Laura Antonelli: Le destin brisé d'un sex symbol
Voici certainement l'un des plus tragiques et des plus terribles destins de l'histoire du cinéma italien qui rejoint celui tout aussi horrible de Karin Shubert. Laura Antonelli fut l'actrice qui dans les années 70 fit le plus fantasmer, la diva la plus désirée du cinéma transalpin, l'actrice au 250 millions par films qui incarna la beauté féminine et l'érotisme à l'état brut pendant presque quinze ans. Celle qui avait tout pour rentrer à jamais au firmament des stars n'aura pas eu cette chance, la vie en ayant décidé autrement. Si auprès de ses admirateurs elle est toujours restée une véritable icône, le cinéma a définitivement tué Laura Antonelli à l'aube des années 90 alors qu'elle était déjà fragilisée par les démons et les souffrances de son enfance. Redevenue l'anonyme Laura Antonaz c'est recluse qu'elle a terminé ses jours, vivant en ermite dans la plus grande misère tant physique que matérielle, spectre horrible de son si glorieux passé. Voici la dramatique histoire d'une diva, celle de Laura Antonelli.
Née en 1941 à Pola en Croatie, Laura Antonelli de son vrai nom Laura Antonaz n'a pas eu une enfance facile, marquée par la faim, les privations, la peur, puisqu'elle passe une partie de son enfance dans des camps de réfugiés. Elle ne se remettra jamais réellement de ces moments difficiles qui continueront à la hanter. Grâce à sa beauté elle parvient à échapper à la misère. Elle débute très tôt en posant pour des romans photos assez osés pour l'époque comme ceux proposés par la revue Caballero surnommée "la revue des hommes seuls". Entre 1964 et 1965 elle fait également quelques figurations non créditées dans de petits films dont Le sedecenni de Luigi Petrini. Alors étudiante à l'ISEF de Naples elle est un jour remarquée par le grand Mario Bava qui lui propose en 1966 un petit rôle dans Le spie vengono dal semifreddo / L'espion qui venait du surgelé, celui de la secrétaire de Francesco Mulé.
Un personnage un peu plus conséquent lui est offert en 1968 dans La rivoluzione sessuale, un film contestataire réalisé par Riccardo Ghione. Elle continue dans le filon érotique avec Massimo Dallamano qui lui offre en 1969 son premier véritable rôle en tant que principale protagoniste dans son excellente version de la Vénus en fourrure qui fut massacré par la censure d'alors. Lumineuse, divine, désinhibée, Laura crève l'écran tant sa beauté, son naturel, son élégance et sa fraicheur mutine resplendissent.
Elle tourne ensuite en 1970 aux cotés de Umberto Orsini et John Steiner le drame existentiel exotico-érotique Incontro d'amore a Bali de Ugo Liberatore, film monté et remonté dont il existe une version avec Ilona Staller cachée sous le nom de Elena Mercury. Elle est ensuite la sensuelle et désinhibée Simona dans le film éponyme de Patrick Longchamps tiré de l'oeuvre de George Bataille. Ce film, sulfureux et trop méconnu, aux confins du surréalisme ne sortira en Italie qu'après le succès que connaitra Malicia, mettant en avant le tout nouveau statut de star de Laura.
Le film qui la révélera au grand public sera Il merlo maschio / Ma femme est un violon de Pasquale Festa Campanile où elle joue l'épouse d'un violoncelliste frustré qui découvre en elle un parfait objet sexuel et de désir qui l'utilise comme moyen de promotion pour sa carrière. Laura tourne ensuite pour Philippe Labro Senza movente / Sans mobile apparent où elle a Jean Louis Trintignant comme partenaire.
C'est avec Les mariés de l'an 2 de Jean Luc Rappeneau que Laura va éblouir le monde entier en apparaissant dans les magazines au bras de Jean Paul Belmondo, son partenaire dans le film. Les deux acteurs sont tombés follement amoureux. Pour elle il quitte Ursula Andress. C'est le début d'une passion amoureuse houleuse qui durera huit ans.
