Salomé
Autres titres: Salome
Real: Carmelo Bene
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Drame / Surréalisme/ Expérimental
Durée: 73mn
Acteurs: Carmelo Bene, Lydia Mancinelli, Alfiero Vincenti, Donyale Luna, Veruschka, Piero Vida, Daria Nicolodi, Franco Leo, Giovanni Davoli, Dakar, Luciana Cante, Juan Fernandez, Ornella Ferrari, Marco Varelli...
Résumé: Le roi Erode fait la fête en son palais au moment où Jésus, lors de la Cène dévoile à ses apôtres le nom de celui qui le trahira. S'ensuit une messe orgiaque avant l départ du Christ pour un long périple. Pendant ce temps, Erode condamne à mort le prophète Jean-Baptiste. Sa nièce, salomé, parvient à le sauver et entend bien vivre avec lui ses fantasmes sexuels les plus pervers au moment où Jésus s'autocrucifie...
Figure déterminante et enfant terrible du théâtre italien des années 60 auquel il apporta un vent de démence, Carmelo Bene débuta sa carrière cinématographique en jouant dans Oedipe roi du Maitre Pier Paolo Pasolini avant de passer lui même à la réalisation avec une série de films baroques, délirant, d'inspiration mystique ou historique qui feront de lui un des metteurs en scène les plus avant-gardistes de sa génération. Somptueux mélange de kitch, d'érotisme, de grotesque, son oeuvre est une ode à la démesure à laquelle n'échappe pas cette vision blasphématrice deSalomé.
Transposition à l'écran de la pièce de théâtre écrite par Bene lui même en 1964, Salomé n'est qu'une nouvelle adaptation du roman d'Oscar Wilde, peut être la plus folle, la plus étonnante, la plus kitch, la plus ennuyeuse. Chacun lui collera l'adjectif qu'il souhaite tant il s'agit là d'une oeuvre très personnelle, à la limite du cinéma expérimental. Difficile donc de parler de Salomé comme il n'est pas facile de résumer l'intrigue de ce ballet surréaliste, quelque peu différent de la pièce, qui dans le temps se situe peu avant la mort du Christ. L'histoire se situe dans le palais d'Erode. Ce dernier s'adonne aux plaisirs de la fête avec
ses sujets tandis que le Christ se métamorphose en vampire lors du repas de la Cène. Il s'adonne à une véritable messe orgiaque, gargantuesque festin où on mange, boit et vomit sur des culs et les parties intimes, après qu'il ait annoncé à ses apôtres le nom de celui qui le trahira. Les apôtres se mettent à dévorer vivant des agneaux puis Jésus part pour un long périple durant lequel il se transforme en monstre. Pendant ce temps Erode condamne à mort le prophète Jean-Baptiste pour s'être ligué contre lui et avoir osé parler au nom de Dieu. Au moment de sa mise à mort intervient salomé, princesse corrompue de couleur noire, fille perverse et vicieuse de Erodiade et nièce d'Erode. Elle réussit à le sauver et entend bien réaliser tous ces fantasmes sexuels avec le prophète qui, rongé par la colère, se refuse à
elle. Salomé lui pardonne ce refus. Pendant ce temps, Jésus s'autocrucifie sur une croix fluo. Le film se conclura par la danse des sept voiles juste avant que Salomé et Erode ne demandent la tête de Jean-Baptiste.
En son temps, la pièce fut jugée hérétique, considérée comme un outrage à la religion. Certains metteurs en scène n'hésitèrent pas à pointer du doigt Carmelo Bene en affirmant que Salomé faisait honte au théâtre italien. Le film sorti huit ans plus tard, inédit dans les salles françaises mais régulièrement présenté lors de festivals, est tout aussi blasphématoire et fut tout autant vomi par une certaine critique pour avoir ainsi sali de façon
obscène l'image du Christ. Si elle reprend les grands thèmes de la pièce, cette version cinématographique est un mélange détonnant de tragédie, de lyrisme, d'opéra, de ballet, de grotesque et de dessin animé, une farandole multicolore carnavalesque qui ressemblerait à un très audacieux péplum sous acide empreinte de folie extrême et merveilleuse. Salomé est une immense toile, un patchwork d'images, de formes, de gestes, de postures, de voix, qui prend vie sous les musiques de Strauss, de Brahms entre autres et de quelques classiques dont Abat-jour de Henry Wright et le Rosamunda de Schubert. Difficile de résumer cet incroyable mélange, véritable mariage entre le kitch et l'hérésie tout comme il est difficile
d'analyser brièvement le film tant il y aurait à dire d'autant plus que Salomé échappe à toute règle d'analyse tant on peut le voir de mille manières. Une chose est certaine: cette grande fête païenne psychédélique et outrancière ne laissera personne indifférent. Certains crieront au génie, d'autres seront surpris et fascinés ou tout simplement détesteront et trouveront le film d'un ennui profond. Faut il également apprécier le mix entre le théâtre pur, la danse et le cinéma. Salomé est comme une sarabande délirante, irrévérencieuse, explicitement théâtrale mais filmée sur grand écran. Elle puise ses sources dans la tragédie grecque dans laquelle se croise toute une série de personnages extraordinaires évoluant dans des décors
fantastiques et particulièrement anachroniques. On est proche des univers de Federico Fellini et de son Satyricon, de Derek Jarman (Jubilee) dans une moindre mesure, de Jodorowski (La montagne sacrée), pour sa démesure même si le film de Bene ne possède pas vraiment cet élan de folie qui caractérise justement un visionnaire tel que Fellini. Il lui manque ce petit grain de démence, ce souffle onirique qui transporte et transcende. Salomé pourrait être la preuve que folie peut aussi être dans un certain sens synonyme d'ennui à moins que le film ne ressemble un peu trop à une pièce avec ses décors carton-pâte et son coté chorégraphié tout en grande pompe. Face à cette désacralisation du mythe d'Erode on peut donc être partagé, aimer et s'ennuyer, être captivé par instant puis indifférent.
Quelque soit l'opinion qu'on se fera de Salomé, il reste une oeuvre sulfureuse, un opéra bric à brac assaisonné de visions horrifiques et d'une bonne couche de nudité intégrale tant féminine que masculine dont on se repaitra à défaut d'étudier chaque posture et geste des protagonistes si soigneusement pensés par son auteur qui aujourd'hui encore demeure unique. Reste que Salomé est bel et bien un témoignage d'une époque révolue où un tel film était encore imaginable et faisable dans lequel évoluent l'anorexique et androgyne Donyale Luna, modèle noire, chauve pour l'occasion, incarnant ici Salomé, la noble Veruschka, le
mannequin de Blow up, le solide Piero Vida, une toute jeune Daria Nicolodi, le déjà très charpenté Dakar qui passe son temps ici à fesser des rangs de jeunes culs jusqu'au sang et à exploser des pastèques à coups de sabre (symbole de la décapitation de Jean-Baptiste qu'on verra jamais) sans oublier l'indispensable Salvatore Baccaro. Quant à Carmelo Bene il s'octroie le rôle d'Erode autrefois joué dans la pièce par le pasolinien Franco Citti.
Le monde merveilleux et pervers du cinéaste-metteur en scène n'a pas fini d'émerveiller ou d'ennuyer, d'être décrié ou glorifié. Dans tous les cas, aussi hermétique puisse t-il être, il doit être découvert et apprécié à sa juste valeur.