Annj Goren: la tragédie d'une orpheline
Le cinéma d'exploitation italien fourmille de visages éphémères qui le temps de quelques films seulement surent souvent séduire, faire rêver, parfois exciter et bien entendu intriguer le spectateur. Certains réalisateurs avaient même leurs starlettes attitrées comme l'incontournable Joe D'Amato. Le temps de sa période érotico-exotique dominicaine, soit sept films tournés en 1979 en l'espace de quelques mois, D'Amato eut la plupart du temps recours à la même équipe de comédiens qui passait allégrement d'un film à un autre, parfois même par la magie de simples inserts. Ce fut le cas de la mutine dominicaine Lucia Ramirez dont nous avons récemment parlé dans nos colonnes, incarnation de la beauté métisse et de la sensualité passive.
Ce fut aussi le cas pour la jeune et séduisante Annj Goren, véritable antithèse de la douce Lucia. Annj incarnait plutôt la fringale charnelle, insatiable, dévorante. Elle était à la vulgarité ce que Lucia était à la sensualité et à l'érotisme.
Annj, voilà bien un étrange pseudonyme qui de céleste n'en avait que la sonorité. Derrière ce nom se cachait une toute jeune italienne dont le véritable patronyme serait non pas Anna Maria Napolitano comme on l'a vu et le voit encore souvent écrit mais Vanna Napolitano si on en croit l'actrice Dirce Funari qui fut une de ses amies proches. C'est d'ailleurs sous ce prénom qu'elle est créditée dans une des versions de El regreso di Eva man. Quoiqu'il en soit tentons de découvrir aujourd'hui qui se dissimulait sous cet énigmatique sobriquet.
Vanna parfois également créditée sous les pseudonymes de Anne Goren, Renata Napolitano ou encore Rosamaria Napolitano est est née le 28 aout 1956 à Bologne. Elle fut remarquée par Joe D'Amato en 1979 alors qu'elle n'était qu'une jeune étudiante que Diego Spataro connaissait bien puisqu'elle habitait alors dans une pension voisine de ses bureaux. Diego l'a croisait souvent dans les bars qu'elle ne quittait pas de la journée. Elle passait son temps à jouer au flipper. Vanna avait surtout de sérieux problèmes avec la drogue. Elle n'avait pas de famille, avait grandi dans un orphelinat et vivait de manière plutôt misérable.
C'est à cette époque que D'Amato lui offre alors une toute petite apparition dans Il pornoshop della settima strada. Son apparition relève presque du caméo tant et si bien qu'elle n'est même pas créditée au générique. C'est l'année suivante qu'il lui offre un rôle plus conséquent dans Sesso nero où elle incarne le fantôme qui hante Mark Shannon. Annj y tourne ses premières scènes X dont cette longue fellation gourmande sur la plage à la fin du film. Mark se souvient d'elle comme d'une fille charmante, désinhibée et très sympathique malgré ses problèmes d'addiction même s'il voyait d'un mauvais oeil cette liberté sexuelle dont elle faisait preuve notamment à Saint Domingue à une époque où on commençait à parler du Sida. Il demanda d'ailleurs à D'Amato de limiter ses scènes avec elle pour cette raison.
Annj est ensuite au générique de son rape and revenge Hard sensation où cette fois elle se laisse aller à de torrides ébats saphiques et tout aussi pornographiques avec entre autres sa grande amie Dirce Funari et Lucia Ramirez avant de tomber aux mains de leurs lubriques ravisseurs.
On la voit ensuite dans Porno Holocaust, son film le plus conséquent, où dans le rôle d'une jeune comtesse elle se déchaine notamment lors d'une double fellation avec deux dieux noirs sculpturaux dans un hall d'hôtel qui s'achèvera en éjaculation faciale. Cette séquence plus sale qu'excitante où Annj fait surtout pitié tant elle semble dégoutée, écoeurée par cette besogne reflète peut être tout le malheur de sa vie d'alors. Durant sa période dominicaine Annj travaillait parallèlement comme serveuse dans une auberge afin de gagner de l'argent et passait ses nuits en discothèque. Elle était nymphomane et ne pouvait vivre sans sexe. Peut-être était-ce là également un moyen d'oublier sa misérable existence. Tous les détails de sa vie débridée c'est à Dirce Funari qu'on les doit. Dirce était devenue très amie avec Annj avec qui elle partageait sa passion pour l'art et la peinture. Très liées les deux jeunes femmes restèrent en contact après qu'elles aient mis fin à leur carrière.
Après cette série de polissonneries dominicaines Annj est à l'affiche d'un nouveau hardcore mais parodique cette fois Eva man due sessi in uno de Antonio D'Agostino tourné fin 1979. Elle y joue une soubrette et s'adonne aux joies du sexe hétérosexuel amis aussi du saphisme lors de longues scènes d'amour avec Ajita Wilson et la transgenre Eva Robins. On la revoit la même année dans une pseudo suite toujours aux cotés de Eva Robin et Ajita Wilson, El regreso di Eva man, non plus réalisée par D'Agostino mais par Zacarias Urbiola. Elle y apparait sous le pseudonyme de Renata Napolitano mais aussi selon les copies sous le nom de Vanna Napolitano. Eva et Annj seront une dernière fois réunies en 1979 dans La cerimonia dei sensi de Antonio D'Agostino. Annj y apparait brièvement dans le rôle d'une participante à une orgie. L'oeil exercé de l'amateur s'amusera donc à la repérer. Vanna fut une amie proche d'Eva chez qui elle aimait passer beaucoup de temps, notamment dans son superbe jardin où toutes deux faisaient librement l'amour si on en croit les souvenirs du critique Vittorio Spiga qui l'a bien connu.
Toujours cette même année on la voit mais non créditée au générique de Dolce calda Lisa de Adriano Cesari. Elle participe uniquement aux séquences hardcore du film en incarnant la jeune partenaire de Guia Lauri Filzi. On la voit une dernière fois à l'écran dans Déchainements pervers de Manuela même si cette fois il s'agit d'un simple montage de séquences de films où elle était apparue auparavant.
Vanna disparut par la suite des écrans. Diego Spataro découvrit totalement par hasard sa participation à ses films en achetant les droits de Sesso nero. Il la croisa quelque temps plus tard dans un bar. Elle avait quitté sa pension et se sentait très mal car jamais elle n'avait pensé que ces films sortiraient en Italie. Vanna était persuadée qu'ils étaient destinés à l'étranger. Connaissait elle seulement les termes des contrats qu'elle avait signé? Voilà peut être tout le drame qui se cachait derrière la beauté des paysages tropicaux où s'ébattaient, libres et insouciants, les protagonistes amateurs de ces pellicules choisis très souvent sur le terrain.
Par la suite, poussée par Dirce Funari, Vanna suivra un temps des études dans une école d'arts mais le destin s'acharnera sur elle, peu aidée par son petit ami d'alors, un toxicomane. Psychologiquement trop faible pour se battre, trop faible pour entrer en cure de désintoxication, l'héroïne aura finalement raison d'elle. Au grand désespoir de Dirce Funari qui aujourd'hui reste très affectée par sa tragique disparition elle meurt d'une overdose peu de temps après avoir mis fin à sa brève et involontaire carrière cinématographique. Elle avait vingt quatre ans.
Anna Maria ou Vanna, quelque soit son véritable prénom ne laissera d'elle que ces quelques traces dominicaines malheureusement guère reluisantes qui aujourd'hui encore font n'en doutons pas la joie de ses admirateurs sans jamais avoir déclenché chez eux, soyons en certains, un quelconque holocauste porno.