'église qui lui tombent dessus. Il tourne donc en 1971 Una lucertola con la pelle di donna / Le venin de la peur / Carole / Les salopes vont en enfer avec Florinda Bolkan. Le venin de la peur après de nombreux problèmes de censure en France va alors devenir une référence du genre, brillant par son climat érotique, son aspect à la fois malsain et onirique. C'est peut être à cette époque que le réalisateur va commencer à créer son univers, sa marque de reconnaissance qui le rendront si populaire. C'est ce mélange étonnant d'onirisme et de malsain, cette étrange beauté quasi fascinante qui émanera dés lors de chacun de ses films, comme une obsession presque religieuse.
Il s'offre une parenthèse familiale avec sa version de Croc Blanc en 1972 et sa suite Le retour de Croc Blanc deux plus tard.
On retrouvera son goût pour la provocation, l'érotisme et le malsain avec Non si sevizia un paperino sorti en France sous le ridicule titre de La longue nuit de l'exorcisme, pour mieux surfer sur la vague de succès remporté par L'exorciste même si le magnifique film de Fulci n'a aucun rapport avec l'oeuvre de Friedkin. Traitant d'une affaire de prêtre pédophile qui tue de jeunes enfants dans un petit village, il signe un film à la fois dur et magnifique comportant certaines séquence particulièrement pénibles comme la mise à mort de Florinda Bolkan.
Plus rien n'arrête alors le réalisateur qui ne cesse de tourner. En 1975, il signe le magnifique et crépusculaire western psychédélique Les quatre de L'apocalypse, véritable modèle du genre. Puis après quelques comédies dont La pretora / Juge ou putain avec Edwige Fenech et la truculente parodie vampirique Il Cav. Costante Nicosia demoniaco ovvero Dracula in Brianza il s'adonne en 1977 à la para-psychologie avec l'intimiste et plutôt particulier L'emmurée vivante / Sette note in nero avec Jennifer O'Neill et Marc Porel. Avec ce thriller, Fulci fait son entrée dans le monde de la parapsychologie et revisite à sa façon le Chat noir de Edgar Allan Poe. Juste avant d'entrer dans sa plus grande période, il réalise Luca il contrabbandiere / Luca le contrebandier / La guerre des gangs, un violent polar avec Fabio Testi. qui marie avec adresse le film d'horreur gore et le polizesco tendance noir.
C'est alors qu'arrive la gloire et le statut de réalisateur culte lorsqu'en 1979 fort de l'oeuvre de Romero La nuit des morts vivants, il réalise L'enfer des zombis / zombi 2, premier volet de sa saga consacrée aux zombis. Avec ce film, Fulci va faire le tour du monde et gagner ses galons de réalisateur culte. C'est aussi avec ce film qu'il va atteindre l'apogée de sa carrière et trouver son style définitif, mettant en image la Peur, cette peur viscérale, tétanisante que lui seul a si bien su définir. Il saura la mettre sous forme de poèmes d'une beauté macabre fascinante à travers des images sublimes. Chacun de ses films seront comme une suite de tableaux, véritables chef d'oeuvre imageant les terreurs les plus secrètes et primales de l'être humain en y ajoutant les excès gore indispensables sans oublier ses longs plans récurrents et obsessionnels sur les regards de ses protagonistes. Lucio Fulci aime l'insoutenable et ne reculera devant aucun effet. L'enfer des zombis après dix mois de tournage sort enfin en salle et remporte un succès colossal si bien que le producteur Fabrizio De Angelis lui donne le feu vert pour d'autres productions du genre.
Suivront donc Frayeurs qui n'est autre que la prolongation de son Enfer des zombis, véritable ode à la mort puis L'au delà qui constitue une sorte de catalogue de l'horreur dont le final, sa vision finale inoubliable des Enfers, restera comme une des plus belles séquences jamais tournée.
Il met ensuite en scène La maison prés du cimetière qu'on peut voir comme la conclusion de sa fabuleuse trilogie.
Il se tourne une seconde fois vers l'univers de Poe et donne sa propre version du Chat noir en 1981 puis il tourne son polar horrifique plutôt controversé L'éventreur de New York. Ce sera malheureusement un échec commercial qui mettra en difficulté financière son producteur. La chance tourne pour Fulci qui une fois de plus se voit écarté des grands studios et doit revoir à la baisse ses ambitions. Ses films suivants en pâtiront, le déclin du maître commence alors.
Après un Manhattan baby brouillon et confus mais non dépourvu de qualités et un honorable mais pourtant décrié essai à l'Heroic Fantasy avec Conquest, on aura droit à de pitoyables petites séries telles que le futuriste 2072 mercenaires du futur ou pire Aenigma et Murderock, deux films très faibles où on n'y reconnait même plus la griffe du maître si ce n'est que dans trop rares moments.
Il sortira pourtant en 1987 le trop méconnu Miel du Diable / Plaisirs pervers qui passera malheureusement inaperçu, un beau film sur l'amour, la haine et la folie destructrice. Le cinéma de genre italien est à l'agonie. Cela n'aide pas Fulci qui pourtant reste une légende vivante pour le public qui l'accueille à bras ouvert à chacune de ses apparitions lors des festivals où il se rend régulièrement.
En 1988, il entreprend de tourner un autre volet à sa saga des zombis afin de tenter de retrouver le temps d'un instant la splendeur passée mais malade, Lucio Fulci est obligé d'abandonner le tournage. C'est Bruno Mattei qui malheureusement terminera Zombi 3.
Au début des années 90, il recommence à tourner mais sans succès. Il accumule des oeuvres fades et sans intérêt même si souvent le scénario est plaisant. On a ainsi droit aux catastrophiques Les fantômes de Sodome, Voix profondes et autres Soupçons de mort. On retiendra tout de même l'ironique Un gatto nel cervello où Fulci se met lui même en scène pour mieux se moquer de son travail et surtout ses deux derniers films Demonia et Voix profondes, deux honnêtes films d'horreur malgré leurs défauts. Il travaille aussi pour la télévision. La Reitele lui commande deux téléfilms, le très honorable La casa nel tempo et La dolce casa degli orrori, qui feront partie d'une quadrilogie intitulée "Case maledette". Les deux autres épisodes seront réalisés par Umberto Lenzi.
La santé du réalisateur malheureusement faiblit drastiquement. Le 3 mars 1996 alors qu'il prépare Le masque de cire il décède d'une crise de diabète. Le film sortira tout de même, achevé par Sergio Stivaletti. C'est là un bel hommage au maître qui n'aura pas eu le temps de réussir son come-back.
Lucio Fulci nous a quitté mais son oeuvre, elle, restera à jamais comme l'une des plus importantes dans les annales du monde fantastique. Il aura marqué définitivement de sa patte l'univers fantasticophile et demeurera le maître incontesté du macabre, Il maestro del macabro, poète visionnaire de la Mort qui l'a malheureusement ramené à elle beaucoup trop tôt.