Le bourreau et le séducteur: Serafino Profumo, Daniël Sola
L'un incarna sur plus d'une décennie des personnages parfaitement antipathiques, jouant le plus souvent des rôles de vilains, de tortionnaires, de sadiques. Il est ce qu'on appelle une "gueule", une de ces gueules aujourd'hui indissociable du cinéma Bis italien. Le second, le physique avantageux à la Alain Delon jeune avec qui il entretient une évidente ressemblance, est l'incarnation même du jeune premier, du séducteur, des personnages qu'il interpréta lui aussi sur près de dix années. Le premier gagna vite sa place au Panthéon des méchants, le deuxième n'est jamais réellement parvenu à se faire sa place au soleil. Tout deux partagent par contre un point commun: le mystère qui les entoure. Bien peu de choses ont en effet été dites et écrites sur eux tant et si bien qu'ils demeurent une énigme. Le Maniaco a donc enquêté, fouillé les archives des années 60 et 70 afin d'enlever une grande part du flou qui les entoure. Découvrons sans plus tarder qui étaient ces deux nouveaux visages d'un jour, visages de toujours, Serafino Profumo et Daniël Sola.
La première apparition de Serafino Profumo parfois crédité Seraphin Profumo remonte à 1968. Cette année là il est à l'affiche de deux westerns-spaghettis de seconde zone, Vendo cara la pelle / Je vends cher ma peau de Maria Ettore Fizzarotti, non crédité au générique mais bel et bien présent (le shérif enterré vivant au début du film) et Joe... cercati un posto per morire / Ringo! Cherche une place pour mourir de Giuliano Carnimeo dans lequel il est Miguel, un des chicanos qui en fin de métrage se bat contre Jeffrey Hunter. Ce ne sont que deux petits rôles de support tout comme dans les westerns qu'il tournera par la suite (non
répertoriés sur Imdb), Buon funerale amigos paga Sartana en 1970 (l'homme recherché), Gli fumavano le Colt... lo chiamavano Camposanto en 1971 (un des embusqueurs), Le juge / All'ovest di Sacramento (l'homme qui se bat près de la grange en feu) et Piu forte sorelle / Des dollars plein la gueule (1973), une comédie de Renzo Girolami et Mario Bianchi qui mêle bêtement nunsploitation et western dans laquelle il est le réceptionniste de l'hôtel. Si la même année il est crédité dans le giallo de Maurizio Pradeaux, Chassés-croisés sur une lame de rasoir il n'y apparait pourtant nulle part. Questionné sur sa présence dans les crédits Pradeaux ne sut répondre. Le mystère demeure donc. On l'entraperçoit très vite par
contre, lunettes noires et talkie-walkie en main, dans le drame érotique Io... donna de Alberto Cardone.
