Eleonora Fani: Le déclin d'une femme-enfant
Qui mieux que Eleonora Fani souvent créditée sous le nom de Leonora Fani sut incarner la femme-enfant dans le cinéma de genre italien? Eternelle adolescente aussi perverse que pervertie, Eleonora a marqué de son visage candide et de son corps si gracile toute une décennie de cinéma sexy italien même si on se souviendra surtout du rôle particulièrement scabreux qu'elle tint dans Bestialità où la belle vit une relation contre-nature avec un doberman.
Qui était donc vraiment cette jeune actrice, ce bout de femme au corps d'adolescente insatiable, au sourire tiède, à la fois timide et sauvage comme la décrivait un journaliste de l'époque, déjà trop grande pour être une starlette mais trop peu importante pour être une star? Le Maniaco va tenter de mieux vous faire découvrir la troublante Eleonora Fani.
De son vrai nom Eleonora Cristofani, la future comédienne est née en 1954 à Cornuda, petit village de Trévise. Très vite, elle se fatigue de cette triste vie provinciale, coincée entre une famille dont elle se sent prisonnière et un père qui a la main facile. Eleonora rêve d'une toute autre vie, se gorge de rêves et d'espoirs. Comme beaucoup de jeunes filles rêveuses qui aspirent à une certaine reconnaissance, elle finit par poser nue pour quelques revues. Elle sera la fille du mois du numéro de novembre 1973 de Playmen, cachée sous une fausse identité, celle d'Elena Ferrari, une supposée jeune étudiante romaine. Malheureusement et malgré son pseudonyme, elle est reconnue. Ses photos seront affichées à la porte d'entrée de son école et contre les murs de la maison paternelle. Le scandale est si énorme qu'Eleonora doit fuir et quitter Cornuda. Elle s'installe alors à Rome, bien décidée à réaliser ses rêves. Et le plus grand rêve d'une jeune fille de vingt ans est le plus souvent de devenir un jour une star du grand écran.
Suite aux photos publiées, toute une horde de producteurs et de distributeurs vont dés lors se précipiter à sa porte, très intéressés par cette troublante jeune fille.
Dés 1974, après une fugace apparition sous son vrai nom dans Metti...che ti rompo il muso de Giuseppe Vari, elle se voit proposer trois films dont un en tant qu'actrice principale, La svergognata de Giuliano Biagetti qui se veut une sorte de revisitation du mythe de Lolita où elle interprète Ornella, jeune fille précoce et désinhibée qui tentera de séduire un écrivain d'âge mûr joué par Philippe Leroy. Suivra Amore mio non farmi male, une comédie sentimentale de Vittorio Sindoni où elle joue une jeune fille décidée à découvrir les joies de l'amour avec son petit fiancé malgré la ferme opposition de ses parents très pieux. Une suite sera donnée Son tornate a fiorire le rose. Vittorio Visti la choisit ensuite pour incarner la jeune Emanuella dans Lezioni private aux cotés de Carroll Baker. Eleonora va être très vite cantonnée dans les rôles de Lolita, de jeunes séductrices, d'adolescentes perverses en rapport avec son physique ambigu contrastant avec son coté timide et introverti.
Suite à sa rencontre avec le producteur Diego Spatano, elle tourne en 1975 sous la direction de Demofilo Fidano Calde labbra / Maitresse à tout faire aux cotés de l'ex-star française du X, Claudine Beccarie, un mélodrame érotique aux teintes surannées, morbide et poisseux, où plane l'ombre sournoise de la névrose. S'il existe une version hard avec inserts X que ne tourna pas Eleonora, il comporte néanmoins une belle scène de saphisme plutôt explicite entre elle et Claudine. Eleonora le plus souvent créditée Leonora fera par la suite quelques apparitions dans des films de moindre importance jusqu'en 1976 où elle est la protagoniste de l'incroyable et audacieux Bestialità de Peter Skerl, un des films italiens les plus controversé et censuré avec notamment La maladolescenza. Ce film marquera à jamais sa carrière au vu du sujet qu'il traite avec une hardiesse extraordinaire, la zoophilie, puisqu'il conte les amours contre nature d'une adolescente névrosée avec son chien.
En 1977, Leonora voit enfin peut-être la chance lui sourire quand Salvatore Samperi lui propose d'être l'héroïne de son prochain film Nenè. Elle y sera une adolescente qui sera responsable entre autre de l'éveil sexuel de son jeune cousin de sept ans. Malgré ses vingt trois ans, elle campe encore facilement une jeune fille de quatorze ans grâce à son physique d'éternelle adolescente qui est désormais sa marque de fabrique. Même si la critique est plutôt favorable au film en Italie, l'accueil du public se fait froid. Leonora manque donc en partie la belle occasion de se faire une place au soleil. Elle va alors s'orienter définitivement vers le cinéma de genre et apparait toujours de plus en plus nue. C'est ainsi qu'on la voit dans Né pour l'enfer / La notte si tinse di sangue de Denis Heroux et le très sombre et délirant Perche si uccidono le merde de Mauro Macario dans le rôle d'une jeune droguée. Mais on retiendra surtout l'excellent giallo Pensione paura de Francesco Barilli en 1978 avec Luc Merenda. Dans ce film morbide dans lequel elle campe une adolescente névrosée qui reprend la sordide auberge parentale durant la seconde guerre mondiale, Leonora montre toute l'étendue de son talent et prouve ainsi qu'elle peut être une très bonne actrice, loin des rôles érotiques auxquels on la confine trop souvent.
