Werner Pochath: Un nom sans visage
De petite corpulence, fin, le regard perçant, un air souvent strict, Werner Pochath était ce qu'on appelle dans le monde du 7ème art une gueule. Il avait cette physionomie qui marque et qu'on n'oublie pas au même titre qu'un Henry Silva par exemple. A la différence de ce dernier, Werner Pochath n'a cependant jamais réellement eu son heure de gloire. Si son nom reste indissociable du cinéma de genre italien pour lequel il est trop souvent resté un acteur de second plan jusqu'à sa mort prématurée en 1993 c'est fort heureusement au théâtre et dans la mise en scène qu'il a su exprimer tout son talent. Aisément reconnaissable à son faciès inquiétant il a tout au long de sa carrière su incarner à la perfection les méchants à l'écran, des personnages en adéquation avec l'image qu'il renvoyait. Malheureusement trop peu de personnes se sont intéressées à cet acteur talentueux d'origine autrichienne. C'est donc avec émotion et tendresse que Le Petit Maniaco s'en charge aujourd'hui et lui rend un hommage bien mérité.
Né en Autriche à Vienne en 1939, le petit Werner, de son vrai nom Werner Pochlatko, n'avait déjà qu'une idée en tête durant son enfance: devenir acteur. A la fin de sa scolarité, ce passionné de ski de fond, une discipline dont il est alors champion, Werner s'inscrit dans une école de théâtre, le Max Reinhardt, afin d'obtenir une formation d'acteur classique. Ceci va le mener droit sur les scènes de Berlin, Vienne, Munich et Bale. Il joue très régulièrement au théâtre et se produit sur les plus grandes scènes d'Allemagne. Il obtient également un rôle dans la comédie musicale Annie get your gun aux cotés de Heidi Brühl. C'est tout naturellement qu'on va le retrouver sur les petits écrans allemands dés 1962 pour une belle brochette de téléfilms.
En 1968 il débarque à Rome pour jouer quelques pièces. C'est à cette occasion que sa carrière cinématographique italienne va débuter. Il obtient son premier rôle au cinéma grâce à Antonio Margheriti qui lui offre un petit rôle dans son western Vengeance. C'est l'année suivante que Werner va enfin percer sur les écrans lorsque Massimo Dallamano le fait tourner aux cotés de Laura Antonelli dans Venere in pelliccia / Vénus en fourrure, une courte séquence durant laquelle il fait l'amour à Laura en pleine forêt sous l'oeil espion de son mari régis Vallée. La carrière du petit autrichien est lancée, rien ne l'arrêtera plus désormais. Il tourne encore quelques films en Allemagne puis dés 1971 Werner va apparaitre dans quelques gialli dont Le chat à neuf queues de Dario Argento où il joue Manuel et L'iguana dalla lingua di fuoco de Riccardo Freda.
C'est à cette époque que Werner va commencer à toucher un peu à tous les genres et sous-genres du cinéma de genre transalpin. S'il continue à tourner en Allemagne il va devenir un acteur récurrent du cinéma Bis italien dés le milieu des années 70. Il se permet même de figurer dans quelques séries télévisées françaises dont l'inoubliable Deux ans de vacances tirée de l'oeuvre de Jules Verne et réalisée par Gilles Grangier et Sergiu Nicolaescu. Il y est l'impitoyable pirate Forbes. On le voit également dans La lumière des justes de Yannick Andrei aux cotés de Chantal Nobel.
Au cinéma il tourne pour Lucio Fulci dans Le retour de Croc-Blanc, sous la direction de Sergio Corbucci il est un des protagonistes de J. S: criminal story of an outlaw couple / J.S: storia criminale del Far West. Il touche également au polar avec Magnum Cop / Poliziotto senza paura de Stelvio Massi avec Maurizio Merli et Inspecteur Bulldozer / Piedone l'africano de Steno avec pour partenaires Bud Spencer et Dagmar Lassander. Franz Antel fait appel à ses services pour jouer le marquis de Fulcenzo dans sa poussive adaptation de carnaval du Casanova avec Tony Curtis, Casanova and C° / 13 femmes pour Casanova.
