Ajita Wilson: Et elle fut un homme!
Pour beaucoup elle demeure un mystère, une énigme d'autant plus grande qu'il n'existe pratiquement aucun document sur elle, encore moins d'interviews de cette fascinante actrice. Une beauté d'ébène, un corps sculptural, qui mieux que Ajita a su incarner la splendeur exotique et l'érotisme torride en devenant l'une des principales ambassadrices du cinéma de genre transalpin malheureusement et injustement oubliée. Derrière cette image pourtant se cache un étrange et douloureux passé. Car pour ceux qui ne le savent pas encore, avant de devenir la star qu'on connait, Ajita fut... un homme! Même si le cas n'est pas unique dans les annales du cinéma qui ont compté quelques travestis et même transsexuels célèbres, Ajita fut l'un des premiers à connaitre gloire et célébrité notamment dans le monde de l'érotisme. Revenons donc sur le parcours peu ordinaire de cette star pas comme les autres qui nous a malheureusement quitté trop tôt en 1987.
C'est à Brooklyn en 1950 que serait née la future Ajita sous le nom de Georges Wilson, de père américain et d'une mère brésilienne prénommée Magda. On sait peu de choses sur les premières années de cet enfant particulier puisque les infos se contredisent souvent. La vie de Georges qui avait un frère lui aussi gay semble avoir vraiment commencé au début des années 70. Vivant plus ou moins facilement son homosexualité mais de façon plutôt libre dans le ghetto new yorkais, le déjà très efféminé garçon est connu dans les milieux underground où il se produit comme travesti, chanteur et gogo-dancer. Il est alors une figure populaire des clubs branchés mais Georges est bel et bien décidé à franchir l'ultime étape de sa transformation pour devenir cette femme depuis trop longtemps prisonnière de ce corps androgyne. L'aide financière de son fortuné boy-friend d'alors va l'y aider
On est au milieu des années 70, opéré à Casablanca, Georges va devenir l'un des premiers transsexuels. Désormais femme même si taille spectaculaire (1m90) ses mains et une voix grave de marin porto-ricain qu'elle ne contrôle pas toujours trahissent son ex-identité, c'est une deuxième naissance pour le garçon qui s'appellera désormais Ajita. Sa carrière peut alors commencer.
Aussitôt remarquée par des producteurs de films hardcore, Ajita va tourner dans des productions new-yorkaises pour adultes même s'il est aujourd'hui encore difficile de les identifier puisqu'il est pratiquement impossible d'en retrouver trace si ce n'est quelques photos.
Ajita va alors être sollicitée par l'Europe où elle fera l'essentiel de sa carrière et deviendra une des icônes du cinéma d'exploitation italien. Ce corps parfait allait faire chavirer toute une décennie de cinéma érotique softcore et hardcore.
La transformation est parfaite, si parfaite que beaucoup de ses partenaires ne s'apercevront de rien si ce n'est l'exceptionnelle taille de Ajita qui atteignait le mètre quatre-vingt dix. Cette taille exceptionnelle sera souvent sujet d'anecdotes pour ses partenaires féminines sur les tournages.
C'est Cesare Canevari qui sera le premier à la faire tourner. La belle Ajita se retrouve dans La principessa nuda / La princesse nue / Parties déchainées aux cotés de Tina Aumont et Luigi Pistilli où elle interprète la princesse Myriam, haute dignitaire africaine qui débarque à Milan pour affaires. Hantée par un passé peu avouable et sous l'emprise du pouvoir du chef de sa tribu, Myriam va profiter de ce voyage pour libérer sa libido. Entre vaudou et scènes d'orgies, Canevari comme d'accoutumée nous offre un film sauvage à l'atmosphère psychédélique dans laquelle Ajita semble tout à fait à l'aise. La belle à la peau d'ébène a réussi son entrée dans l'univers du cinéma et dés lors elle ne cesse de tourner. Elle enchaîne toujours en 1976 avec Gola profonda nera / Deep throat nera de Guido Zurli, clin d'oeil au fameux Deep throat, où cette fois elle interprète une journaliste nymphomane qui rappelle Emmanuelle enquêtant dans l'univers de la drogue, du sexe et du crime où elle pourra suite à de trop nombreuses orgies se guérir de sa nymphomanie. Uniquement basé
sur les exploits de Ajita, le film peut sembler ennuyant, celle ci passant le plus clair de son temps à se déshabiller et se donner à tout ce qui porte trace de virilité.
