Il mostro
Autres titres: Qui sera tué demain? / Criminalia / El monstruo
Réal: Luigi Zampa
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 95mn
Acteurs: Johnny Dorelli, Sydne Rome, Renzo Palmer, Yves Beneyton, Enzo Santaniello, Henning Schlüter, Renato Scarpa, Gianrico Tedeschi, Orazio Orlando, Salvatore Baccaro, Angelica Ippolito...
Résumé: Barigozzi est un petit journaliste désabusé qui écrit pour un journal féminin. Son ex-femme le hait, il est entouré d'arrivistes et les romans qu'il écrit pour arrondir ses fins de mois ne rencontrent aucun succès. Son seul rayon des oeil est son fils, un adolescent timide. Un soir Barigozzi trouve glissé dans la poche de son imper un mot qui dit qu'une star vieillissante de la télévision va être assassinée. C'est le début d'une série de meurtres dont Barigozzi va dans un premier temps être accusé. Le journaliste voit alors dans ses assassinats un moyen de se faire enfin un nom en jouant la carte du sensationnalisme...
Luigi Zampa s'est fait connaitre en Italie dés les années 30. Cet ex-ingénieur va très vite se faire remarquer pour la vision très acerbe qu'il donne de son pays à travers des films souvent pessimistes, sombres, des oeuvres au vitriol cependant toutes saupoudrées d'un humour tout aussi noir. Son cinéma oscille entre drames sociaux et comédies noires. Il atteint le sommet de son art dans les années 40 avec l'avènement de la vague néo-réaliste. Le succès ne se démentira plus malgré des critiques parfois virulentes jusqu'à la fin des années 70 où ses détracteurs l'accusent de désormais donner dans le film commercial, de
choisir la facilité même s'il continue à dénoncer les tares de notre société. C'est à cette époque qu'appartient Il mostro / Qui sera tué demain?, avant dernier film du cinéaste qui justement tenterait de démontrer cette orientation plus commerciale.
Valerio Barigozzi est un petit journaliste désabusé qui travaille pour un journal féminin. Assis à un petit bureau situé près des toilettes il s'occupe de la rubrique sentimentale sous le pseudonyme de Comtesse Esmeralda. Afin d'arrondir des fins de mois difficiles il s'essaie sans grand succès au roman policier. Sa vie privée n'est guère plus éclatante. Valerio est en guerre avec son ex-femme Anna. Guidés par la haine, tout deux se livrent à une guerre
permanente. Son seul réconfort est son fils Luca, un adolescent d'une quinzaine d'années qu'il emmène régulièrement voir des polars au cinéma, à qui il apprend à se révolter contre notre société. Un soir en sortant d'un cinéma Valerio trouve un mot griffonné dans son imperméable. Une star vieillissante de la télé pour enfants, Grand-père Gustave, serait sur le point de se faire assassiner. A son arrivée au studio le vieil homme est déjà mort, un V ensanglanté dessiné sur son visage. La police ne prend guère l'affaire au sérieux et nie même avoir eu connaissance du mot trouvé par Barigozzi à qui on conseille même d'oublier ce meurtre. Quelques jours plus tard le journaliste en reçoit pourtant un second qui cette fois
annonce le meurtre d’un jeune joueur de football. Le journaliste tente de le prévenir mais il est assassiné dans les vestiaires du stade, un V tracé à nouveau sur son visage. Soupçonné puis relâché par la police Barigozzi voit dans cette série de morts l’occasion rêvée de prouver ses talents de journaliste à ses supérieurs. En exagérant au maximum cette sanglante affaire sans jamais avoir peur de mentir non seulement une véritable psychose s’empare de la population mais les ventes de journaux explosent. Si Barigozzi a réussi son coup sur le plan professionnel, sa carrière s'envole enfin et il se voit promettre un joli contrat, il parvient également à se rapprocher du meurtrier avec qui il crée une certaine
relation de confiance. C'est à ce moment qu'il rencontre Dina, une jeune starlette de la chanson qui souhaite utiliser cette sordide série de meurtres pour faire un tube. Un nouveau mot annonce au journaliste qu'elle sera la prochaine victime. Barigozzi ne pourra la sauver mais de fil en aiguille il réussit à découvrir l'identité du tueur qui ne pouvait être qu'un de ses proches. Il s'agit de sa propre femme qui s'apprête à tuer leur fils, ce dernier ayant découvert le secret de sa mère. Barigozzi l'abat à temps. Alors qu'il fait ses valises le journaliste fait une incroyable découverte qui innocente sa femme. Le tueur est toujours en vie. Grâce à cette découverte il va pouvoir assembler les ultimes pièces du puzzle et mettre à jour la vraie
identité du meurtrier. Ce sera pour Barigozzi un véritable choc.
Souvent considéré comme un giallo Il mostro s'apparente bien plus au thriller teinté de comédie noire. On pourrait même le ranger dans la catégorie des comédies horrifiques qui emprunteraient quelques éléments au giallo, à savoir la scène d'ouverture, un véritable clin d'oeil plein d'ironie au genre (Barigozzi et son fils sont dans un cinéma où on projette un giallo), et un mystérieux assassin qui décime quelques personnages bien définis suivant un procédé précis. Ce n'est pas pour autant que Zampa délaisse ce sur quoi il a bâti sa carrière. Il mostro comme dans la plupart des autres films de son auteur donne une vision
très sombre, très pessimiste de notre société. Plus qu'un thriller, qui en fait n'est qu'un prétexte, le film est une peinture au vitriol du monde de la presse, des médias mais également d'un public qui en demande toujours plus, avide de sensationnel et de sang. Quoique de plus normal dans un tel contexte que d'apporter à ce fameux public ce qu'il attend, au risque de créer ses propres monstres dont celui du titre. Et ce fameux monstre c'est ce journaliste qui finalement l'a crée. A se demander qui est le plus monstrueux, le monstre ou celui qui est en est à l'origine?