En 1979, il interprète Ramon, un des hors la loi de Il cacciatore di squali / Tueurs de monstres, un très agréable film d'aventures tropicales signé Enzo Castellari qui mélange film de requins, chasse au trésor et film exotique. Werner s'y mesure à un Franco Nero survolté.Il tourne ensuite l'un de ses plus mémorables rôles, celui d'un des violeurs de Terreur express / La ragazza del wagone letto de Ferdinando Baldi sous un scénario de George Eastman. Film brutal et malsain, l'acteur trouve là un rôle parfait, à la hauteur de son faciès inquiétant même si le film est en soi chaotique.
C'est à cette époque que Werner Pochath révèle son homosexualité et officialise sa relation avec le célèbre danseur et directeur de ballet allemand John Neumeier dont il partagera la vie jusqu'à sa mort. Durant plus d'une décennie Neumeier aura été le grand amour de Werner. A l'écran il continue cependant à jouer des personnages virils souvent ignobles.
Les années 80 seront aussi très prolifiques pour lui tandis qu'il passe du brun au blond. Il commence par Il cacciatore di uomini / Chasseurs de l'enfer / Chasseurs d'hommes de Jess Franco dans la mouvance des films de cannibales. C'est à partir de 1984 qu'il revient au cinéma transalpin après quelques tournages en Allemagne. On le voit dans deux films de Tonino Ricci Rabbia-fuoco incrociato / Rush 2 et I giorni dell'inferno stupidement rebaptisé en France Rush 3. Il enchaine avec deux films de guerre signés Umberto Lenzi Cinq salopards en enfer avec Ivan Rassimov et Antonio Sabato et surtout l'étonnant
Wartime / Tempi di guerra où il incarne avec talent un officier SS sadique, son dernier véritable bon rôle. Toujours dans le registre du film de guerre, on le voit dans le très moyen Blood commando / La sporca insegna del coraggio de Tonino Valerii où il est ironiquement un ancien soldat du Vietnam devenu travesti.
C'est alors que Werner va apprendre qu'il est atteint du Sida. C'est avec courage qu'il va prendre la nouvelle et continuer avec rage son métier, sa seule raison de vivre depuis toujours. Il tourne les médiocres Thunder 3 de Fabrizio de Angelis avec Mark Gregory, Ratman / Quella villa in fondo al parco de Giuliamo Carnimeo avec Janet Agren ou encore Cop game de Bruno Mattei.
Puis, ce sera doucement le déclin pour Werner, du moins au cinéma, puisque le cinéma de genre transalpin est à l'agonie depuis déjà quelques années. Ce n'est pas pour autant que la carrière de Werner ralentit. Parallèlement au cinéma l'acteur n'a jamais cessé de monter sur les planches. Ce passionné de théâtre n'a en effet jamais arrêté de jouer sur scène, enchainant pièces et comédies musicales depuis des années, la musique faisant aussi partie de sa vie. On le reverra au grand écran en 1989 dans Born to fight de Bruno Mattei. Déjà bien fatigué il apparait ensuite dans Laser mission de B.J Davis en 1990 aux cotés de Brandon Lee et Ernest Borgnine.
Avec courage, il réussira à tourner son dernier film en 1992, Auntie Lee's meat pies, un sympathique film d'horreur signé Joseph Robertson avec Karen Black en maitresse de maison aussi accueillante que cannibale. Werner y apparait très brièvement dans le rôle de l'épicier, presque un caméo tant il faut être attentif pour l'apercevoir.
Il s'éteindra malheureusement à Kempfenhausen en Bavière le 18 avril 1993 dans les bras de John Neumeier, le grand amour de sa vie, laissant dans l'esprit de tout ceux qui l'ont connu le souvenir d'un homme passionné par son métier, un forcené du travail, mais également l'image d'un homme enjoué, festif, aimant s'amuser et profiter de la vie, à l'opposé des personnages qu'il a interprété tout au long de sa prolifique carrière.Toute sa carrière durant et malgré une filmographie qui compte une cinquantaine de films où il donna la réplique aux plus grands, Werner Pochath est resté dans l'ombre des géants, injustement délaissé ou sans cesse relégué au second plan. Il fut et restera pourtant un des incontournables acteurs de l'Euro-genre qui sut donner à chaque fois le meilleur de lui même avec un professionnalisme incontesté malgré la souffrance et la maladie. Il a vécu à fond son rêve d'enfance et même s'il n'a jamais eu droit à la starisation, il est allé au bout de sa passion en donnant le meilleur de lui même y compris dans ce qu'il a fait de plus médiocre. Pour cela, on dit respect et bravo Monsieur Werner Pochath.

