Salo o le 120 giornate di Sodoma
Autres titres: Salo ou les 120 journées de Sodome / Salo or the 120 days of Sodom / Pasolini's 120 days of Sodom
Real: Pier Paolo Pasolini
Année: 1975
Origine: Italie
Genre: Drame / erotique
Durée: 113 mn
Acteurs: Paolo Bonacelli, Uberto Paolo Quintavalle, Aldo Valletti, Giorgio Cataldi, Elsa De Giorgi, Caterina Boratto, Hélène Surgere, Sonia Saviange, Franco Merli, Renata Moar, Dorit Henke, Ines Pellegrini, Lamberto Book, Sergio Fascetti, Bruno Musso, Antonio Orlando, Faridah Malik, Claudio Cicchetti, Umberto Chessari, Antinesca Nemour, Gaspare di Jenno, Graziella Aniceto, Giuliana Melis, Benedetta Gaetani, Rinaldo Massaglia, Etzio Mani, Olga Andreis, Tatiana Mogilansky, Susanna Radaelli, Liana Acquaviva, Claudio Troccoli, Giuliana Orlandi, Giuseppe Patruno...
Résumé: Italie 1944. Le petit village de Salo. De jeunes adolescents sont kidnappés et emmenés dans une villa isolée. Huit garçons et huit filles seront choisis et soumis aux désirs et à la dépravation de quatre hauts dignitaires tandis que quatre duègnes maquerelles conteront leurs plus abominables récits sexuels. Au bout de 120 jours arrivera le temps des châtiments...
Sorti en novembre 1975 Salo fut certainement le film le plus controversé de l'histoire du cinéma, chef d'oeuvre de Pier Paolo Pasolini qui à sa façon bouclait sa magistrale trilogie de la vie débutée en 1970 par Le Décaméron suivi des Contes de Canterbury et des 1001 nuits. Film le plus élaboré de son auteur, Salo reste et restera l'un des films les plus forts et traumatisants du cinéma italien, intemporel.
Tiré du roman de Sade, Pasolini a simplement transposé l'histoire dans l'Italie de la deuxième guerre mondiale, dans la petite ville de Salo, remplaçant les bourreaux par des SS en civil et les narratrices originelles par des maquerelles de la haute bourgeoisie. Véritable anti thèse aux 1001 nuits, ode à l'amour et à la beauté, Salo n'est que mort et destruction, rétrogradation de l'homme vers l'animal jusqu'à sa destruction et son retour au néant. D'une horreur sans nom, et horreur prend ici tout son sens, Salo est un véritable coup de poing pour un spectateur non averti, un spectacle nihiliste d'une incroyable force, terrible dans ses images, son sens profond, ses vérités.
Si on peut trouver le film toujours aussi odieux trente ans après sa réalisation, il n'en est pas moins d'une intelligence rare, constat sans concession du danger du pouvoir. Pasolini détruit tout, croyance, amour, religion, esprit. Extrême dans sa représentation de la violence et de l'humiliation du corps, Salo recule les limites de l'horreur, une horreur qui ne provient pas seulement des images mais aussi des dialogues parfois plus cruels et que ces dernières. Plus rien ne pourra rebuter celui qui aura su surmonter son dégout à la vision du film dit-on.
Dés le début de sa carrière, Pasolini allait signer toute une série d'oeuvres allant à l'encontre des valeurs morales et religieuses. Plus qu'un agitateur des bonnes consciences Pasolini est avant tout un poète, un poète maudit qui a toujours su jouer avec les futilités pour mieux se focaliser sur le mystère en exorcisant par la même occasion ses propres démons. Pour parvenir à ses fins, il a souvent eu recours à une certaine complaisance parfois facile dans laquelle le sexe, omniprésent, joue un rôle fondamental.
Pour Pasolini, le sexe est surtout une forme de libération, une joie, un jeu, une sublimation de la vie qu'il a perdu au fil du temps. Le Maitre n'a jamais souhaité autre chose que de lui redonner son sens originel en filmant de manière joyeuse lanostalgie d'une époque malheureusement révolue. Omniprésente est également la religion que Pasolini aime bafouer, à qui il donne un aspect souvent surréaliste à travers ses tableaux païens qui imagent les Enfers, le Démon, l'incarnation même de la subversion et de la pourriture du Monde. Il faut toujours avoir à l'esprit que Pasolini était peintre et c'est en peintre qu'il s'érigeait en tant que metteur en scène. On retrouve cette imagerie tout au long de sa trilogie de la vie où toute la démesure de Pasolini se concentre surtout dans Le Décameron et Les contes de Canterbury, une démesure qui retombe dans les 1001 nuits, véritable ode à l'amour, magnificence de la vie.
