Non si sevizia un paperino
Autres titres: La longue nuit de l'exorcisme / Don't torture a duckling / Fureur meurtrière
Real: Lucio Fulci
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 101mn
Acteurs: Barbara Bouchet, Tomas Milian, Marc Porel, Florinda Bolkan, Irene Papas, George Wilson, Ugo D'Alessio, Vittorio Passini, Linda Sini, Franco Balducci, Antonello Campodifiori, Rosalia Maggio, Virgilio Gazzolo...
Résumé: Dans un petit village du sud de l'Italie, une série de meurtres commis sur des enfants terrifie la population. Un journaliste aidé par une jeune étrangère venue s'installer dans le village mènent l'enquête. Si la jeune femme demeure énigmatique, les soupçons se portent assez rapidement sur une marginale qui vit au delà du village dans une cabane. Considérée comme une sorcière, tout semble l'accuser. Elle est lapidée par les villageois. Pourtant un autre enfant disparait...
Après avoir réalisé son premier vrai giallo en 1971, le sulfureux Le venin de la peur dont Una sull'altra / Perversion en était le très bon brouillon, Lucio Fulci en mit en scène un deuxième, Non si sevizia un paperino étrangement sorti sous le titre mensonger La longue nuit de l'exorcisme en France afin de profiter de la vague de succès de L'exorciste de Friedkin avec lequel pourtant il n'entretient aucun rapport.
Véritable coup de poing, Non si sevizia un paperino bénéficie d'une part de la beauté des décors naturels dans lequel cette tragique histoire se déroule, le sud profond de l'Italie, un petit village sicilien où le blanc du paysage va être obscurci par l'ombre du Mal et de la folie. Si c'était en soi une première dans le genre que de situer le drame dans un tel lieu c'est un réel plaisir tant Fulci va réussir à le mettre en valeur et l'utiliser à merveille.
D'autre part, dès l'ouverture, le spectateur est saisi par cette ambiance malsaine qui émane des images, véritable contraste entre la magnificence des décors et la noirceur des faits relatés. Fulci dépeint un univers qui va à l'encontre même de la culture et des moeurs de cette Italie profonde. Ici, les enfants agissent en adultes, fument, parlent ouvertement de sexe, épient les grands dans leur plus stricte intimité mais pourtant, ils continuent d'aller régulièrement à l'église et prier Dieu. Audacieux, Fulci va même jusqu'à transgresser certains interdits parmi les plus tabou en laissant un enfant être tenté par une jeune femme nue qui lui propose ouvertement de faire l'amour avec elle. Cette ombre sournoise de pédophilie est un des thèmes sous-jacents du film, elle en est même un des principaux moteurs, coeur de cette douloureuse histoire toujours autant d'actualité bien malheureusement.
Non si sevizia un paperino est avant tout une symbolique. Ce village typique dissimule derrière ses façades le refoulement, l'ignorance, la superstition et la rigidité des traditions. Fulci écorche la religion comme il l'avait déjà fait auparavant avec notamment Beatrice Cenci qu'il montre coupable de bien des maux. Elle renforce cette ignorance, favorise l'inculture et la perpétration des superstitions derrière lesquelles se cachent les pires frustrations et excès. On condamne la différence et contribue à une forme de racisme envers tout ce qui est autre, tout ce qui est différent. Cette différence est symbolisée par Patrizia, jeune femme venue de Milan, forcément rejetée et coupable. La sauvageonne, jeune femme marginale, est elle aussi obligatoirement coupable, considérée comme une sorcière qu'on hésitera pas à punir de la plus primitive et atroce façon, la lapidation. Ces actes abominables et anti-chrétiens n'empêchent pas qu'on continue à se justifier bien hypocritement en invoquant Dieu.
Le malaise palpable qui suinte de cette tragique histoire d'assassinats d'enfants aux relents pédophiles est renforcé par un érotisme glauque, parfois osé, notamment lors de la séquence entre Patrizia et l'enfant fasciné par le corps nu de cette étrangère qui l'attire vers elle. Afin de réaliser cette scène, Fulci avouera qu'il eut recours pour certains plans à un acteur de petite taille se substituant à l'enfant.
Non si sevizia un paperino ose aller à l'encontre des institutions et de la morale. Fulci, accusateur, balaie tous les tabous à travers une galerie de personnages tous plus ambigus les uns que les autres. Pourtant, l'assassin est tout autre, symbole de pureté et d'innocence mais une fois encore d'une férocité étonnante dans toute sa terrible signification. La mort entretient la pureté. En cela, l'idée du prêtre pédophile assassin est une des plus belles et intelligentes trouvailles dans ce genre de cinéma qu'est le thriller à l'italienne.
Fulci a réalisé l'un de ses plus beaux et intelligents métrages, une de ses plus belles réussites, totalement fascinante.
L'horreur toujours aussi graphique chez le Maestro atteint ici des sommets de réalisme lors de l'inoubliable séquence de la mort de la sauvageonne, ses chairs se déchirant sous les coups de chaînes jusqu'à sa terrible agonie qu'accompagne bien cyniquement une magnifique ritournelle italienne. Le meurtre de l'enfant sous la pluie torrentielle, symbole de purification, reste lui aussi un des grands moments du film.
Bercé par une partition musicale envoûtante, bénéficiant d'une mise en scène efficace, de décors naturels superbes et d'une interprétation fort juste de la part d'une magistrale brochette d'acteurs, Tomas Milian, Barbara Bouchet, Marc Porel et Irene Papas en tête, Non si sevizia un paperino dont le titre anglais Don't torture a duckling renvoie à une scène clé du film, celle de la petite fille attardée mentale avec son petit canard, n'a aujourd'hui rien perdu de sa douloureuse force.
Voilà un chef d'oeuvre incontesté et incontestable, un giallo noir à la fois beau, cruel, malsain et parfaitement hérétique. On regrettera simplement une chose, le final trop appuyé où Fulci s'attarde sur la mort de Marc Porel qui chute sans fin dans le vide, son corps rebondissant sur les rochers.