Ines Pellegrini: Une comète venue d'Afrique
Ines Pellegrini ! Voilà bien une des plus belles actrices de couleur du cinéma de genre italien. Si son nom suscite peu de choses en vous, le simple fait d'évoquer Les 1001 nuits de Pier Paolo Pasolini devrait réveiller nombre de souvenirs. Elle y interprétait la belle esclave Zummurud que le jeune Nurredin allait acheter avant de la perdre et passer le restant du film à tenter de la retrouver au fil de nombreuses aventures.
La belle Ines nous venait droit d'Afrique. De son vrai nom Macia Pellegrini, Ines est en effet née en 1954 à Massua. Son père adoptif est italien, sa mère éthiopienne. Elle fait sa scolarité dans des écoles italiennes et passe avec succès son diplôme de comptabilité après avoir travaillé très dur. A 17 ans, elle quitte son pays natal pour s'installer à Milan avec son beau-père très protecteur afin de mettre à profit son brevet. Malheureusement, la réalité est parfois bien différente de ce qu'on souhaite et la jeune fille se retrouve vendeuse dans un magasin d'appareils photo.
C'est alors qu'elle rencontre un agent artistique qui lui propose de tenter sa chance au cinéma en lui offrant un rôle dans le prochain film de Pasolini, Les 1001 nuits. Peu intéressée, Ines décline tout d'abord la proposition avant de l'accepter enfin, voyant là un moyen rapide et efficace de gagner beaucoup d'argent pour réaliser son rêve: retourner en Afrique pour monter sa propre affaire. Elle apparait sous son vrai nom dans Rivages sanglants / Noa Noa de Ugo Liberatore auprès de Hiram Keller avant une brève figuration en tant que danseuse dans Seduzione coniugale de Franco Daniele puis sous le pseudonyme de Macha Erit elle est une des servantes de la reine de France (Luciana Turina) dans la comédie en costumes Li chiamavano i tre moschettieri... invece erano quattro.
Si ses talents de comédienne sont plutôt réduits Ines séduit de suite le maître Pasolini par
son sourire lumineux et espiègle fendant son visage mutin. C'est le réalisateur lui même qui
lui donna le pseudonyme d'Ines qu'il surnommait la Mangano noire. Ines a 18 ans, il en fait sa muse. La jeune comédienne traverse ainsi tout le film avec une grâce et une fraicheur inégalable, formant avec le jeune Franco Merli un couple étonnant d'innocence et de spontanéité. C'est ce naturel, cette fraicheur qui va conquérir le public. Dés lors, Ines ne cessera de tourner.
En 1975, Pasolini lui offre un petit rôle plus dramatique cette fois dans Salo et les 120 journées de Sodome. Elle y incarne la servante noire qui sera exécutée en fin de film avec son amant pour avoir eu des relations sexuelles interdites. Sa facilité de jouer nue devant une caméra ne passe pas inaperçue aux yeux des metteurs en scène. La jeune actrice va alors souvent se retrouver à l'affiche de comédies légères.
En 1976, elle obtient enfin le premier rôle dans un film. Ce sera le très enjoué Una bella governante di colore / Jeunes filles sur canapé de Luigi Rossi où ses charmes exotiques sont loin de laisser de marbre le jeune Jean Claude Verné, le héros de Un urlo dalle tenebre / Bacchanales infernales. Malgré sa timidité, son coté très peu exhibitionniste, Ines va accepter de se montrer le plus souvent nue à l'écran. C'était le seul moyen avoue t-elle aujourd'hui de gagner un peu d'argent à cette époque et tenter de survivre d'autant plus qu'être une actrice de couleur compliquait d'autant plus les choses.
On la voit ensuite dans le très beau La fine dell'innocenza de Massimo Dallamano où dans la peau d'une bonzesse au crâne rasé elle donne la sage réplique à Annie Belle. Puis ce sera Scandalo in famiglia / La lycéenne se marie de Marcello Andrei avec Gloria Guida.
