Hiram Keller: Le dandy au visage sans âge
Si on ne devait garder qu'un seul nom parmi les plus beaux spécimens mâles du cinéma italien des années 70 celui de Hiram Keller serait tout naturellement en tête de liste. Même si sa filmographie ne se limita pas au cinéma transalpin Hiram en fit cependant les beaux jours durant la première partie d'une carrière à jamais marquée par sa prestation dans Fellini-Satyricon. Malgré son insolente beauté qui fit bien des ravages chez les actrices d'alors cet homme d'apparence inaccessible n'eut pourtant pas vraiment la chance de pouvoir vivre sa vie au grand jour dans une Italie encore puritaine et fermée pas encore prête à accepter ni l'homosexualité ni la bisexualité. Hiram dut ainsi longtemps jouer un jeu tout en ombres et lumières tout en menant une vie de jet-setter.
Voici l'histoire de ce dandy, petit protégé de Andy Warhol, qui nous a malheureusement quitté bien trop tôt.
Né le 3 mai 1944 à Moody Fields en Georgie, Hiram de son véritable nom Hiram Keller Undercofler Jr est le fils d'un juge de la cour suprême de Georgie. Très tôt, à l'âge de huit ans, le jeune garçon effleure l'envie d'être danseur classique. Il demande à ses parents de l'envoyer à New-York où vit un de ses oncles. Son père refuse d'accéder à son désir. Le petit Hiram se voit donc contraint d'abandonner son idée et de continuer ses études. Il rentre à l'université mais déjà à cette époque Hiram aime bouger. En 1966 il part à New-York suivre les cours privés de théâtre de Lee Strasberg à Carnegie Hall tout en donnant quelques représentations à l'université de Georgie pendant l'été. Hiram se rend vite compte qu'il n'est pas fait pour rester dans une salle de classe, il est trop dynamique et aime trop voyager.
Il quitte les cours de Lee Strasberg et part pour l'Europe où il va jouer quelques pièces durant une saison avant de rentrer aux U.S.A. Il passe alors une audition qu'il réussit brillamment pour jouer dans Hair. Hiram se retrouve donc dans les choeurs de la fameuse comédie musicale. Il y restera neuf mois. C'est lors d'une des représentations en 1969 qu'il se fait remarquer par Franco Zeffirelli, présent dans la salle. Le célèbre réalisateur avec qui il deviendra ami le présente alors à Federico Fellini qui prépare son Satyricon. C'est le coup de foudre et Fellini l'engage immédiatement pour être Ascylte, le jeune amant de Martin Potter. Le tournage durera huit mois. Le film propulsera Hiram au firmament des stars, faisant du jeune homme un des jeunes acteurs les plus populaires d'Italie. Hiram ne reniera jamais la popularité apportée par ce film et les portes que cela lui a ouvert même si parfois ce personnage lui colla beaucoup trop à la peau. Il était l'acteur fellinien par excellence, celui dont on se souvenait à travers ce film et que l'Italie désormais s'arrachait.
Dés lors Hiram ne cessera plus de tourner parcourant le monde au rythme des tournages. Il part six mois en Grèce pour jouer le rôle principal du rarissime Orestis de Vassilis Fotopoulos, une tragédie inspirée du mythe d'Oreste dans laquelle Hiram rongé par ses tourments offre une composition convulsive,. Il passe ensuite huit mois en Bulgarie pour tourner Strogoff / Der kurier des zaren de Eriprando Visconti avec Mimsy Farmer et John Philip Law, l'adaptation du roman de Jules Verne dans lequel il interprète le redoutable Ivan Ogareff. Toujours en 1970, Gian Vittorio Baldi le choisit pour son film La notte dei fiori avec
Macha Meril et surtout Dominique Sanda avec qui il va vivre six mois, le temps du tournage en fait. C'est une relation spéciale qui nait entre eux et qui finira d'une façon tout aussi spéciale. Hiram a beaucoup d'admiration pour la jeune actrice française. A la fin du tournage, alors que l'acteur est en France, Dominique se jette dans les bras du réalisateur Michelangelo Antonioni et part habiter avec lui. A son retour Hiram découvre leur relation de la bouche même de la jeune femme qui l'invite simplement à aller dormir à l'hôtel puisque Hiram avait eu la mauvaise idée de prêter son appartement à Kim Novak. Dépité et furieux, Hiram noiera son chagrin dans une party mondaine et ne reverra jamais plus Dominique.
Il revient au cinéma en 1972 avec le giallo de Silvio Amadio, Il sorriso della iena avec Rosalba Neri et Jenny Tamburi. Hiram y est le machiavélique jeune beau-père de Jenny. Si Il sorriso della iena n'est qu'un petit sexy giallo perdu dans la production italienne d'alors, il n'en demeure pas point un séduisant petit film dont l'attrait principal est ces deux splendides actrices. Rosalba et Jenny se souviennent d'ailleurs du bel Hiram sur le tournage, toutes d'eux tentant de le séduire mais en vain. Déçues, elles en découvriront la raison beaucoup plus tard, Hiram était gay mais gardait cette homosexualité secrète dans une Italie guère prête à ce genre de révélation. L'acteur préférait conserver cette ambiguïté qui de toutes façon faisait partie de sa personnalité et de son indéniable charme. Le jeune homme au visage félin deviendra à cette époque un des petits protégés de Andy Warhol, posant pour de nombreuses photos au charme vénéneux. Durant toute une partie de sa carrière, Hiram, grand ami de Pier Paolo Pasolini,
aura joué de cette image bissexuelle à double tranchant qu'il a
toujours su dangereuse car beaucoup d'acteurs s'y sont alors perdus. On
le compare souvent à Helmut Berger, le surnommant même le Helmut Berger américain ce qui l'énerve beaucoup d'autant que Helmut est un de ses amis proches.