Si Laura continue à tourner pour le filon érotique notamment pour Lucio Fulci avec All'onorevole piacciono le donne en 1972 Belmondo va l'aider à rentrer dans l'univers assez fermé d'un cinéma de plus grande envergure. Il la présente à Claude Chabrol qui lui donne le rôle féminin de Dr Popol. Le film n'est pas un énorme succès mais le couple s'y retrouve. En Italie Laura poursuit le tournage de comédies érotiques dont celle de Dino Risi Sessomatto / Le sexe fou? En 1974, elle est au générique du scandaleux Mon dieu comment suis je tombée si bas! de Luigi Comencini.
Cette même année va rentrer dans la vie de la belle Laura un réalisateur qui lui offrira ses plus grands succès à l'écran mais qui sera également responsable de sa triste et si injuste déchéance: Salvatore Samperi. Elle tourne donc plus belle et scandaleuse que jamais Peccato veniale / Péché véniel sorte de préface à son film suivant Malizia qui fera d'elle une véritable icône du cinéma, un objet de désir et d'admiration, adulée à travers le monde. Laura devient une véritable star que les plus grands réalisateurs s'arrachent désormais.
En 1976, c'est Lucchino Visconti qui s'intéresse à l'icône. Elle tourne pour lui L'innocente aux cotés de Marc Porel et Giancarlo Giannini. Visconti la comparait alors à un rayon de lumière qui lui rappelait la beauté de sa mère, une des principales raisons de son choix d'ailleurs. Laura tournera l'année suivante un autre film dans le style décadent de L'innocente. Il s'agit de Mogliamente de Marco Vicaro. Elle obtient ensuite un rôle secondaire dans le curieux Gran Bollito / Black journal de Mauro Bolognini aux cotés d'une étonnante Shelley Winter qui s'adonne au cannibalisme.
La fin des années 70 et le début des années 80 seront beaucoup plus difficiles pour Laura. Elle rompt avec Belmondo quelques temps après que les fantômes de son passé, de son enfance, aient refait surface. Elle plonge dans la drogue pour oublier, devient de plus en plus instable. Elle sombre petit à petit. Depuis sa rupture avec Belmondo elle enchaine les hommes, un gynécologue, un ouvrier, un artiste-peintre. Elle entame également une liaison avec le producteur-scénariste Ciro Ippolito, son ultime amant, qu'elle accusera d'être son fournisseur de drogues lorsqu'elle sera condamnée à la prison pour possession de stupéfiants.
Désormais quarantenaire Laura voit également les propositions de tournage se raréfier. Elle se retrouve au générique de gentilles comédies comme Letti selvaggi de Luigi Zampa, Mi faccio la barca et Rimini rimini de Sergo Corbucci. Elle obtient un rôle dans Le malade imaginaire de Tonino Cervi avec Alberto Sordi et Bernard Blier. Elle retrouve Pasquale Festa-Campanile pour Porca vacca, une sorte de remake raté de La grande guerra de Monicelli. Elle tourne de nouveau pour Salvatore Samperi dans Casta e pura /Rosa chaste et pure puis Passion d'amour de Iginio Ugo Tarchetti mais ce sont surtout des productions érotiques qui s'intéressent bien plus à la nudité de Laura qu'à son talent.
En 1985 elle est au générique du mitigé La gabbia / L'enchainé de Giuseppe Patroni Griffi où, dans la peau d'une femme névrosée assoiffée de vengeance, elle retient prisonnier le pauvre Tony Musante qu'elle enchaine à son lit. Elle apparait dans La venexiana / La vénitienne de Mauro Bolognini qui n'est pas au mieux de sa forme. En 1989, elle joue encore dans L'avare de Tonino Cervi avec Alberto Sordi mais le téléphone sonne de moins en moins jusqu'au jour où il ne sonne plus. Laura apparaitra encore dans quelques téléfilms oubliables puis plus rien. L'entrée dans les années 90 sera pour Laura le début d'un long et effroyable drame qui la mènera à sa perte.
