Franco Garofalo: Le difficile itinéraire d'une gueule de cinéma
Comme on l'a bien souvent écrit ici, il est une pléiade d'acteurs dont on se souvient plus pour leur physique que pour leur talent de comédien ou les films dans lesquels ils se sont commis. C'est aussi ça l'univers impitoyable du cinéma Bis et du cinéma de genre. Franco Garofalo parfois crédité sous son pseudonyme anglais Frank Garfield ou Frank Garfeeld fait partie de ceux ci. On a tous un jour ou l'autre visionné avec bonheur un des nombreux films dans lesquels il est apparu, simple figurant ou rôle à part entière, durant quasiment dix ans avant de disparaitre suite à de nombreuses déceptions et un choix crucial à faire.
Penchons nous aujourd'hui sur la carrière de cette "gueule" que personne n'a oublié.
Si l'est une chose certaine, c'est que Franco; né le 18 avril 1946 à Naples, a toujours désiré pratiquer ce métier pour lequel il se sentait fait depuis sa plus tendre enfance. Mais c'est contraint et forcé qu'il est très vite rentré dans l'univers artistique. Après avoir quitté l'académie de Naples Franco est arrivé à Rome très jeune avec sa femme d'origine anglaise et leur petite fille Vanessa de six mois à nourrir et protéger. Il ne connaissait personne et dut se débrouiller seul pour trouver du travail et subvenir à leurs besoins. C'est tout naturellement qu'il s'oriente donc vers le domaine artistique. Il prend des cours et participe à de nombreux séminaires sur les méthodes de travail de comédien avant de fouler ses premières scènes de théâtre. Le cinéma allait tout naturellement être l'étape suivante.
C'est en 1972 que Franco débute sa carrière au grand écran dans Il sesso della strega / Les anges pervers avec Camille Keaton, un film étrange qui mêle satanisme et giallo dans lequel il joue un inquiétant domestique, suivi de Bacchanales infernales aux cotés de Patrizia Gori où il est un prêtre satanique. Les deux films sont signés Angelo Panaccio. Franco se souvient amusé que la toute première scène qu'il dut jouer au cinéma fut une scène de nu pour Il sesso della strega. Le jeune acteur va dés lors accumuler les rôles de seconde zone et trainer ce physique à la fois patibulaire et drôle. Il est Misère notamment le western-spaghetti On l'appelle vérité de Luigi Pirelli aux cotés de Mark Darmon. Plus discrètement on le voit dans Canterbury Proibito de Italo Alfaro qui mettait en vedette Femi Benussi, alors une des reines de la sexy comédie. Il apparait ensuite dans un petit film de guerre de Joe D'Amato Eroi all'inferno aux cotés de l'allemande Rosemarie Lindt et klaus kinski. A propos de Kinski, Franco, avoue qu'en Italie on le surnommait parfois le Kinski
italien et lorsque l'acteur allemand n'était pas disponible pour un rôle on le lui attribuait. Franco sera également à l'affiche de La rivolta delle gladiatrici de Steve Carver avec Pam Grier, Rosalba Neri et Lucretia Love, un peplum efficace et fort bien rythmé. Après un détour dans le drame Un anno di scuola aux cotés de Juliette Meyniel et Mario Adorf commence pour Franco toute une série de petits polars dont un tout petit rôle dans Squadra antiscippo / Flics en jeans avec Tomas Milian qu'il retrouvera en 1985 pour Delitto al Blue gay / Pas folle le flic tous deux signés Bruno Corbucci. Il tourne pour Massimo Dallamano Quelli della calibro 38 / Section de choc avec Marcel Bozuffi, Ivan Rassimov et Carole André dans lequel il est un malfrat trop vite tué et pour Roberto Bianchi Montero dans La bravata dans lequel il interprète un voyou à la tête d'un gang de jeunes délinquants. Il est également au générique de Il commissario di ferro de Stelvio Massi avec Janet Agren et Maurizio Merli. Il interprète un petit gangster totalement névrosé et assez impressionnant dans La banda Vallanzasca de Mario Bianchi.
Si Franco avait pour habitude de toujours se donner à fond dans ses personnages, faisant preuve d'un professionnalisme à toute épreuve, il en était autrement dans la vie. Franco était un homme tourmenté en proie à de nombreux excès. Mais ceux ci tout comme sa vie privée n'ont jamais eu d'incidence sur son métier d'acteur.
En 1978, il tournera deux fois avec Nathalie Delon. On le vit en effet dans La quatrième rencontre où il interprète un photographe enlevé par des extra-terrestres et I gabbiani volano bassi de Giorgio Cristallini avec Dagmar Lassander, Maurizio Merli et Mel Ferrer.