Avec Salo, Pasolini allait retourner la tendance. La sublimation de l'amour, du sexe allait trouver son antithèse, bouleversant toutes les valeurs morales et sociales. Le film est une véritable démonstration de ce que l'homme peut engendrer comme horreur.
Sans rien changer à l'oeuvre originelle si ce n'est pas le nom et l'âge des enfants, plus âgés dans le film que dans le roman pour d'évidentes raisons, Salo est une sorte de catalogue d'atrocités, une métaphore sadique du nazisme-fascisme et de ses crimes contre l'humanité.
Il est évident que les quatre dignitaires, le Duc, l'Evêque, le Président et son Excellence, sont des SS en civils et les narratrices des maquerelles perverses. Ils sont la représentation de ce qu'on peut faire lorsqu'on détient le Pouvoir, une vision cauchemardesque de ce que la puissance peut engendrer. L'homme, le peuple, n'est plus qu'un simple jouet qu'on va déshumaniser, animaliser, annihilant tout rapport humain pour amener à la destruction.
Le corps devient une marchandise grossière, le sexe une forme de possession par d'autres personnes, une aberration physique et morale de l'âme humaine. Salo est une vision de ce qu'est la laideur humaine, une démonstration brutale et paroxysmique de la violence primitive des forts contre les faibles. Jamais film n'aura montrer avec tant de force, de cruauté et de complaisance l'ignominie. celle ci est d'autant plus perverse qu'elle se fond dans une sorte de bienséance, se tapit dans une forme d'élégance, se cache dans cette apparence derrière laquelle les nazis aimaient se dissimuler. En ce sens, Salo pourrait être le meilleur film nazi sur le nazisme jamais tourné.
Loin des pires abominations que le cinéma italien imagina, Salo est un film sur le véritable gore, le plus terrible, celui qui est tapi au fond de l'être humain. En ce sens, le film fait mal. Il est un long cauchemar où chaque scène, chaque détail, chaque parole prononcée, prodigue un sentiment effroyable de malaise, une terreur viscérale parvenant à vriller le plus profond de notre âme.
Tout espoir est définitivement abandonné. Pas même la religion ou quelque autre croyance ne parvient à réconforter les victimes puisque celles ci sont proscrites. La Madone n'est plus qu'un symbole grotesque surplombant un baquet d'excréments auquel sont attachés les condamnés quasi agonisant. Ils sont nus, dépouillés de tout tant de leurs vêtements que de toute dignité. Les victimes sont seules, terriblement seules, plongées dans cette solitude effroyable qu'on ne peut ressentir qu'une fois face à la mort.
Salo c'est l'homme face au néant, un néant absolu que le réalisateur amène progressivement pour mieux pour mieux engloiutuir ses victimes, indisposer son spectateur et l'amener vers l'horreur. Salo n'est que la lente destruction de l'homme qui de cercle en cercle va passer du stade humain au stade animal jusqu'à son extermination, son retour au néant originel. Les 120 jours sont une descente aux Enfers, quatre mois associés à chaque fois à une nouvelle narratrice, plus cruelle que la précédente censée représenter la nature humaine. Elles sont une progression inéluctable vers une horreur de plus en plus grande jusqu"au quatrième cercle, celui du sang, réservé aux bourreaux.
En parlant d'enfer, le mot trouve justement toute sa force et sa justification lorsque Pasolini fait descendre ses narratrices d'un long escalier plongé dans une inquiétante obscurité. Pasolini se rapproche ici de la vision de l'Enfer de Dante. ses mégères semblent en effet sortir des entrailles de la Terre.
Le troisième cercle, le cercle de la coprophagie ou cercle de la merde, est l'illustration même du retour au néant. Il renvoie à l'image finale des Contes de Canterbury lorsque le Diable défèque des prêtres mais éaglement au repas de Mamma Roma pris auprès des cochons au son de la comptine Fiore di merda.