Plus intéressant sera en 1977 Candido erotico de Claudio Giorgiutti où elle n'a malheureusement qu'un rôle très bref, celui d'une modèle nue posant sous l'objectif de Maria Baxa lors de l'ouverture du film. Autre petit rôle, celui offert par Joe D'Amato pour son pseudo mondo Le notti porno del mondo 2 dont elle est l'hôtesse aux cotés de Marina Frajese. Ajita avait déjà fait une petite apparition dans Emanuelle e le notti porno nel mondo dans le rôle d'une photographe strip-teaseuse. Beaucoup plus conséquent et surtout intéressant est le personnage qu'elle joue dans le petit polar érotico-parodique de Roberto Montero Bianchi, La bravata, aux cotés de Franca Gonella et Franco Garofalo dont elle joue la malheureuse petite amie. La même année elle tournera toujours pour Bianchi une inoffensive petite sexy comédie aux cotés de Patrizia Gori dont elle est la rivale, La sorprendete eredita del tonto di mamma.
Il faut attendre 1978 pour que Ajita se retrouve de nouveau en tête d'affiche avec notamment L'amour chez les poids lourds de Jean Marc Pallardy qui revisite l'odyssée d'Ulysse et Pénélope à sa façon. Ulysse devient dans cette parodie érotique un camionneur et Pénélope une gérante de bar.
Puis arrive Nel mirino di Black Aphrodite / Black Aphrodite, petite production qui mêle érotisme et film de mercenaires signée Daniele Sangiorgi dont ce fut le seul et unique film. Daniele fut assistant réalisateur sur Nude per l'assassino, L'ultima orgia del 3eme reich / Bourreaux SS / Les orgies du 3eme reich ou Cinque donne per l'assassino. Ce film reste celui que Ajita préfère parmi tout ceux qu'elle a tourné.
Elle est ensuite à l'affiche de l'indescriptible Proibito erotico / Symphonie of love, un summum de l'euro-trash signé Derek Ford et Paul Selvin qui enchaine toute une série de saynètes érotiques aussi obscènes que grotesques censées mettre en scène les frustrations sexuelles d'un pauvre bougre joué par Enzo Monteduro. En 1979, elle dévergonde aux cotés de Lory Del Santo et Marina Daunia l'androgyne Christian Borromeo dans Pensione amore servizio completo / Pension pour jeunes filles de Luigi Russo puis elle tourne le curieux euro-trash Libidine qui conte les amours zoophiles d'une adolescente, Cinzia De Carolis, avec un serpent. Puis elle est l'héroïne d'un des sketches de Una donna di notte / Fille de nuit de Nello Rossati, inspiré d'une oeuvre de Sade. Ajita y a une longue et belle scène saphique avec la non moins belle Lorraine De Selle, principale protagoniste qui s'imagine être différentes personnages vivant d'excitantes aventures sexuelles. Elle finit l'année 1979 en étant la protagoniste de Eros perversion de Ron Wertheim aux cotés de Carlo De Mejo.
Entre deux films, l'étonnante actrice est aussi modèle et pose pour beaucoup de revues érotiques y compris les magazines gay dont elle est devenue l'icône, personnification d'une certaine réussite et surtout de l'acceptation d'une sexualité encore fort marginale.
Les années 80 verront Ajita tourner plusieurs W.I.P, un genre alors très en vogue. Elle est ainsi l'héroïne de Sadomania de Jess Franco qui d'elle dira qu'elle était une vraie professionnelle, se moquant de savoir si elle était une transsexuelle ou non. Sadomania peut être considéré comme un des meilleurs films de Ajita qui prouve enfin ses talents d'actrice. Elle y incarne une terrible gardienne lesbienne qui n'a rien à envier à une Ilsa.