Désormais quinquagénaire Laura n'est plus de toute fraicheur. Les signes du temps sont inévitables. Ses problèmes psychologiques, ses longs combats (presque dix ans pour être enfin relaxée) pour éviter la prison suite à sa condamnation, l'ont profondément marqué. Lorsque Salvatore Samperi lui aussi au plus bas de sa carrière décide de lui offrir à nouveau le rôle principal pour sa nouvelle version de Malizia, Malizia 2000, il exige d'elle qu'elle suive un traitement afin d'effacer ses rides et redonner à son corps un regain de jeunesse. Malheureusement, quelques temps plus tard, le corps de Laura fera une réaction allergique au traitement. Elle développe un oedème de Quincke. Son visage se transforme en un horrible masque de cauchemar. Laura est défigurée. Les photos feront impunément la une des journaux du monde entier. Elle portera plainte mais aussi bien les producteurs que le réalisateur nieront leur implication dans ce drame qui coûtera à Laura sa carrière. Les procès dureront des années et Laura en sortira non seulement perdante mais totalement ruinée.
Défigurée, sans argent, Laura verra également lors de ces douloureux moments tous ses soi-disant amis du show-biz se détourner d'elle. Elle est désespérément seule, abandonnée. Plus aucune porte ne s'ouvre, Laura est devenue celle que désormais on rejette. Ni ses ex-fiancés comme Belmondo ou Ciro Ippolito ne viendront la soutenir. Certains profiteront même de ce drame pour l'accabler. Dans une de ses dernières interviews, elle tuera en direct Laura Antonelli et redeviendra à jamais Laura Antonaz. Comme si ce calvaire n'était pas suffisant, Laura est arrêtée en 1991 pour détention de stupéfiants. Ce sont alors d'autres procès en justice qui achèveront l'ex Divine créature et finiront de la ruiner. Elle n'a plus rien, ni maison, ni manteau, ni même un sou vaillant.
Après de douloureuses et insoutenables opérations dont elle ressortira à jamais meurtrie, elle partira un temps au Canada et se donnera à corps perdu aux oeuvres de charité chrétiennes. Au milieu des années 90, seule la réalisatrice Francesca Archibugi en toute pudeur lui proposera de jouer pour elle, telle qu'elle est, défigurée, vieillie et empâtée mais naturelle. Laura refusera.
Laura vit recluse, seule, dans un immeuble aux abords de Rome, un petit appartement aux volets constamment clos, dénué de quasiment tout meuble, un environnement austère qu'elle ne quitte presque jamais. Elle ne reçoit jamais ou très peu et surtout pas de journaliste. Laura s'adonne à la piété religieuse à la limite du fanatisme en priant et écoutant les radios religieuses à la longueur de journée. Une dame de compagnie vient régulièrement lui faire ses courses et le ménage.
En 2007 Laura gagnera enfin ses procès après 16 ans de combat acharné et se verra remettre la somme de 108 milles euros auxquels s'ajouteront les intérêts en guise de dommages et intérêts. Mais ce dénouement ne changera rien au calvaire de l'ex-star. A 68 ans, empâtée, défigurée, souffrant de troubles mentaux dus à ces années de cauchemars, Laura n'est plus qu'une pauvre femme dévastée et malade.
En mai 2010 l'acteur Lino Banfi qui jusqu'à la fin est resté un de très rares ses amis a découvert les conditions de vie sordides dans lesquelles vivait Laura avec moins de 510 euros par mois pour se nourrir. Il a immédiatement alerté le gouvernement italien et l'affaire fit le tour du pays. Son indignation fit mouche et le gouvernement accepta de verser une aide financière à Laura. Cette dernière, lasse et vidée, ne réagit pas, murmurant simplement une phrase terrible de sens: La vie terrestre me m'intéresse plus, je veux simplement vivre de façon digne. Quelques mois avant sa mort lors d'une interview pour un petit journal local elle affirmait n'avoir jamais été heureuse pas même au temps de sa splendeur. Laura s'est éteinte à son domicile de Ladispoli près de Rome le 22 juin 2015 à l'âge de 73 ans.
A travers le monde, aucun des fans de Laura ne l'a oublié. Elle restera à tout jamais dans leur coeur et demeurera l'une des plus rayonnantes beautés qu'ait connu l'Italie, une beauté solaire au regard de velours, au corps de déesse à faire frémir Aphrodite.
En cela, la beauté est éternelle! Ti vogliamo bene Laura!