La coprophagie dans Salo est l'image profanatrice même de la religion. Le repas scatophage est pratiqué comme un rite. Chacun doit manger ce qui vient de ses entrailles. L'Homme nait des entrailles de sa génitrice, berceau de vie. Dans Salo cela n'est que la négation même du corps du Christ, une image blasphème de la vie. L'une des victimes portant justement le nom de la Mère originelle, Eva, mangera ses excréments pour la Madone. On ne mange plus le pain, corps du Christ, mais la merde, son nouveau corps.
Les récits scatophiles se concluent d'ailleurs sur celui de cet homme ne désirant manger que les selles d'une condamnée à mort. C'est ici la fin d'un parcours. Salo boucle la boucle. La femme ne sera plus génératrice de vie donc d'avenir, de survie, mais de mort, une mort qui prend une forme fécale. La pire des évocations, abominable et castratrice, est celle de la Maggi, la troisième maquerelle, désireuse de coudre un vagin, matrice si l'en est, après y avoir enfermé un rat, supposé dévorer l'intérieur de la Femme. Elle éradique ainsi par le pire des supplices toute idée de reproduction.
La mort devient le but ultime, on ne donne plus la vie mais on donne naissance à la mort, magnifiée par la scène de l'élection du plus beau cul, symbole sodomite contre-nature, négation de l'acte sexuel d'amour qui donne la vie, et amplifié par cette phrase de l'évêque résumant toute l'horreur de Salo: Nous pourrions te tuer autant de fois que nous le voulons jusqu'aux limites de l'Eternité si l'Eternité avait des limites.
Il faut également noter les interférences entre les oeuvres de Pasolini. Franchino par exemple interprété par Franco Merli gagnant du plus beau cul et par conséquent prédestiné à un geste sodomite n'est autre que le Nuredin des 1001 nuits qui déjà en fin de parcours s'apprêtait à recevoir la sodomie d'un maître inconnu.
Omniprésent est le sexe tout au long du film comme partout dans l'univers Pasolinien. Ici, contrairement aux 1001 nuits où sexe rimait avec amour et beauté, il rime avec viol, domination et jouissances forcées mais aussi avec déviances, l'urophilie, la scatologie, la bestialité sont des pratiques bien concrètes dans le film quand elles ne sont pas simplement évoquées dans les récits des maquerelles. L'acte sexuel est un plaisir triste et particulièrement sale. On en ressort honteux, en larmes, souillé, comme lors de la séquence de masturbation forcée dans le premier cercle. Cette scène comme celle du mariage contraint entre l'Evêque et le jeune homme et de la nuit de noces justifient la trame intrinsèque de Salo, celle de l'acte sexuel dans une société libérale répressive qui refuse toute forme marginale de plaisir.
Ceci peut justifier la présence quasi générale de l'homosexualité personnifiée de surcroît par l'Evêque, négation de l'église, lors de sa longue nuit avec son jeune Elu juste avant avant le cercle de sang. Elle est aussi représentée par les obsessions culiennes de son Excellence et les masturbations répétées des jeunes victimes et des miliciens. De l'horreur nait le plaisir, l'acte masturbatoire, geste hérétique par l'Eglise, accompagne le plus souvent le récit des narratrices. On apprend à jouir de l'abominable et une des premières leçons donnée aux victimes n'est elle pas celle sur l'art de se masturber. Lors des exécutions du cercle des punitions, le Duc n'oublie pas de vérifier si le milicien qui se tient à ses cotés est en érection en plongeant sa main dans son pantalon. En découvrant avec joie qu'il l'est, l'initiation est réussie. Une fois de plus, le sexe, le plaisir rime avec mort.
La puissance religieuse fortement ancrée dans l'oeuvre de Pasolini prend une tournure extraordinaire dans Salo. Il n'y a plus de Dieu cette fois, il n'y a que seulement des hommes ou plutôt une élite absolue et omnipotente qui profitent à leur guise du corps des victimes comme on profite d'objets. Ces hommes qui s'octroient le pouvoir de vie et de mort et par conséquent se substituent à Dieu prennent justement Dieu comme modèle. Dieu n'est alors plus qu'un mot qu'inscrit un des jeunes garçons totalement désespéré du bout du doigt dans l'épaisseur d'un tapis, ce Dieu, cette Madone à qui Giuliana demande en pleurs la raison de son abandon.
Les termes abandon et nudité pourraient être un des termes qui pourraient dés les premières images du film le mieux résumer Salo.