Toute l'intrigue tourne d'ailleurs autour du personnage de Barigozzi, un pauvre gars ni gentil
ni méchant, une sorte d'anti héros qui cultive le cynisme et donne dans l'amoralité avec un plaisir non dissimulé. Depuis des années il stagne professionnellement et sentimentalement. Une épouse hargneuse qui le déteste, un boulot minable de journaliste mal payé et d'écrivain en mal de succès, un caractère souvent excessif, agressif qui le pousse à faire des doigts d'honneur à la morale, des collègues de travail ambitieux, arrivistes, assoiffés de pouvoir prêts à toutes les bassesses pour réussir auxquels s'ajoutent une police et des institutions corrompues qui s'allient à la presse, tel est le quotidien de notre principal protagoniste dont le seul rayon de soleil dans cet univers
méphitique est son fils, un adolescent introverti avec qui il entretient une relation privilégiée. Père affectueux il lui inculque sa vision de la vie, lui transmet ses valeurs, ses idées subversives faisant fi de l'opinion d'autrui. Ni vraiment sympathique, ni vraiment antipathique Barigozzi va se transformer plus ou moins malgré lui en arriviste, se servant de cette affaire de crimes comme d'un tremplin pour enfin voir ses ambitions prendre vie. Ce n'est que trop tard qu'il réalisera que son attitude aussi bien en tant que père qu'en tant que journaliste a nourri ce "monstre", lui a donné ses mobiles. "J'ai crée un monstre" murmure t-il face à l'assassin, pathétique, penaud lors d'une conclusion inattendue (et plutôt osée dans l'idée)
particulièrement amère et pessimiste qui donne sur une fin ouverte glaciale dans ce qu'elle laisse suggérer.
Comme il l'a fait tout au long de sa carrière Luigi Zampa tire une fois encore à boulets rouges sur notre société. Il pointe du doigt l'opportunisme, l'arrivisme, les magouilles politiques et administratives. Il accuse les médias quelque qu'ils soient de se servir des pires méfaits pour faire de l'argent même s'il doit être maculé de sang. Il dénonce l'immoralité dans laquelle baigne un pays déjà rongé par la violence, celle des années de plomb d'une Italie au bord du gouffre. Mais il le fait toujours avec humour, un humour acerbe,
corrosif, qui pointe le bout de son nez au détour d'une scène, d'un dialogue (des dialogues souvent savoureux), allégeant ainsi la noirceur du propos tout en renforçant son impact.
Il mostro pourra donc décevoir ceux qui du film attendaient un véritable giallo avec ses inévitables effusions de sang que la jaquette vidéo laissait présager, ce fameux marteau ensanglanté qui jadis fit fantasmer bien des vidéophiles. On ne compte en fait que trois meurtres, celui de Grand-père Gustave, du footballeur et de la starlette, tous filmés hors champ. Cette absence de toute violence graphique au profit d'une étude approfondie des protagonistes, en priorité celle du journaliste, n'empêche pas une trame policière
traditionnelle qui répond aux exigences du genre avec en prime un zeste de suspense. L'interprétation est à la hauteur du film, en tête le talentueux Johnny Dorelli, l'époux de Gloria Guida, un chanteur/comédien très connu et respecté en Italie, dans le rôle de Barigozzi. A la fois désabusé, désillusionné Dorelli joue à la perfection la carte du cynisme. A ses cotés on aura le plaisir de retrouver quelques jolis noms du cinéma italien dont Renzo Palmer, Orazio Orlando, le français Yves Benetton en arriviste assoiffé de pouvoir et l'apparition assez brève (même si son nom est en tête d'affiche) de Sydne Rome dans le rôle de la starlette qui pousse la chansonnette et nous offre même quelques nus. Quant au fils de
Barigozzi il est interprété par l'ingrat Enzo Santaniello, jeune acteur habitué à faire de la figuration qui eut une très courte carrière à l'écran (est-ce étonnant), parfait ici dans la peau de ce garçon réservé très attaché à son père.
Conduite par une sympathique partition signée Ennio Morricone Qui sera tué demain? est une oeuvre satirique féroce teintée d'humour noir en parfait équilibre entre drame et thriller, réalisée avec soin par un Zampa toujours aussi acerbe et inspiré malgré un petit penchant pour le commercial. Cet avant-dernier film du metteur en scène qui n'est pas sans rappeler le dernier sketch de I mostri (celui avec Ugo Tognazzi et son fils Ricky) de Dino Risi est une jolie réussite où se mêlent avec intelligence tristesse, mélancolie, amour paternel rage et dénonciation sociale. Brièvement sortie en France uniquement en province trois ans après sa réalisation voilà une surprise qui mérite enfin d'être redécouverte et réévaluée par tout amateur des pellicules de Zampa et... les autres.