Salvatore Baccaro: la fleur des monstres
De monstre il n'en avait que l'apparence mais il était le plus jovial des hommes qui un jour vit la chance sonner à sa porte par le plus grand des hasards. Des ombres de l'anonymat il fut du jour au lendemain propulsé sous les lumières du showbiz qui en fit sa "douce créature", aidé par un physique très particulier, à la fois difforme et bestial, qu'il mit au service du rire. Eternel figurant, il traversa ainsi l'univers du septième art, sans rien demander à personne, mû par la seule ambition de se divertir tout en nous divertissant jusqu'à sa disparition prématurée en 1984 dans la plus totale indifférence. Il était donc un devoir pour nous au Maniaco de lui rendre cet hommage tant mérité et vous dévoiler tous les secrets du parcours cinématographique du plus adorable des gentils monstres, Salvatore Baccaro.
Né le 6 mai 1944 à Roccamandolfi dans le Molise, Salvatore n'a jamais eu l'ambition de devenir un jour comédien. Dés qu'il fut en âge de travailler il se contenta de perpétrer la tradition familiale qui voulait que chez les Baccaro on soit fleuriste de père en fils. C'est devant les studios de Cinecitta où il vendait régulièrement des fleurs qu'il fut un jour remarqué par des producteurs pour son physique très particulier, à la fois simiesque et agressif qu'il devait à une maladie déformante due à un excès d'hormones de croissance, l'acromegalia. Et c'est bien ironiquement que cette terrible maladie qui le dota d'un tel physique sera pour lui la clé de son succès.
Très vite surnommé "L'homme le plus laid du monde", Salvatore va faire son entrée dans l'univers du cinéma et rejoindre les rangs d'autres phénomènes du 7ème art dont Jimmy Il Fenomeno alias Franco Soffrano et Franco Lechner plus connu sous son nom de scène Bombolo. En quelques quatorze années de bons et loyaux services, Salvatore parfois crédité sous les pseudonymes de Sal Boris et Boris Lugosi va tourner dans une soixantaine de films le plus souvent en tant que simple figurant ou participation spéciale, parfois non crédité, ce qui rend plutôt difficile l'élaboration de sa filmographie complète. Mais c'est surtout dans des rôles de monstres ou de personnages particulièrement rebutants qu'il sera cantonné pour le plus grand plaisir de ses admirateurs qui n'en finiront pas de rire sous le flot de ses grimaces et autres borborygmes.
C'est en 1970 qu'il fait ses premiers pas devant la caméra aux cotés du célèbre duo Franco Franchi et Ciccio Ingrassia dans la comédie de Nando Cicero Ma chi l'ha dato la patente devenue fameuse notamment pour la scène où les deux comiques doivent dompter le cow-boy monstrueux qu'il interprète. On l'aperçoit par la suite non crédité dans le polar mafieux Seule contre la mafia de Damiano Damiani. Toujours non crédité, il est à l'affiche du très bon Décameron N°2: Le altre novelle del Boccaccio de Mino Guerrini dans lequel il est le monstrueux gardien cabotin d'un étonnant faux purgatoire. Entre 1972 et 1975 il apparaitra dans pas moins de quatre autres décamérotiques, tout d'abord celle de Marino Girolami,
Decameron proibitissimo - Boccaccio mio statte zitto puis Le favolose notti d'oriente de nouveau signée Guerrini, Le mille e una notti... e un' altra ancora de Enrico Bomba dans lequel il est un des trois sages du roi et enfin Quant'è bella la Bernarda, tutta nera, tutta calda / Du décaméron à Canterbury. de Lucio Dandolo.
Dans le domaine du western on le verra essentiellement dans des parodies ou des versions comiques du genre dont E lo chiamarono lo Spirito Santo de Roberto Mauri dans lequel il joue un esclave, Due fratellli, Les deux fils de Trinita avec une fois encore Franchi et Ingrassia, Santo Spirito e le cinque magnifiche canaglie, Miss Dynamite, il est un serveur du saloon du Grand duel et un prisonnier dans Et maintenant on l'appelle El Magnifico.
Salvatore va souvent se glisser dans la peau de monstres ou d'hommes primitifs notamment pour le cinéma d'horreur et de science-fiction, son physique simiesque, sa forte corpulence et ses extrémités démesurées s'y prêtent tout à fait. Il incarne ainsi le monstre préhistorique que cache Frankenstein dans Le château de l'horreur, il est un homme de Néanderthal dans Starcrash et un homme des cavernes dans Ator 2. Mais le rôle qui fera de lui un des monstres les plus populaires du cinéma de genre transalpin c'est sans nul doute, celui qu'il joue dans Holocaust nazi. Enfermé nu dans une cage dans laquelle il grogne, hurle, gesticule, saute il est une créature simiesque proche du gorille créée par la terrifiante kapo jouée par la glaciale Macha Magall qui le nourrit de jeunes filles. Si le film est aujourd'hui une pièce d'anthologie du cinéma d'exploitation, la scène où Salvatore arrache à pleines mains le pubis d'une victime pour le lui dévorer est quant à elle devenue culte. Salvatore était déjà apparu auparavant dans deux autres nazisploitations: Maisons privées pour SS et Salon Kitty dans lequel il joue un homme difforme avec lequel des prostituées sont obligées de s'accoupler sous l'oeil des SS.
