Ania Pieroni: Mater Lacrimarum
Voila bien une actrice dont le parcours est des plus atypiques voire des moins conventionnels. Si elle n'est restée que très peu de temps dans l'univers cinématographique, en l'espace de seulement quelques minutes, le temps d'une impressionnante séquence dans Inferno où elle tenait le rôle de la jeune fille aux chats, l'incarnation de l'effrayante Mater Lacrimarum, elle est à jamais entrée dans la légende. Ces deux petites minutes auront suffi pour que Ania Pieroni imprègne à jamais les esprits cinéphiles de sa troublante beauté et de son regard vert parmi les plus mystérieux.
Ania n'a étonnamment pas réussi par la suite à trouver des rôles à la hauteur de son imparable présence et de sa beauté incendiaire. L'histoire de la belle Ania est tout aussi surprenante puisqu'elle est en fait liée au monde politique et au gouvernement italien alors en place. Le Maniaco va aujourd'hui lever un pan du voile qui entoure le parcours de cette jeune et fantasmatique actrice.
Issue d'une famille de la haute bourgeoisie romaine, Ania est née le 28 février 1957 dans l'antique capitale. Elle passe toute la première partie de sa scolarité dans une école catholique puis obtient son bac. Passionnée de musique classique, cette amoureuse des chiens et de la nature se destine tout naturellement à l'art lyrique. Pourtant son père, un officier pilote, a d'autres projets pour sa fille. Il souhaiterait qu'elle fasse une carrière diplomatique. C'est ainsi que Ania intègre l'université des sciences politiques. C'est à cette époque qu'elle fait parallèlement son entrée dans l'univers cinématographique, une façon de se rebeller contre les décisions de son père.
En 1978, à tout juste 20 ans, elle fait une brève apparition dans le film de Alberto Lattuada Cosi come sei / La fille aux cotés de Nastassja Kinski et Marcello Mastroianni puis se retrouve au générique de Mani di velluto de Franco Castellano et Giuseppe Moccia dans lequel elle a pour partenaire Adriano celentano qu'elle embrasse de façon torride.
C'est alors que Dario Argento la remarque en 1980 et voit en elle l'incarnation parfaite de Mater Lacrimarum dans Inferno. Il n'y fait qu'une simple apparition, n'y a qu'une unique séquence mais son regard hypnotique, ses yeux verts, son énigmatique beauté, son interminable chevelure lui vaudront d'être connue dans le monde entier.
Cette même année elle part vivre à Milan. Une amie à elle lui présente un soir un homme politique alors fort en vue, Bettino Craxi, le secrétaire du PSI. Ania en tombe éperdument amoureuse et rompt ses fiançailles avec le comte Roberto Gancia. Cette liaison sera très mal acceptée par les italiens.
La suite de sa carrière, Ania la devra à cette position privilégiée puisque les réalisateurs tels Lucio Fulci ou Dario Argento se verront contraints de l'employer dans leurs films. C'est ainsi qu'en 1981, elle apparait dans Ténèbres aux cotés de Veronica Lario, elle aussi petite amie
d'un haut fonctionnaire du gouvernement.
Déjà à cette époque Ania n'est guère appréciée du public italien. Les critiques vont bon train. N'ayant déjà plus la silhouette parfaite qu'elle arborait dans Inferno, désormais bien plus ronde, certains la surnomment "la porcine", une prise de poids qui se remarque dans La maison près du cimetière de Lucio Fulci où ses rondeurs sont désormais flagrantes même si elle a su conserver son regard hypnotique. La rumeur prétendrait que Fulci trouvait l'actrice si antipathique qu'elle méritait bien cette fin horrible qu'il lui réserva dans le film. Inferno, Ténèbres et La maison près du cimetière resteront sans nul doute les plus marquants de sa courte carrière cinématographique qui ne brilla guère par ses talents de comédiennes somme toute assez restreints.
