Franca Scagnetti: la Mamma Roma
Tout le monde connait son visage et ses rondeurs, peut être encore plus l'amateur de cinéma de genre puisque cette femme aux formes généreuses a traversé plus de quarante ans de cinéma italien le plus souvent sans avoir eu la moindre ligne de dialogue. Elle était tout simplement une de ces incontournable figure générique sur laquelle il est souvent difficile de mettre un nom. Elle a tourné jusqu'à pratiquement son dernier souffle puis s'en est allée comme elle était venue. Le Maniaco ouvre aujourd'hui son grand livre à la lettre F et vous invite à découvrir qui se cachait derrière l'image de cette femme ordinaire, une femme tout simplement nommée Franca Scagnetti.
Née à Rome le 17 mai 1924 rien ne prédestinait Franca Scagnetti à faire carrière au cinéma. Issue d'une famille de prolétaires Franca a passé quasiment toute sa vie dans un paisible quartier de la capitale, rue Gregorio IX. Elle était femme au foyer parmi des milliers d'autres dont la vie allait être à jamais chamboulée un beau jour de l'année 1970. A 36 ans elle fait ses deux premières apparition à l'écran en tant que simple figurante non créditée tout d'abord dans le western de Paolo Bianchini Hey amigo... tu es mort où elle interprète la femme de Claudio De Davide puis dans la comédie Nini tire-bouchon de Marcello Fondato où cette fois elle est une habilleuse. Il faut cependant signaler qu'un doute subsiste sur la
toute première apparition de Franca à l'écran. En effet il se pourrait qu'elle ait furtivement participé au film Liola en 1964, la jeune fille qu'on aperçoit à la fenêtre, mais à ce jour aucune preuve tangible n'a été apportée. Il faut dire que durant toute sa carrière Franca va se faire la spécialiste des apparitions furtives, des caméos, des petits rôles souvent non crédités ou muets. Si sur l'imdb sa filmographie ne rassemble que quelque quatre-vingt films et téléfilms ses admirateurs ont de leurs cotés répertorié 210 films, photos à l'appui, mais il est plus que probable qu'elle en ait tourné encore bien plus. Avant sa mort Franca aurait avoué aux infirmiers qui la soignaient avoir tourné en tout et pour tout 625 films. Tenter
de la repérer devient donc un jeu pour le bissophile qui doucement mais sûrement vient faire au fil du temps grossir la liste des pellicules dans lesquelles elle est apparue ne serait-ce que quelques secondes.
Après ces débuts à l'écran en 1970 Franca ne va plus cesser de tourner. Il faut dire que son physique ne passe pas inaperçu. Franca fait partie de ces fameuses "gueules" du cinéma, celles qui marquent, qu'on n'oublie pas. Les réalisateurs ne s'y trompent pas et vont faire de cette femme aux formes généreuses, au physique plutôt ingrat, la caricature parfaite de la paysanne, l'ouvrière, la prolétaire, la villageoise, la femme du peuple, l'épouse, la voisine, la
mère ou la badaude lambda quelconque à des fins comiques, colériques ou même horrifiques. Au fil des mois, des années, les rôles plus ou moins marquants vont donc se multiplier. Franca devient très vite l'actrice générique la plus connue d'Italie tant et si bien que sa popularité arrive même à faire de l'ombre aux comédiennes confirmées voire aux stars d'alors. Franca devient à Rome une sorte d'icône, une célébrité qu'elle vit très bien même si sa vie au quotidien n'a pas réellement changé. Elle est toujours femme au foyer, une bonne vivante qui vit comme Madame tout le monde, fait son marché sur la place, son ménage et n'est jamais la dernière à mettre de l'ambiance. Tout ceux qui l'ont connu, ses voisins, ses
amis, les gens de son quartier se souviennent de sa spontanéité, de sa sympathie, de sa bonhomie typiquement romaine qui lui avait valu le surnom de Mamma Roma. Et c'est sous ce surnom qu'on la connait encore aujourd'hui, qu'on se souvient d'elle. Franca était l'incarnation de la véritable romaine. Elle aimait passer du temps dans deux bars très connus des romains, le bar Di Somma et le Pio IX, où se retrouvaient les artistes d'alors, des personnages souvent extravagants, excessifs, qui étaient ses amis. Franca était aussi à elle seule un vrai personnage que le cinéma a parfaitement su utiliser.