En entrant dans le manoir, les jeunes victimes laissent derrière elles leur vie, leur âme, les gens qu'ils aiment. Plus rien n'existe. Bourreaux comme narratrices leur font comprendre tout au long du film. Les victimes sont dépossédées de tout, en premier lieu de tout objet matériel dont leurs vêtements. Les jeunes gens sont nus durant quasiment tout le film si on excepte de rares instants comme lors des récits de La Vaccari où ils sont vêtus d'un simple slip blanc. Nudité du corps, nudité de l'âme, ce n'est que le premier pas vers la rétrogradation de l'Homme vers l'animal.
De l'examen anatomique des deux garçons lors de la scène d'ouverture forcés d'exposer leur intimité au choix des jeunes filles triées comme lors d'une foire au bétail jusqu'à la scène dite du chenil où les jeunes gens attachés en laisse doivent happer leur nourriture comme des chiens, caractérisation ultime de l'animalisation, le film tout entier est construit sur cette trame de déshumanisation.
Salo est un film sur la véritable horreur, celle de la Fin, de la mort mais également un film sur la véritable nature humaine qui se tapit sournoisement au plus profond des âmes. Monstrueux dans le sens premier du terme, il n'est que la représentation de la face cachée de l'Homme, du monstre tapi en chacun de nous, attendant passivement son réveil. Si Salo n'a aujourd'hui pris aucune ride quarante ans après sa réalisation, si sa force résiste au temps, la censure, elle, l'a depuis le début maltraité, le coupant et le recoupant, le sortant sous différentes longueurs. Si aujourd'hui on connait la version intégrale, du moins le pense t-on car beaucoup de mystères planent encore sur son élaboration (on sait désormais que l'ultime cercle, le cercle du sang est incomplet), le film a réussi à briser le tabou télévisé en obtenant enfin sa diffusion sur les chaines. Remarquable en tout point, Salo est aussi un remarquable travail d'acteurs réunissant professionnels et non professionnels.
Si les quatre narratrices, Hélene Surgère, Caterina Borrato, Elsa De Giorgi et Sonia Savange, sont de talentueuses actrices reconnues et émérites brisant leur réputation en acceptant ses rôles, les quatre dignitaires si on excepte Paolo Bonaccelli, acteur exceptionnel au large registre, étaient des proches de Pasolini, le romancier Uberto Paolo Quintavalle aujourd'hui décédé et auteur en 1976 de Giornate di Sodoma, Giorgio Cataldi ou l'étrange et ex-séminariste Aldo Valletti qui a traversé une multitude de films simplement en tant que figurant muet pendant plus de quinze ans dont justement Salon Kitty.
Quant aux jeunes victimes, comme souvent chez Pasolini, ce n'étaient pour la plupart que des comédiens amateurs choisis avec soin par le maître lui même, mineurs pour certains dont c'était le premier film à l'exception de Franco Merli qui interprète Franchino, élu plus beau cul. Déjà héros des 1001 nuits il connaitra une petite carrière au cinéma en apparaissant entre autres dans Affreux sales et méchants de Ettore Scola et La collegiale de Gianni Martucci. Antonio Orlando (Tonino) connaitra de son coté un parcours cinématographique plutôt intéressant. Quant aux autres jeunes comédiens masculins aucun ne rencontra le succès et quasiment tous disparurent dés le tournage terminé. En ce qui concerne les jeunes comédiennes recrutées pour la plupart dans le milieu du mannequinat pour leur aisance à se mettre nues parmi les plus chanceuses eurent une petite carrière dans des productions érotiques, parfois simples participantes anonymes, avant de disparaitre comme Antineska Nemour vue dans La sorella di Ursula, Bourreaux SS, La sposina et surtout l'émission télé Portobello qui l'a rendit célèbre ou Renata Moar aperçue dans Destin de femmes, La lame infernale... sans oublier la belle érythréenne Ines Pellegrini qui sera la seule avec Antinesca à connaitre un vrai parcours cinématographique, allant du giallo (Gatti rossi in un labirinto di vetro au film de science fiction La guerra dei roboti) et surtout le cinéma érotique dont elle se fit une spécialiste.
Pour tout connaitre sur les acteurs et ainsi compléter cette analyse nous vous renvoyons à notre Dossier Les Enfants de Salo et Les Maîtres de Salo.