Patrizia Gori: Un ange déçu
S'il fallait trouver quelqu'un pour personnifier la douceur et l'innocence, la si fragile Patrizia Gori viendrait en tête de liste. Si Patrizia fut l'une des plus petites actrices du cinéma de genre de par sa taille, un tout petit mètre soixante, elle n'en fut pas moins l'une des plus grandes par le talent. Son visage candide sublimé par un regard plein de tendresse a su illuminer pendant quasiment dix ans les écrans des salles obscures même si son talent n'a pas toujours su être reconnu à sa juste valeur. C'est un juste retour des choses de lui rendre un petit hommage à travers cette nouvelle biographie.
Patrizia Gori, de son vrai nom Patrizia Gregori, est née à Rome en 1950. C'est assez jeune qu'elle débute sa carrière de comédienne grâce à sa rencontre avec Antonio Margheriti. Jouer la comédie a toujours été pour la jeune fille une véritable passion. Ambitieuse elle voit les choses en grand et rêve de jolis rôles à l'écran. Lorsque Antonio Margheriti avoue lui trouver un visage et un corps fait pour le cinéma, elle n'hésite plus et prend des cours au Salotto Morazzani, alors très coté. Elle fait très vite la connaissance de Peppino Rotundo, le célèbre impresario italien. Patrizia a vingt ans, elle en tombe rapidement amoureuse. De cet amour naitra un fils, Filippo.
Elle prend parallèlement des cours de danse et fait quelques pièces de théâtre. Sa chance, elle la doit à un concours de circonstances. La comédienne principale d'une des pièces de Rotundo tombe malade et ne peut plus assurer la représentation du jour. Situation dramatique puisque le public venu y assister ne pouvait être remboursé. Patrizia propose alors de la remplacer au pied lever. La représentation est un triomphe. Un tel succès remporté par une si jeune fille ne pouvait que lui ouvrir les portes de la comédie. Elle ne remontera cependant plus sur les planches ni ne rejouera de pièces pour Rotundo par la suite. Elle renouera avec le théâtre que bien des années plus tard.
C'est le cinéma qui en 1970 va lui tendre les bras. Sa première expérience sera dans Il prete sposato de Marco Vicario avec Silvia Dioniso dont elle joue une des amies, un tout petit rôle qu'elle décrocha comme la majorité de ses futures prestations par l'intermédiaire de son agent d'alors Emy De Sica. Suivront Il re della mala de Jurgen Roland, coproduction allemande, et le violent Quelli che contano de Andrea Bianchi avec Barbara Bouchet et Henry Silva, deux films que Patrizia aime particulièrement, réalisés en 1972 pour l'un 1973 pour l'autre. Elle prend de plus en plus goût au cinéma et décide d'en faire sa carrière même si à coté, elle continue de prendre des cours de chant et de théâtre.
Elle apparait dans L'eredita dello zio buonanima de Alfonscio Brescia avec l'imparable Francho Franchi dont elle joue la fille, un film particulièrement dur à tourner puisqu'il fut tourné en prise directe, une romaine perdue au milieu d'un casting napolitain. En cela, Franco Franchi l'aida beaucoup et aujourd'hui encore, elle garde un excellent souvenir de cet acteur trublion, du bon allant de Brescia et du film qui fut et demeure encore aujourd'hui un beau succès en Italie.
Nous sommes en 1974 et la carrière de Patrizia va alors connaitre un tournant décisif. Patrizia est jeune, belle, attirante et tout naturellement le cinéma sexy va s'intéresser à elle. Tentée comme beaucoup d'actrices d'alors, elle se laisse prendre au jeu, un jeu souvent dangereux qui malheureusement la conduira à sa perte. Elle tourne tout de même pour Pasquale Festa-Campanile Rugantino avec Adriano Celentano avec qui elle prit beaucoup de plaisir à tourner.
C'est à cette époque également qu'elle quitte Rotundo et apparait dans diverses productions sexy telles que Calore in provincia, la comédie mafieuse de Roberto Bianchi Montero, le champêtre Le dolce zie de Mario Imperoli et Stangata in famiglia de Franco Nucci dans lequel elle est la fille de Piero Mazzarella. Elle tourne surtout en 1976 Emanuelle e Francoise le sorelline pour Joe D'Amato. Elle y joue la fiancée d'un homme pervers et brutal qui prend un malin plaisir à l'humilier jusqu'à la pousser au suicide. Sa soeur ainée la vengera de la plus diabolique façon. Dans cet excellent film à l'érotisme sulfureux, Patrizia partage la vedette avec l'allemande Rosemarie Lindt et Georges Eastman dont elle se rappelle surtout l'immense taille. On dut d'ailleurs lui acheter des escarpins à talons pour réduire l'écart de taille entre les deux vedettes. Ce souvenir fait sourire Patrizia aujourd'hui qui ne comprend pas pourquoi on a choisi une actrice de si petite taille pour interpréter ce rôle. Le même problème se produisit lors du tournage de la gentille sexy comédie de Bianchi Montero Bocche calde / La sorprendente eredità del tonto di mammà avec Ajita Wilson qui mesurait prés d'un mètre quatre vingt dix!