On peut ensuite la voir dans deux autres WIP, ceux de Edoardo Mulargia, Femmine infernali / Les évadées du camp d'amour et Orinoco prigionere del sesso / Les tortionnaires du camp d'amour 2, avec entre autres Cinzia Lodetti avec qui elle deviendra très amie, les médiocres Inferno dietro le sbarre / Sévices à la prison de femmes et Perverse oltre le sbarre tous deux signés Gianni Siragusa après que Sergio Garrone se soit désisté refusant qu'Ajita soit la star des films qu'il devait tourner. Il n'acceptait pas qu'un transsexuel soit la vedette principale de ses WIP.
En 1985, elle fait bien entendu partie de la distribution de Savage island, le rip-off de Femmine infernali et Orinoco prigionere del sesso avec la pauvre Linda Blair en guest star américaine qui apparait lors des plans rajoutés.
Elle fait par la suite une trop brève apparition en danseuse effrénée et putain notoire dans le film de Lucio Fulci Luca il contrabandiere / La guerre des gangs / Luca le contrebandier.
Elle retrouve ensuite et fort malheureusement le chemin de l'érotisme qui la mènera vers la pornographie avec entre autre le médiocre Apocalypsis sexual / Je suis une cochonne de Carlos Aured aux cotés de Lina Romay. Le seul intérêt du film réside dans certaines séquences particulièrement osées dont celle où elle se fait trancher le vagin avec un couteau. Elle est ensuite à l'affiche de La doppia bocca di Erika de Sergio Bergonzelli, le ludique Love lust and ecstasy ou encore l'envoûtant et fascinant Macumba sexual de Jess Franco avec Lina Romay. Ajita incarne la Princesse du Mal, plus altière et impériale que jamais. Suit l'inénarrable et farfelue comédie Eva man, due sessi in uno dont elle partage la vedette avec une des plus fameuses transsexuelles du cinéma italien Eva Robbins que le grand public découvrit dans Ténèbres. Ajita sera aussi à l'affiche de sa séquelle, El regreso di Eva man réalisé par Zacaria Urbiola. Si Ajita parlait ouvertement de sa transsexualité, fière de sa décision, elle n'a pourtant jamais réussie à être heureuse encore moins à trouver de plaisir ni avec les hommes ni avec les femmes. Elle n'a jamais su qui elle était vraiment au fond d'elle. Ce mal de vivre elle ne s'en cachait pas comme l'affirmait Sergio Bergonzelli lors d'une interview. Son partenaire Brunello Chiodetti dans Eva man confirme ce mal être. Ajita pour trouver un semblant de plaisir sexuel devait avoir recours à quelques malins artifices comme l'utilisation de crèmes spéciales mais son plaisir demeurait uniquement psychologique.
Les années 80 seront dures pour Ajita. Force est de constater qu'elle ne rencontre pas le succès qu'elle mérite, ni la reconnaissance à laquelle elle devrait avoir droit. Etrangement Ajita n'a jamais réellement connu la notoriété en Italie où elle semble restée plus ou moins anonyme. C'est en Turquie et surtout en Grèce où elle jouit d'une réputation sans précédent qu'elle va connaitre la gloire. Les grecs pour qui elle va beaucoup tourner en font une icône, une nouvelle déesse de l'Olympe.
Entre érotisme et pornographie, Ajita cachetonne plus qu'elle ne joue. Par chance, elle continue de poser pour de nombreuses revues et de se produire dans des boites où elle chante. Il n'est pas rare de la voir se prostituer dans des clubs spéciaux où elle aurait été plusieurs fois embarquée par la police. Le scandale éclate lorsqu'elle s'enfuit nue dans les rue de Florence sous le regard amusé des badauds après avoir été surprise par les carabiniers entrain de vendre son corps dans une maison placée sous surveillance.