Parmi les films les plus connus tout genre confondu dans lesquels on peut la voir ou
l'apercevoir on peut citer Au nom du peuple italien, Nous sommes tous en liberté provisoire, Le syndicaliste, Les aventures de Pinocchio de Comencini, Trastevere, Le nouveau boss de la mafia, Le notti peccaminose di Pietro l'Aretino, L'argent de la vieille, Rapt à l'italienne, Mademoiselle cuisses longues, Bistouri la mafia blanche, Le sexe fou, 4 zizis au garde à vous, La sculacciata, The arena, Le scomunicate di San Valentino, Giuda uccide il venerdi, Parfum de femme, Deux grandes gueules, Il venditore di palloncini, Amore mio non farmi male, Rome violente, Vai gorilla, Son tornate a fiorire le rose, La flic chez les poulets, Remo e Remolo, L'adolescente (de Brescia), MKS 118, La verginella,
L'autre coté de la violence, La toubib du régiment, Cuginetta amore mio, Febbre da cavallo... . En 1977 elle est au générique de Suspiria, un rôle qui ne peut passer inaperçu puisque le temps de quelques scènes seulement elle est l'effrayante cuisinière au hachoir de l'académie de danse aux cotés du petit Jacopo Mariani. Par la suite on peut encore citer Casotto de Franco Citti, La toubib se recycle, Mala amore e morte, Il mostro, Avoir 20 ans, Brigade anti-racket, Porca società, Tutto suo padre, Une langouste au petit déjeuner, Pardon vous êtes normale?, Le justicier au gardénia, Arrivano i gatti, Mélodie meurtrière, Una vacanza al Cactus, I figli so' pezzi e 'core, Les derniers monstres, Sapore di mare,
Borotalco, Mamma Ebe, Vacanze di Natale. Elle apparait aussi dans quelques aventures de Pierino et encore plus sur le tard dans Pasolini un delitto italiano. Dans les années 80 sa notoriété est telle qu'elle se permet d'apparaitre dans quelques productions hollywoodiennes tournées en Italie comme Monsignore aux cotés de Christopher Reeves. Franca participa également à l'écriture de quelques scénarii notamment pour la célèbre série I ragazzi della 3C dans laquelle elle a aussi joué.
Les années 90 seront bien plus difficiles pour Franca. L'industrie du cinéma va mal. Le cinéma de genre est mort depuis déjà bien des années. Franca se voit de moins en moins
sollicitée. Elle se sent d'autant plus oubliée des réalisateurs que sa situation financière est au plus mal. Franca a de gros problèmes d'argent, sa situation sociale devient précaire. Elle est seule, n'a plus de famille. En 1995 elle est l'invitée de l'émission "Domenica in". Interviewée par la présentatrice Mara Venier Franca fond en larmes en évoquant ses problèmes. Elle supplie alors en direct qu'on lui donne du travail pour qu'elle survive. L'émotion est à son comble. Franca fera par la suite quelques apparitions remarquées dans des séries télévisées à succès où elle retrouve les faveurs du public en jouant toujours
et encore des personnages attachants notamment dans Casa Vianello en 1998, Don Matteo et Un medico in famiglia en 1998 et 1999. Son ultime rôle sera en 1999 dans Regina Coeli de Nico D'Alessandria.
Atteinte d'un mal incurable Franca s'éteint quelques mois plus tard à l'âge de 75 ans, le 1er novembre 1999. Dans le quartier de Rome où elle a passé sa vie personne n'a oublié Franca, La mamma Roma, dont le portrait a été dessiné sur un mur, rue Sisto IV, en guise d'hommage à celle qui y a laissé une empreinte indélébile comme celle qu'elle a laissé dans le cœur des cinéphiles et de tous les bissophiles. Tout simplement pour eux ce sera non pas Franca la "Mamma Roma" mais Franca l'irremplaçable.