C'est en 1976 que Serafino va enfin obtenir des rôles plus conséquents sur lesquels sa carrière mais aussi sa réputation dans le milieu du cinéma Bis vont se bâtir. Il va en effet désormais incarner à l'écran des vilains souvent très vilains, odieux, sadiques, violeurs, bourreaux dont certains sont franchement mémorables. Cette petite liste de personnages méphitiques débute par celui de Mr Johnson dans Emmanuelle bianca Emanuelle nera de
Mario Pinzauti tourné simultanément avec Mandinga toujours de Pinzauti. Dans le premier il incarne aux côtés de la nauséeuse Malisa Longo un riche et odieux propriétaire d'une exploitation de coton, dans le second il est Richard Hunter l'oncle de l'infâme Paola D'Egidio, l'exploitante d'un champs de coton raciste et cruelle qui aux côtés de cet oncle traite ses esclaves comme de véritables animaux. Après ces deux sexploitations aussi nauséeux que jouissifs totalement impensables aujourd'hui Serafino change de registre et se transforme en voleur de banque, casquette et chemise écossaise, dans le polar de Gianni Siragusa 4 minuti per 4 milliardi / Quatre milliards en quatre minutes. Toujours en 1976, son année la
plus prolifique il tourne coup sur coup après s'être définitivement rasé la tête deux nazisploitations pour Sergio Garrone Horreurs nazies et SS camp 5 enfer de femmes dans lesquels il endosse le costume d'un officier SS cruel, un véritable tortionnaire qui réserve à ses victimes de bien sadiques supplices. Le visage rougeaud, l'oeil cruel, le crâne chauve, une épaisse moustache Serafino incarne à merveille l'horreur absolue, le sadisme, tout comme il le fera en 1980 dans ses deux films suivants, deux WIP tournés là encore simultanément, Les évadées et La fin des tortionnaires du camp d'amour 2 de Edoardo Mulargia. Il range son beau costume d'officier nazi au profit de celui du gardien d'un camp
de détenues perdu au beau milieu de la jungle où il fait régner la terreur en réservant aux prisonnières de tout aussi subtils supplices que dans ses deux éros svastikas. En 1981 il est au générique du mauvais L'ultimo harem de Sergio Garrone. Il n'a que très peu de temps de présence d'écran dans le costume d'un garde du corps. Son ultime apparition à l'écran, en 1983, sera grimé, dissimulé sous une perruque et une fausse barbe. Méconnaissable, ceux qui ont l'oeil le reconnaîtront sans souci dans Le maitre du monde de Alberto Cavallone où il est le chef d'une tribu préhistorique qui mourra sous les coups de bâton de Sasha d'Arc.
Après quelques quinze années d'une carrière générique ce sera son tout dernier film, exception faite de Savage island (1985) qui n'est jamais qu'un condensé de ses deux WIP auquel ont été rajoutées de nouvelles scènes avec Linda Blair. Car Serafino Profumo était bel et bien ce qu'on appelle un acteur générique. Etre comédien, jouer, n'était pas son métier mais une simple distraction, un passe-temps qu'il a su mettre à profit à Cinecittà quand les occasions se présentaient à lui. Avec son physique atypique il était fait pour jouer les méchants, ce qui lui allait à la perfection. Il restera à jamais une "gueule", une de ces
gueules inoubliables dont le cinéma Bis regorge, qu'on aime toujours voir et revoir. Lorsqu'il ne tournait pas Serafino était ce qu'on peut appeler un homme d'affaires. Il était en effet propriétaire de nombreux terrains à Citta vecchia non loin des zones hautement fréquentées en été par les touristes. La lente agonie du cinéma de genre dés l'aube des années 80 comme pour bon nombre de ses confrères mit un terme définitif à ce hobby. Serafino s'en retourna alors à ses propriétés. S'il a depuis disparu des écrans radar il restera cependant à jamais gravé dans nos mémoires de cinéphiles déviants pour ses rôles tous plus méphitiques les uns que les autres.
Daniël Sola (le ë est important afin de ne pas le confondre avec le champion de rallye espagnol Daniel Sola), crédité parfois sous le nom de Jean-Daniel Sola, est né en 1945. Pour beaucoup ce jeune acteur demeure un mystère car bien peu de choses ont filtré sur son parcours tant et si bien qu'il demeure une énigme pour le peu qu'on puisse mettre un nom sur ce visage. Il faut donc bien fouiller, creuser dans les archives de l'époque, les journaux et magazines de cette fin d'années 60, pour enfin trouver les réponses à bon nombre de questions. On peut dire que Daniël est en quelque sorte un enfant de la balle.