Le début des années 80 est pour Franco une période très difficile où rien ne va réellement dans sa vie. C'est à ce moment qu'il va rencontrer Bruno Mattei et Claudio Fragasso. Leur rencontre ne fut pas évidente car Bruno était un homme au tempérament de feu qui souvent explosait mais il était aussi très timide. Les deux hommes se heurtaient donc fréquemment mais Bruno adorait Franco en tant qu'acteur même si son narcissisme l'irritait énormément. Claudio quant à lui était un homme plus calme, plus posé. En dehors des tournages Franco et Bruno se voyaient beaucoup et aimaient faire de longues promenades ensemble d'autant plus qu'ils habitaient la même rue.
Pour eux Franco va tourner trois films: Le couvent infernal dans lequel il est un inquiétant jardinier, il est Don Arragone dans Novices libertines, l'amoureux transi de Zora Kerowa qui garde de lui un gentil souvenir. Il partagea l'affiche de ces deux films avec Franca Stoppi avec qui il avait un point commun: l'amour des animaux. Franco militait en effet pour le respect des animaux et en dehors des tournages, il avait une passion pour l'élevage canin. Le tournage de ces deux films ne fut pas de tout repos car ils furent réalisés en même temps et Franco devait sauter d'un personnage à l'autre. Cela était d'autant plus fatiguant qu'il jouait également au théâtre le soir tout comme Franca Stoppi.
Mais on retiendra surtout de sa carrière ce rôle inoubliable qu'il tint dans le tout aussi inoubliable Virus cannibal, celui de Santoro, l'un des braves et héroïques soldats. Ce troisième film de Mattei fut tourné à Barcelone. Franco en garde un souvenir mémorable notamment en ce qui concerne les folles soirées dans la capitale puisque toute la troupe aimait sortir et faire la fête mais également aller au théâtre ou à l'opéra. Les efforts de concentration devaient donc être décuplés une fois sur le plateau au petit matin surtout qu'un film d'action comme Virus cannibal demande une certaine énergie. A cette époque avoue aussi Franco, beaucoup de rôles lui ont échappé à cause de la phobie des avions qu'il a toujours eu. Ainsi il a dû refuser un film aux USA et deux à Manille pour Mattei.
En 1982, on l'aperçoit dans Crimes au cimetière étrusque de Sergio Martino dans le rôle une fois encore d'un photographe et en 1983, il est au générique de Hercules de Luigi Cozzi. Il ne reviendra au cinéma qu'en 1988 avec Sorcière, le film de Marco Bellochio avec Beatrice Dalle où il ne fait malheureusement qu'une trop courte apparition.
Le cinéma de genre est alors moribond. Franco disparait progressivement comme beaucoup d'autres acteurs de genre. Mais Franco doit surtout faire face à un dur dilemme. Doit il arrêter le métier d'acteur? Ce ne fut pas une décision facile à prendre car Franco adorait ce qu'il faisait. Mais sa vie était un tel chaos. A cela s'ajouta aussi son manque de chance qui ne joua guère en sa faveur tout au long de sa carrière. Pour toutes ces raisons il décida d'y mettre un terme. Mais dit-il tout était si compliqué qu'il pourrait écrire un livre sur les raisons qui l'y ont poussé. Avant de se retirer Franco écrivit et réalisa en 1982 un film dont il fut aussi l'interprète principal, une sorte de testament, d'adieu au cinéma intitulé Schizofrenia di un attore. Il parle de la folie d'un acteur de théâtre qui après quitté les planches se retrouve à la rue et perd lentement la raison.
Franco ne va pas pour autant quitter le monde des artistes puisqu'en 1993 il fonde la première école de cinéma à Naples. Il s'est donc mis à enseigner le métier à de jeunes élèves ce dont il est fier aujourd'hui car certains ont depuis réussi à percer.
Pour le plus grand bonheur des fans, il réapparait en 1997 à la télévision à l'occasion d'un feuilleton Murder call et l'année suivante on le vit brièvement dans Dags de Murray Fahey dans la peau du père de l'héroïne. Ce sera là son ultime prestation.
Franco a été depuis à l'origine d'un tout nouveau concept puisque désormais il enseigne le métier d'acteur par internet via webcam. Ce concept s'appelle Cineapolis et si au départ ce fut dur il fonctionne aujourd'hui très bien avoue t-il.
De Franco on retiendra avant tout ses rôles hallucinés et ce visage particulier qui malgré ses talents de comédien et son professionnalisme sur les plateaux lui a peut être empêché à l'instar d'autres acteurs d'obtenir des rôles de premier plan ou d'incarner des personnages plus conséquents à travers lesquels il aurait pu justement faire éclater tout ce talent.
Franco avoue que si aujourd'hui on lui proposait de revenir au grand écran il ne déclinerait peut être pas la proposition si le rôle qu'on lui offrait était aussi solide que plaisant. Il n'en aura malheureusement eu l'occasion. Franco nous a quitté en toute discrétion le 22 aout 2019.