Ses films suivants, pour la plupart des comédies, resteront quant à eux inédits en France. Ania apparait en 1983 auprès de Danilo Mattei dans Miracoloni de Francesco Massaro, une sorte de parodie biblique dans laquelle elle interprète Magdalena, la putain, puis dans Il conte Tacchia une autre comédie mais en costumes cette fois signée cette fois Sergio Corbucci avec Vittorio Gassman. Ania interprète la jeune duchesse Savello qui s'amourache d'un faux petit aristocrate joué par Enrico Montesano qui lui en fait voir de bien belles. Suivront Signore e signori de Tonino Pulci en 1984 et Mai con le donne de Giovanni Fago. Ania fera ses adieux au show bizz en 1985 après un ultime film, la parodie horrifique Fracchia contro Dracula de Neri Parenti dans lequel elle interprète la soeur de Dracula, la comtesse Oniria. Un rôle parfait ne serait-ce que pour son regard toujours aussi hypnotique, son rôle qui à ce jour reste un des plus appréciés du public hormis celui de Mater lacrymorum.
Si Ania se retire du monde du 7ème art elle ne va pourtant pas disparaitre de la vie publique. En effet, de 1985 à 1991 elle est la directrice, la productrice et la présentatrice d'une des premières chaines télévisées italiennes, la GBR, qui cessera d'exister six ans plus tard, faute d'avoir trouvé son public. A cette époque Ania dut faire face à de grosses accusations de détournements de fonds à des fins politiques, une affaire qui se termina devant les tribunaux. A cette même période Ania était également la directrice de la chaine Roma Cine TV. Quelques soient les scandales politiques ou financiers auxquels elle fut mêlés durant sa carrière télévisuelle, quelques soient les cadeaux hors de prix qu'elle reçut de Craxi (maisons, hôtels) Ania Pieroni fut cependant une des femmes les plus influentes de la télévision italienne de ce milieu de décennie, une femme courageuse qui était à la tête de tous les postes, sur tous les fronts dit d'elle le présentateur Giancarlo Magalli.
En 1991, elle s'amourache d'un journaliste de feue la GBR, Osman Mancini. Elle quitte alors Bettino Craxi juste avant le terrible scandale politique dit des Mains sales qui obligea l'homme politique à fuir l'Italie pour la Tunisie.
En septembre 2001, Ania épouse un puissant homme d'affaires napolitain, Gennaro Moccia dont elle divorce en 2006. Mère de cinq enfants, celle qui incarna si brillamment Mater lacrimarum a depuis quelque peu perdu de sa beauté et n'est plus cette superbe créature qu'elle fut autrefois selon les propres dires de Dario Argento. Le réalisateur reste tout de même courtois y compris face aux problèmes de cocaïne que Ania aurait connu, inhérents au monde de la politique. Argento aurait ajouté que " les gros lards ne voyaient en elle que de la nourriture charnelle." Il lui propose cependant d'incarner à nouveau Mater Lacrimarum dans La terza Madre mais Ania refuse catégoriquement. Le lecteur jugera par lui même en découvrant l'ex-Mère des larmes tel qu'elle est aujourd'hui, une créature de la jet-set romaine botoxée, aux évidents implants mammaires, à des années lumière de cette envoutante et mystérieuse sylphide gardienne des Enfers sur laquelle bon nombre de fantasticophiles ont jadis fantasmé. Fort heureusement elle n'a rien perdu de son regard électrique.
L'Italie aura de son coté gardé un souvenir plutôt acerbe de la Belle, acceptant mal le fait qu'elle réussisse en se faisant payer avec les impôts du bon citoyen. La vie est dure pour Mater Lacrimarum!
Si Ania s'est retirée aujourd'hui de la vie publique, elle est revenue sur le devant de la scène récemment afin de soutenir la candidature de Silvio Berlusconi aux élections. Elle continue à apparaitre régulièrement à la télévision italienne et autres galas mondains.
Que pense t-elle aujourd'hui de son parcours cinématographique? Ca se réduit à cette déclaration qu'elle fit récemment: "C'est avec une certaine douleur que j'ai emprunté la voie du cinéma pour des raisons qui me sont propres mais je n'ai jamais eu aucun rapport avec le monde du 7ème art et ne me suis jamais considérée comme une actrice. J'ai voulu grandir vite, travailler et entrer dans la vie".