Dés 1977, la belle actrice va toucher à un autre style de film: le polar et le film de violence très en vogue alors. C'est d'abord le film de Massimo Pirri, Italia: Ultimo atto? dans lequel elle fait une plus que furtive apparition et surtout en 1978, le film de Giovanni Brusatori, Le evase, storie di sesso e violenza où elle interprète Terry, une des jeunes filles prises en otages par les féroces Lili Carrati et Marina D'Aunia auprès desquelles elle décidera de se ranger lors du dramatique final. Il est intéressant de savoir que ce rôle était au départ destiné à Gloria Guida. Les producteurs ayant refusé qu'il y ait un second grand nom en tête d'affiche après celui de Lili Carati, le personnage revint à Ines. La belle érythréenne n'en était pas à ses premiers pas dans le domaine de la violence graphique puisqu'en 1974 elle avait été une des héroïnes du giallo de Umberto Lenzi, Gatti rossi in un labirinto di vetro où elle interprète Naiba, la petite amie de Mirta Miller qui allait donner du fil à retordre au mystérieux assassin. Inès est alors au sommet de sa gloire. Elle incarne la beauté d'ébène qui fait rêver le spectateur. Elle fait la Une des magazines de charme et apparait même dans l'édition italienne de Playboy.
Après un petit rôle de servante dans le médiocre La lycéenne se marie puis la farce de cabaret Orazi e Curiazi 3-2 de Giorgio Mariuzzo, Ines, cachée sous une perruque blonde coupe au bol, tourne en 1978 un petit film de science-fiction, le piètre La guerre des robots/ La guerra dei robot de Alfonso Brescia aux cotés de toute une pléiade d'acteurs dont Antonio Sabato, Malisa Longo, Patrizia Gori ou Venantino Venantini. Elle fait ensuite une très brève apparition dans le drame Comincera tutto un mattino: io donna tu donna de Elo Pannaccio.
Les propositions vont par la suite se faire plus rares, le cinéma de genre commençant aussi à décliner. Ines disparait peu à peu des écrans. Elle réapparait en 1980 dans une dramatique Prima della lunga notte / L'ebreo fascista de Franco Molé où elle joue aux cotés de Ray Lovelock et Silvia Dioniso. La traversée du désert continue néanmoins pour la belle italo-africaine. C'est Alfredo Sordi dont elle deviendra assez proche qui lui donnera sa dernière chance en lui offrant une courte participation dans sa grotesque comédie Sono un fenomeno paranormale. Ce sera là son chant du cygne après quasiment dix ans de carrière, dix longues années où la belle actrice n'a pas vraiment réussi à trouver sa place
dans cet univers impitoyable. Ayant perdu foi en elle, quelque peu déçue, Ines s'est retirée et a abandonné définitivement l'univers du septième art dans lequel, dit-elle, elle ne s'est jamais réellement sentie très à l'aise. Ines s'est mariée à un italien, Giulio, puis elle est partie vivre à Los Angeles. Elle ne supportait plus en effet le climat de violence qui terrorisait alors l'Italie, elle qui était originaire d'un pays où régnait le calme, la sérénité. C'était l'époque des Brigades rouges, du massacre de Circeo entre autres. Ines ne supportait plus cette atmosphère tendue, cette peur qui envahissait l'Italie.
Une fois en Amérique, aidée de Fernando Ghia et Rossano Brazzi entre autres, elle a tenté d'y poursuivre sa carrière de comédienne. Mais à la première audition, parmi des centaines d'autres postulantes, elle a pris peur et s'est souvenue des paroles de son mentor quant à la dureté du monde du cinéma. C'est à cet instant que Ines a décidé d'abandonner définitivement le 7ème art.
Elle a alors ouvert dans un premier temps un magasin de meubles anciens à Downtown avant de se dévouer définitivement aux autres en s'occupant des sans abris et des plus déshérités après avoir vu la misère dans les rues de Los Angeles. Alcool, drogue, misère, sans abris, bidons-villes, voilà ce qu'elle découvert de l'autre coté du miroir doré. Touchée au plus profond d'elle même par cette pauvreté, Ines a décidé de consacrer sa vie à tous ces malheureux. Elle a depuis ouvert sa propre fondation Mère Teresa à Los Angeles et continue de s'occuper avec abnégation des plus déshérités.
Femme vraie, intègre, dévouée, toujours aussi timide et humble, Ines a refait surface en 2012 pour une interview exclusive où elle explique ses choix et avoue que les seuls films qu'elle regarde encore aujourd'hui d'elle sont ceux de celui qui restera à jamais son ami: Pier Paolo Pasolini.
A défaut d'être retournée sous le soleil de sa terre natale, Ines restera ce soleil qui n'avait d'égal que l'éclat de ce visage espiègle qui a irradié nos écrans comme elle est également dorénavant le soleil de tant de pauvres gens!