Dés l'âge de dix ans, passionné par l'univers artistique, il prend l'habitude de passer ses vacances dans un cirque ambulant où il accomplit des numéros de main à main. A 17 ans il s'exile en Angleterre et s'engage alors comme cascadeur. Au vu de ses performances mais aussi de son physique avantageux qui n'est pas sans rappeler un certain Alain Delon jeune on lui conseille de suivre des cours de comédie. Il s'inscrit donc au cours de la célèbre Madame Dussane, sociétaire de la comédie française. Daniël fait ses premières armes en tant que comédien au théâtre en jouant notamment "Le Cid". C'est Henri-Georges Clouzot qui lui offre en 1964, à tout juste 19 ans, son premier rôle au cinéma dans L'enfer, un film
inachevé dont il ne reste aujourd'hui qu'un splendide documentaire. Daniël y faisait une brève apparition dans la peau d'un étudiant. C'est en Allemagne qu'il tourne son premier véritable film en 1965, un spy movie anecdotique mais fort divertissant, Du suif dans l'Orient-Express, dans lequel il joue le garde du corps ambigu de Pierre Brice, un rôle de second plan certes mais qui ne passe pas inaperçu tant sa beauté ténébreuse irradie l'écran. De ses débuts Daniël lors d'une interview donnée à cette époque avouait n'en garder que des souvenirs amusés tant les films qu'il tournait n'étaient pas selon ses dires des "chefs-d'oeuvres". Ses véritables grands débuts c'est à la télévision qu'il les doit. En 1966 il
donne la réplique à Sami Frey dans le téléfilm de Jean Piat Le destin de Rossel où il incarne le comte de Guilly, officier versaillais fidèle au gouvernement de Thiers. Piat met en scène les tragiques aventures de Rossel, héros de la Commune et ministre de la guerre qui mourra fusillé en 1871. L'année suivante Daniël décroche son deuxième grand rôle dans un autre téléfilm Lucide Lucille de Jean-Paul Sassy où cette fois il donne la réplique à Juliette Mills dont il joue l'ambitieux et arriviste amant, un rôle sur mesure pour lui où son charme fait vaciller la douce Juliette. Par la suite c'est en Italie que va se poursuivre la majeure partie de sa carrière qui malgré son talent de comédien et sa foudroyante beauté ne décollera
jamais vraiment. En 1967 il est l'ambigu Vanni, un des principaux protagonistes avec Lino Capolicchio de l'excellent thriller perdu Vergogna schifosi!, très surement un de ses meilleurs films transalpins, pour lequel Mauro Severino, le réalisateur, le déshabille le plus souvent possible (nous offrant même un rapide nu intégral), conférant à son personnage une évidente dimension homosexuelle voulue ou non mais néanmoins justifiée.
Toujours en Italie on le retrouve une fois encore auprès de Lino capolicchio dans un autre thriller, l'étrange Le tue mani sul mio corpo / Tes mains sur mon corps de Brunello Rondi. Il est l'amant de Colette Descombes avec qui il partage une jolie scène d'amour. Il décroche
ensuite un petit rôle dans le kitchissime mais amusant sex mondo de Fabio De Agostini, Belle donne / Erotikon, celui du petit ami de Paola Tedesco. Il fait son retour en France le temps d'un film, celui de Eric Le Hung, Delphine, une oeuvre contestataire comme il s'en faisait beaucoup alors dans laquelle il donne la réplique à Dany Carrel et Maurice Ronet. En 1970 on le voit au générique d'une comédie italo-américaine foldingue de Rod Amateau écrite par Woody Allen, Pussycat, pussycat I love you dans laquelle il côtoie Joyce Van Patten, Ian McShane, John Gavin et Beba Loncar. Daniël va ensuite s'octroyer une pause et retourner à ses premières amours, le théâtre. Il faudra attendre cinq ans pour qu'on puisse le revoir au grand écran dans la comédie Occhio alla vedova! de Sergio Pastore. Il y est un des amants de la veuve du titre, la pulpeuse Giovanna Lenzi. Ce sera son ultime prestation cinématographique. Après quelques dix années passées à monter sur les planches et tourner tant pour la télévision que le cinéma Daniël, arrivé à la trentaine, semble avoir mis un terme à sa carrière de comédien avant de s'évaporer. On perd en effet définitivement sa trace en ce milieu d'années 70.