Decameron N°2: le altre novelle del Boccacio
Autres titres: Décameron N°2
Real: Mino Guerrini
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Décamérotique
Durée: 93mn
Acteurs: Enzo Pulcrano, Claudia Bianchi, Salvatore Giocondo, Mario Brega, Mariangela Giordano, Marcello Di Falco, Umberto Di Grazia, Luigi Antonio Guerra, Fortunato Cecilia, Lidia Caroncini, Renzo Rinaldi, Bruna Olivieri, Pupo De Luca, Antonella Murgia, Fausto Di Bella, Filippo De Gara, Krista Nell, Gino Milli, Camille Keaton, Heinrich J. Rudisser, Salvatore Baccaro...
Résumé: Dans une salle où brule un grand feu, un groupe de conteurs est rassemblé. Chacun va narrer une aventure qui lui est autrefois arrivée, des histoires de maris cocufiés et d'amants profiteurs, toutes placées sous le signe de Dieu...
Qu'on ne s'y trompe pas. Malgré son titre ce Decameron n'est pas réellement le deuxième d'une longue série à venir même s'il suit de près le film de Pasolini qui donna naissance à ce sous genre du cinéma d'exploitation joliment nommée Décamérotique. En fait si on voulait suivre un ordre chronologique, viendrait en seconde position Una cavalla tutta nuda de Franco Rossetti suivi de ce Decaméron N°2 signé de l'ex-journaliste Mino Guerrini, premier d'une sympathique trilogie composée de ce premier opus puis Gli altri racconti di Canterbury et enfin Le favolose notti d'oriente.
Décameron N°2: le altre novelle del Boccaccio est sans nul doute celui qui se rapproche le plus du film de Pasolini tant dans l'esprit que dans sa présentation. Directement inspiré de certains des écrits de Bocacce revus et corrigés par Luigi Russo, le film tente de recréer non seulement l'univers pasolinien mais également de donner à l'ensemble un coté moyenâgeux fort réaliste. Cela va du générique écrit en lettres gothiques qui défile sur un fond d'images médiévales, bibliques et païennes à l'utilisation de divers dialectes et la parfaite retranscription de la pauvreté, de la misère et des superstitions dans un contexte parfois quasi surréaliste. Ainsi s'enchainent six récits paillards qui à la différence de la plupart des
décamérotiques ne sont reliés par aucun fil conducteur. Tous les conteurs font en fait partie d'une étrange assemblée réunie autour d'un énorme feu (l'enfer?) où chacun va tour à tour narrer son aventure, grimé ou pas, sorte de curieuse messe grotesque qui déjà donne au film ce ton presque onirique qu'on retrouvera dans certains des épisodes.
Le premier sketch, 5ème jour, nouvelle X, s'intéresse au rustre Pietro Di Vinciolo qui suspecte sa jeune et belle épouse de le tromper. Ses doutes se confirment lorsque l'âne se met à brouter la main du bel amant soigneusement caché sous une caisse. Nu comme un ver, il se sauve à travers bois poursuivi par l'époux fou de rage qui finit par le rattraper. Il le
conduit à sa demeure, l'oblige à rester nu puis rabaisse son épouse mais troublé par le jeune homme, le mari cocufié finit par l'embrasser devant sa femme qui découvre ainsi son homosexualité.
Le deuxième récit, 3ème jour, nouvelle VIII, conte les mésaventures d'une jeune épouse qui fatiguée de la jalousie obsessionnelle de son mari, Ferondo, demande l'aide d'un moine. Après l'avoir assommé, celui ci lui fait croire qu'il est mort et qu'il séjourne au Purgatoire. Il le retient en fait prisonnier dans une grotte gardée par un être monstrueux. Si Ferondo veut ressusciter et revenir sur Terre il devra laisser son épouse faire tout ce qu'elle veut sans
jamais plus la surveiller. De retour sur Terre en véritable miraculé, il lui offre cette liberté dont elle a tant rêvé.
Le troisième récit, le plus mystique, 3ème jour, nouvelle VII, narre les aventures d'une jeune et innocente jeune fille, Alibech, partie en quête de sainteté et de foi chrétienne. Elle souhaite rencontrer Dieu afin de connaitre la pureté éternelle. Après un long voyage à pied à travers une lande étrange aussi inquiétante que déserte elle rencontre un saint qui lui indique le chemin de la grotte de Rustico, un jeune ermite qui la conduira à Dieu. Dérouté par la beauté d'Alibech, Rustico oublie ses voeux de chasteté, la tente en la convaincant de mettre son
"diable" dans son "enfer". Il débauche ainsi la jeune fille qui découvre les plaisirs charnels et les tourments du sexe. Insatiable elle finit par rendre Rustico impuissant. Alibech part alors à la recherche d'un autre saint ermite à épuiser.
Le quatrième conte, 7ème jour, nouvelle VII, met en scène la jolie Beatrice, épouse d'un commerçant, Egano, et amante de leur jeune garçon d'écurie, Anichino. Beatrice se sachant surveillée par son mari met en place un stratagème avec l'aide d'Anichno. Elle avoue que le garçon la séduite et doit la retrouver sous un arbre à la nuit tombée. Elle demande à Egano de revêtir une de ses robes et d'aller au rendez-vous à sa place. Anichino devra alors donner
le bâton au mari travesti tout en l'insultant de putain en précisant bien que ce rendez-vous était un piège afin de prouver la fidélité de Beatrice. Ainsi rassuré mais le visage tuméfié, Egano est désormais persuadé que son épouse lui est corps et âme dévouée. De quoi laisser à la jeune femme tout le loisir de le tromper avec son bel amant fougueux.