C'est alors qu'elle fait la connaissance de Franco Lo Cascio qui après avoir vu quelques photos d'elle souhaite sa participation à son prochain film Un urlo nelle tenebre / L'esorcista 2 / Bacchanales infernales, un film d'horreur qui allait se révéler une... horreur à tel point que Lo Cascio en refusera la paternité qu'il attribua à Elo Pannaccio. Patrizia dut néanmoins se raser le crâne pour interpréter Elena, cette soeur possédée par un esprit malin. En effet, la production fut inflexible sur ce point si elle voulait vraiment le rôle. La jeune femme avoue être alors tombée amoureuse de sa nouvelle image et cet inconvénient se transforma pour elle en bonheur.
Elle enchaine avec Roma droguata la polizia non puo intervenire de Lucio Marcaccini. Chauve ou non, Franco Lo Cascio tombe amoureux de Patrizia et vice versa. Ils s'aiment, se fiancent et décident de fonder leur propre maison de production qui s'appellera Patrizia Cinematografica. Ils tournent L'educanda, un film de la lignée des "Lycéennes" alors très en vogue. Patrizia accepte uniquement le rôle car elle a besoin d'argent pour sa maison de
production mais elle va déchanter très vite. Elle a de l'ambition, veut faire de grandes et belles choses, mettre son talent au profit de grands réalisateurs. Lo Cascio ne désire faire que de l'argent facile. Les belles promesses s'envolent doucement et Patrizia découvre que Franco tourne des films X notamment sous le pseudo de Luca Damiano. L'ambiance est également tendue dans la belle famille où Patrizia n'est guère appréciée. Elle apparait furtivement dans Inhibition de Paolo Poeti avec Claudine Beccarie, le nom de Patrizia étant une valeur sûre alors dans le cinéma sexy.
Elle tourne encore deux autres films pour la Patrizia Cinematografica en association avec la France, Fraulein Kitty de Patrice Rhomm et Helga louve de Stilleberg de Alain Payet. En pleine vague de nazisploitation, ces films en exploitent le filon et sont quasiment tournés en même temps avec plus ou moins le même casting dont la plantureuse Malisa Longo en kapo sadique et fustigatrice. Patrizia en tournera un troisième plus orienté vers le drame de guerre que l'éros-svastica sous toujours sous la houlette de Alain Payet, Nathalie rescapée de l'enfer / Nathalie échapée de l'enfer / Nathalie dans l'enfer nazi avec cette fois Jacqueline Laurent pour partenaire. Si Patrizia n'a strictement aucun souvenir de ce film ce qui parait étrange, elle admet qu'elle a accepté ces rôles uniquement pour se faire de l'argent et passer le cap. Elle était prête à cette époque à tourner tout et n'importe quoi tant que cela lui permet de gagner un peu d'argent afin de pouvoir réaliser ses rêves en tournant de vrais films.
De son coté, Lo Cascio continue ses affaires, vend ces trois films à l'Italie. Patrizia déchante de plus en plus. Elle perd non seulement ses espoirs mais aussi son temps dans des productions ridicules comme ces nazi-movies où elle ne fait rien pas même se déshabiller, les scènes érotiques étant reléguées à d'autres actrices spécialisées souvent dans le porno comme Claudine Beccarie. Par précaution, elle avait tout de même bien stipulé dans son contrat qu'elle n'acceptait aucune scène hard, "Senza penetrazioni" comme les producteurs appelaient cela alors, pressentant que des scènes X concernant son personnage allaient être tournées par des doublures pour le marché étranger. Ainsi, Patrizia se protégeait et protégeait sa réputation.
Consciente que tous ces films la pénalisent fortement et sont un frein à sa carrière, Patrizia, désabusée, se fatigue, se lasse de l'univers cinématographique. Elle finit par quitter Franco Lo Cascio.
Elle tourne encore quelques films. Elle fait une très brève apparition dans Vizi morbosi di una governante, le giallo de Filippo Walter Ratti. Elle retrouve Alfonso Brescia pour La guerre des robots, un des cinq films de cette saga du pauvre qui tentaient d'imiter Star wars. On la voit également dans Belli e brutti ridono insieme de Domenico Paolella avec Walter Chiari.
C'est en 1981 qu'elle fait sa dernière apparition sur les écrans dans l'un des épisodes de la série télévisée L'assassino ha le ore contate de Fernando Di Leo dont elle garde un souvenir décevant. Patrizia décide de quitter le monde du cinéma et se tourne vers la télévision pour laquelle elle fait quelques essais pour de futurs rôles mais ces essais n'aboutiront pas.
Fatiguée du monde du cinéma et de tous ces films superficiels, désillusionnée, Patrizia se retire du feu des projecteurs. Une toute nouvelle vie va commencer pour elle. Elle reprend les études, s'inscrit à l'université et en sort diplômée en anthropologie. Par la suite, elle commencera à travailler pour une maison d'édition. Aux dernières nouvelles Patrizia y est toujours.
De son passage au cinéma, même si elle n'a jamais pu réaliser ses rêves, elle ne regrette rien et ne renie pas ce qu'elle a fait mais avoue qui si c'était à refaire, elle ne le referait pas. Cela n'en vaut vraiment pas la peine dit-elle, lucide.