Une autre arrestation fera la une des journaux à scandales lorsque la police la trouva dans un wagon de train, vendant ses charmes, nue sous son manteau. La presse, odieuse, sans pitié, se déchaine et fait ses choux gars de ces affaires. Rien ne lui est épargnée tant et si bien que Ajita, furibonde, blessée, rétorque violemment et pointe du doigt l'Italie. Dans une virulente interview elle accuse les italiens de tous les maux, usée de n'être pour beaucoup qu'un objet de curiosité, une bête de foire, une putain. Elle crache sa haine pour ce pays. L'étendue de ses propos fait mal et sa carrière en pâtira. Ajita, à bout de nerf, s'est en quelque sorte auto-détruite. En 1985 elle voit pourtant la chance de voir sa carrière prendre son envol international en tournant son tout premier vrai grand film. Hollywood serait prêt à lui ouvrir ses portes. C'est à elle que John Glen pense offrir le rôle de May Day dans Dangereusement votre, une des nombreuses aventures de James Bond. C'est malheureusement à Grace Jones qui se verra confier le personnage. Le sort s'acharne sur elle. Après cet échec Ajita est au plus mal.
C'est en Grèce qu'elle trouve refuge, un pays qu'elle adore, qui est devenu sa seconde patrie. Elle y jouit toujours d'une énorme réputation et les propositions cinématographiques affluent. S'enchainent donc quelques petites séries érotico-hard telles que The pussycat syndrome et Erotic passion auprès d'une Femi Benussi en fin de carrière. Elle retourne de temps à autres à Rome pour participer à d'autres films hardcore. Bocca blanca bocca nera / Hôtel du plaisir de Arduino Sacco sera malheureusement son dernier film en 1986.
Si beaucoup ont écrit que Ajita était morte d'une hémorragie cérébrale suite à un tragique accident de la route le 26 mai 1987, les circonstances de son décès sont un brin plus énigmatiques. Son compagnon d'alors l'aurait trouvé inanimée le matin du 26 dans la cuisine de leur appartement. La veille au soir Ajita avait diné avec le producteur de son prochain film mais elle se plaignait de violents maux de tête. Affaiblie elle était rentrée se coucher pour se lever à 7h30. Alors qu'elle préparait du café, elle s'est mise à demander à l'aide et s'est écroulée. A la venue des secours, le médecin n'a pu que constater le décès. par mort naturelle. Elle avait tout juste 37 ans. Ajita aurait en fait été une des premières victimes du Sida ou du moins une de ses nombreuses causes. Elle sera incinérée comme elle l'avait souhaité dans la ville Eternelle.
Quelques mois avant sa mort, Ajita s'était essentiellement reconvertie dans la chanson. Elle menait son propre spectacle à travers l'Italie et fréquentait un journaliste américain, ce même journaliste qui a découvert son corps sans vie dans la cuisine.
Elle préparait également depuis très longtemps semble t-il sa propre auto-biographie intitulée
Sexy superstar dont elle voulait faire un film. Si certaines images auraient été tournées aucune preuve n'a cependant été réellement avancées si ce ne sont quelques plans fort mystérieux qui n'appartiennent visiblement à aucun film que Ajita aurait fait dans sa carrière si toutefois on peut vraiment les comptabiliser. Elle aura emporté avec elle les réponses et les mystères qui continuent à entourer son passé et sa propre personne.
Ainsi nous a quitté cette étrange créature insoupçonnée et insoupçonnable qui fit et continuera de faire fantasmer les érotophiles de tout bord. Derrière l'image de cette volupté exacerbée et de sex goddess, derrière l'icône gay adulée, Ajita fut avant tout l'image vivante de la réussite et d'une certaine souffrance également dans un monde encore trop fermé.
C'est peut être là le véritable triomphe de Ajita même si aujourd'hui elle semble oubliée de nombreux bissophiles dont elle fit pourtant le bonheur à une certaine époque. Grosse injustice que nous espérons voir un jour réparée afin que Ajita jouisse enfin du mérite qui lui revient.