La cinquième histoire, 3ème jour, nouvelle V, est celle de Puccio un homme incroyablement pieux qui ne jure que par Dieu. Lasse, son épouse, Isabetta, sexuellement frustrée par les abstinences imposées, voit ses désirs se concrétiser lorsqu'un jeune frère, Don Felice, rend visite à son mari. Désirant plus que tout devenir un saint, Puccio demande au Frère comment
se rapprocher de Dieu. Pour cela, il devra rester allongé en croix sur une table en bois durant 30 jours et 30 nuits tout en contemplant les étoiles et récitant ses prières. Nul va sans dire que durant ce temps la belle Isabetta va pouvoir faire l'amour autant qu'elle le souhaite au jeune et fringant Frère.
Le dernier segment, 8ème jour, nouvelle VIII, met en scène deux amis, Spinelloccio et Zeppa, qui mènent des vies totalement différentes. Spinelloccio à peine rentré du travail ne pense qu'à monter sa femme, Zeppa quant à lui n'a que son travail en tête et délaisse son épouse. Il ignore que son ami satisfait les désirs de cette femme abandonnée. Lorsqu'il le découvre,
il met en place un stratagème. Spinelloccio attend que son ami ait fini de faire l'amour à sa femme, débarque dans la chambre avec l'épouse de son ami et la monte sur le coffre où Zeppa s'est caché. Spinelloccio aura bien pris soin de hurler durant l'acte qu'il n'y a pas de raison que lui aussi ne profite des charmes de la femme de son ami. Désormais à égalité, tous feront désormais l'amour dans le même lit ou la naissance de l'échangisme!
Si l'intention de Guerrini était de rendre hommage à Pasolini, mission réussie. Rarement avait on autant senti l'ombre du Maitre planer sur une décamérotique et c'est sans peine qu'on peut affirmer que Decameron N°2 est une des meilleures jamais tournée en l'espace des
deux années qui vit le genre s'épanouir sur les écrans. Si elle n'est pas la plus fournie en scènes érotiques et autres plans de nu, elle se rattrape sur cette atmosphère très spéciale, entre poésie et surréalisme, dans laquelle baigne chacun des six segments, plus particulièrement le troisième, le plus réussi, le plus envoutant également mais aussi le plus pasolinien. Comment en effet ne pas songer à Porcherie en voyant une toute jeune et innocente Camille Keaton pré-I spit on your grave errer en haillons dans un immense désert au sol craquelé noyé dans des nappes de brouillard, pénétrer de sombres grottes, avant de rencontrer un jeune ermite joué par le christique Heinrich J. Rudisser, éblouissant, dont la
ressemblance avec Pierre Clementi est tout bonnement frappante. Comment ne pas voir une référence au Maitre lorsque Camille suit les excréments de l'ermite qui la conduiront à lui, séquence audacieuse qui rappelle que la merde était une des composantes tant du Décaméron que des Contes de Canterbury.. On y retrouve également ce ton particulièrement hérétique dans la narration, cette notion très sexuelle du Diable et de l'Enfer hautement jouissive tant elle est drôle et joliment imagée mais qui mènera tout de même la frêle jeune fille droit à la folie, son propre enfer.
Les autres sketches sont à l'avenant même si moins marqués par Pasolini dont on retrouve
tout de même trace ça et là (la présence du jeune Salvatore Giocondo, comédien non professionnel tout comme Heinrich J. Rudiper, justement choisis pour leur profil pasolinien, dont on se régalera de la nudité, le faux purgatoire, l'homosexualité d'Enzo Pulcrano tombé sous le charme de Salvatore, l'érection de ce dernier dans la plus pure tradition des faux sexes pasoliniens... ) mais tout aussi empreints d'un onirisme franchement plaisant (Filippo De Gara crucifié sur une table en bois contemplant les étoiles en attendant d'être sanctifié, la procession des moines dans un décor campagnard glacial, la fausse résurrection de Mario Brega), l'ensemble bercé par une très belle partition musicale à la "Morricone" signée Burt Rexon et Elsio Mancuso. C'est Boccace lui même, du moins une voix-off qui se substitue au
célèbre écrivain, qui clôturera le film en récitant certains de ses vers.
On se réjouira de retrouver à l'affiche toute une brochette d'excellents acteurs et d'actrices pulpeuses à la bonne humeur communicative dont Mariangela Giordano, Krista Nell, Claudia Bianchi, Antonella Murgia, les non professionnelles Lidia Caroncini et une moustachue Bruna Olivieri sans oublier Camille Keaton qui toutes doivent ruser pour tromper leurs maris et profiter de leurs amants interprétés entre autres par Enzo Pulcrano, Fortunato Cecilia, Renzo Rinaldiqui malgré ses rondeurs ose une étonnante et totale nudité, Pupo de Luca, le livide Marcello Di Falco bien des années avant qu'il ne devienne une
femme (il se fit opérer en 1991) sans oublier les séduisants et juvéniles Fausto di Bella et Gino Milli crédité sous son vrai nom Luigi Miglietta. On mentionnera l'apparition très amusante du toujours aussi simiesque Salvatore Baccaro, cabotin à souhait, en gardien de purgatoire.
Rondement mis en scène, rehaussé par une photographie aux tons chauds, Decameron N°2: le altre novelle del Boccaccio, particulièrement fidèle aux nouvelles d'origine, reste à ce jour une des meilleures décamérotiques à découvrir de préférence dans sa version originale afin de profiter pleinement des dialogues souvent croustillants.