Salvatore a également tourné dans de très nombreuses comédies et sexy comédies. S'il est apparu régulièrement aux cotés de Alvaro Vitali pour diverses aventures de Pierino, Pierino medico della SAUB, Pierino colpisce ancora, Pierino contro tutti , il fut également à l'affiche de La lycéenne est dans les vaps pour lequel il reprend le temps d'un instant son rôle d'homme primitif, en client ivre et bourru il se bat contre Renzo Montagnani dans La toubib prend du galon aux cotés de Edwige Fenech qu'il retrouvera pour Zucchero, miele e peperoncini de Sergio Martino et Lâche moi les jarretelles de Luciano Martino. Dans la peau d'un paysan attardé, il épie la sculpturale Gabriella Giorgelli dans L'educanda, traverse dans un costume de berger dans 4 zizis au garde à vous et se bat contre des moutons dans Salomé, se travestit en femme pour interpréter la mère de Mimmo Baldi dans la parodie de L'exorciste, L'esorciccio avec Ciccio Ingrassia. Il se fait masser entièrement nu dans
l'irracontable Symphonie of love / Proibito erotico, un monument de l'euro-trash transalpin, et revêt l'uniforme rayé d'un prisonnier pour Farfallon puis celui d'un soldat dans Ya ya mon colonel avant de faire partie de l'orchestre qui entonne l'hymne aux pets dans Il pap'occhio et d'être le coiffeur de Scusi eminenza posso sposarmi. Il est même Lord Buckingham dans Li chiamavano i tre moschiettieri... invece erano quattro, un de ses seuls rôles où il récite réellement. Autant dire que Salvatore était fait pour faire rire le public dans des rôles souvent agressifs mais toujours très drôles. On pourra également voir le comédien en vendeur de fruits dans Les frissons de l'angoisse de Dario Argento qui l'avait déjà offert un court rôle dans Cinq jours à Milan. On trouve son nom au générique de Criminalia et Brigade anti-gangsters. Il apparait furtivement dans Black Emanuelle en Amérique, le pelum The arena, Bacchanales infernales où il est un des participants au sabbat qui ouvre le film, Le sexycon et Mondo candido pour mieux se vautrer dans les bras de Messaline pour Caligula et Messaline.
Salvatore tournera son ultime film en 1984 en jouant un paysan dans Le bon roi Dagobert de Dino Risi. C'est dans la plus totale indifférence qu'il meurt d'un infarctus le 3 octobre de la même année à Novara à l'âge de 39 ans. Salvatore s'en est donc allé et ses années de succès ne lui ont pas même valu un avis de décès dans la rubrique nécrologique. Sa mort passera inaperçue et plus personne ne parlera de Salvatore qui entre deux tournages retournait vendre ses fleurs devant Cinecitta. Si beaucoup imaginait qu'il était à la ville ce qu'il était à l'écran, un homme bourru, agressif, antipathique, il était au contraire tout l'inverse. Il était d'un caractère jovial, très expansif, ouvert aux autres et tout ceux qui le
connaissaient l'appréciaient beaucoup pour sa gentillesse innée. Tous les gens avec qui il a travaillé au cinéma ont su l'aimer et surtout reconnaitre ce talent si spécial dont il était doté. C'est pourtant seul qu'il est mort, oublié de ses pairs. Ce n'est que vingt ans plus tard, en 2004, que son nom refera surface lorsque son frère Armando acceptera lors d'une interview télévisée de parler de Salvatore, de l'homme qu'il était au quotidien, de l'acteur inopiné qu'il fut. Il confirmera également sa mort.
Salvatore Baccaro restera un véritable emblème du cinéma Bis transalpin, une figure aussi marquante qu'inoubliable qui malgré la sympathie que lui ont toujours témoigné ses
partenaires à l'écran n'a peut être pas eu la reconnaissance encore moins la fin qu'il méritait, ainsi oublié de tous. Touchant dans sa laideur qu'on oubliait vite dés qu'il nous faisait rire, tel un clown sous son auguste maquillage, Salvatore est parti rejoindre le paradis des "freaks", des monstres gentils, mais pour nous il sera toujours présent, inoubliable immortel qui continuera à nous faire rire ou nous impressionner par ses gesticulations frénétiques et ses incroyables grognements.