Toujours en 1972 il tourne pour Claudio Gora, l'excellent mais rarissime Rosina Fumo viene in città per farsi il corredo avec qui il partage la vedette avec la très belle Ewa Aulin. Il enchaine avec le sulfureux drame érotico-psychologique Grazie signore p... / Orgie Mesdames les putes de Renato Savino, un film qui fit scandale en Italie. Il narre simplement les frustrations sexuelles d'un jeune étudiant devenu impuissant suite au suicide de son père. Entouré de Ewelyn Stewart et Stefania Santilli Hiram y déploie tout son charme plus androgyne que jamais, magnifiquement mis en valeur par le réalisateur. Le film fut malheureusement mutilé par la censure lors de sa sortie en Italie avant de sortir subrepticement en France agrémenté d'inserts hardcore.
Le spécialiste de la comédie légère Alberto Lattuada le fait tourner aux cotés de Silvia Monti dans Sono stato io / La grosse tête, une comédie noire satirique. Le bel acteur est alors au sommet de sa gloire, il ne cesse de voyager à travers le globe ce dont il ne se lasse pas. Dès qu'il le peut il s'évade quelque part dans le monde mais même s'il aime bouger, l'acteur aime se retrouver chez lui, dans son petit appartement de New-York aux décors orientaux où il se sent si bien au milieu de ses tentures et coussins multicolores.
Même s'il fait partie de la jet set, s'il est de toutes les party mondaines, couchant avec qui il souhaite, fréquente le luxe et la haute société, Hiram a su garder un coté très simple. En fait, il n'aime guère cette vie de débauche dans laquelle il ne se reconnait pas vraiment. Il joue là encore le jeu des apparences. On le croit bourgeois et inaccessible alors qu'il est tout le contraire, loin d'être le personnage décadent dont il donne l'image.
En 1973, Antonio Margheriti l'engage pour La morte negli occhi del gatto / Korringa / Les diablesses avec Françoise Kristoff et Serge Gainsbourg. Le film est à mi chemin entre le giallo et le film d'horreur baroque à l'italienne. Il y est le jeune cousin de Jane Birkin. Cette même année le grand Michel Carné le veut absolument pour interpréter l'ange tombé du ciel dans son nouveau film tourné en Bretagne La merveilleuse visite. Pour Carné, séduit par la beauté du garçon, par sa manière d'évoluer devant la caméra, Hiram incarne à la perfection un tel rôle. Malheureusement il ne décrochera pas ce rôle faute d'avoir perfectionner son français comme le spécifiait son contrat. Le personnage divin reviendra au blond Gilles Kohler.
En 1974 Hiram part pour St Domingue tourner l'indolent mais sanglant remake des Révoltés du Bounty Noa Noa / Rivages sanglants de Ugo Liberatore dans lequel il interprète le mythique Fletcher Christian puis pour la Yougoslavie pour Roma rivuole Cesare de Miklos Jancksù qui restera un des réalisateurs avec qui il aima le plus travailler.
Si les italiens en ont fait une star, s'il représente l'américain qui a su réussir en Italie, Hiram s'échappe pourtant en Angleterre pour tourner Lifespan, le secret de la vie de Sandy Whitelaw avec Klaus Kinski et Tina Aumont. Lifespan est un superbe film fantastique sur le secret de l'éternité que recherchent deux scientifiques, un représentant le Mal à l'état pur, Kinski, et l'autre, Hiram, le Bien.
Une mini série pour la télévision italienne suivra en 1975 Orlando Furioso de Luca Ronconi.
En 1976 c'est Catherine Breillat qui le choisit pour être l'interprète masculin principal de son premier long métrage Une vraie jeune fille où il est l'objet des fantasmes les plus pervers de sa jeune héroïne interprétée par l'impudique et insolente Charlotte Alexandra.Hiram ne reviendra au cinéma qu'en 1982 avec le magnifique film de Robert Lloyd, Countryman, oeuvre musicale superbe sur le milieu reggae tournée à la Jamaïque. Malheureusement le film est un échec commercial. Déçu par cet insuccès alors qu'il croyait beaucoup en ce film Hiram décide alors de mettre un terme définitif à sa carrière de comédien. Il se marie avec Kristina St Clair qu'il rencontra sur le tournage de Countryman. De ce mariage naitra une fille, Serena. Le couple divorce en 1987.
L'homme au visage sans âge comme on le surnommait parfois retourne alors vivre à Atlanta et passera les dernières années de sa vie à s'occuper de sa famille. Il s'éteint le 20 janvier 1997 à l'âge de 53 ans, emporté par un cancer du foie.