La fin des années 70 approchent. Elle tourne pour Enzo Castellari l'inégal film d'horreur Sensitivà / La casa vicino al lago / La diablesse que le réalisateur renia par la suite tant il le trouve médiocre. On la voit ensuite dans Amore mio de Luis Valdivieso mais le déclin est proche. Son chant du cygne cinématographique sera le sordide sexy giallo Giallo a Venezia de Mario Landi où elle apparait quasiment nue tout au long du film. Elle y a également les scènes les plus hard de sa carrière dont une masturbation frontale plus qu'audacieuse et une brutale sodomie par un mari pervers et voyeur qui aime la partager avec d'autres hommes. Force est de constater que si Leonora y est encore splendide, elle n'a plus la fraîcheur de ses vingt ans et son physique donne doucement des signes de fatigue. En 1980 elle a la chance de tourner pour le japonais Yasuzo Masumura Eden no sono / Il giardino dell'Eden, une coproduction italo-nipponne qui se voulait être un nouvel Empire des sens, un croisement entre Roméo et Juliette des temps modernes et Le lagon bleu sur fond de drame anti bourgeois. Inégal, incertain le film brille surtout pour la beauté et nudité quasi omniprésente des deux protagonistes, Leonora et le jeune Ronni Valente qui tels Adam et Eve vivent nus leur idylle sur cette plage isolée. Malheureusement le film ne sortira jamais en salles. Elle qui misait beaucoup sur ce film pour sortir enfin du giron de l'exploitation en
sort minée. Déçue, désillusionnée la comédienne voit ainsi l'espoir d'envol de sa carrière disparaitre. Leonora va alors doucement toucher le fond. Toujours en 1980 elle est à l'affiche d'une comédie populaire signée Oscar Brazzi, Champagne e fagioli, mais hormis de très beaux nus, elle ne semble pas y avoir réellement sa place. On la voit en 1981 dans le décevant drame érotique Peccati a Venezia de Amasi Damiani aux cotés d'une Marisa Mell vieillissante, dans Uomini di parole, un drame mafieux raté de Tano Cimorosa puis en 1982 dans le thriller urbain sombre et désespéré Difendimi dalla notte le premier film de Claudio Fragasso. Ce sera l'ultime apparition de Leonora au grand écran, un rôle fort, celui d'une toxico-dépendante amoureuse de son frère, un ex-ecclésiastique qui a perdu la foi, mais qui ne suffira pas à redonner espoir à la comédienne.
Leonora n'est désormais plus une référence pour les producteurs. L'actrice déchue va alors se tourner vers la télévision, son dernier espoir pour relancer une carrière au point mort. Elle apparait dans le téléfilm de Sergio Sollima I ragazzi di celluloide, dans la série en trois parties Dei mei bollenti spiriti avec Franca Stoppi qui un temps fut son amie depuis leur rencontre sur le tournage de Bestialita. Mais une fois de plus ce sont deux échecs qui minent encore plus la pauvre Leonora.
En 1986 lasse, désenchantée, Leonora Fani fait ses adieux à l'écran et même ses adieux tout court. L'ex-femme-enfant du cinéma italien a voulu disparaître totalement et quitter définitivement le monde public en se retirant incognito quelque part en Italie. Les seules informations plutôt vagues qu'on a d'elle aujourd'hui proviennent de sa soeur Giuseppina. Eleonora a aujourd'hui une nouvelle vie, elle est entrepreneur.
Cruellement déçue par son parcours cinématographique qui ne lui a pas offert ce dont elle rêvait depuis son adolescence, la belle Eleonora s'en est trouvée blessée au plus profond de son âme. Même si d'un commun accord tous les cinéastes et comédiens qui ont eu la chance de tourner avec elle gardent d'Eleonora le souvenir d'une jeune femme travailleuse, douée, attachante, particulièrement sympathique mais timide et introvertie, elle ne souhaite aujourd'hui ni parler ni se remémorer son passé. Quoiqu'il en soit pour notre part, on se souviendra encore longtemps d'elle, de ce visage candide au regard à la fois doux et sauvage qui a tant su nous charmer tout au long d'une carrière qu'on aurait aimé beaucoup plus étoffée.