Vergogna schifosi!
Autres titres: La rançon de la chair / Quelle honte, salauds! / Dirty angels / A noite da vergonha
Réal: Mauro Severino
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 86mn
Acteurs: Lino Capolicchio, Ivano Davoli, Roberto Bisacco, Marilia Branco, Claudia Giannotti, Ezio Marano, Anna Zinnemann, Mirella Pamphili, Carlo Palmucci, Carlo Spadoni, Paola Nardi, Franca Sciutto, Bodo Larsen...
Résumé: Un jeune homme meurt accidentellement lors d'une partouze organisée par trois jeunes bourgeois. Ils enterrent le corps afin de ne pas être inquiétés. Six ans plus tard ils reçoivent une photo compromettante d'un maitre chanteur qui régulièrement va leur demander de l'argent qu'il ne vient jamais chercher. Chaque demande est signée Vergogna schifosi! (Quelle honte!). Ils soupçonnent un ancien ami, Carletto, d'être le maitre chanteur. Ils se rendent chez lui afin de tenter de le faire avouer...
S'il a essentiellement travaillé pour la télévision et dans le court-métrage Mauro Severino a cependant réalisé quelques bandes pour le grand écran, pour la plupart des comédies anecdotiques, mais c'est surtout pour un curieux thriller tourné en 1969, Vergogna schifosi!, que son nom restera associé du moins dans la mémoire du bissophile en quête d'étrangetés psychédéliques sur fond contestataire.
Manfred, un jeune homme, trouve accidentellement la mort pendant qu'il fait l'amour lors d'une partouze organisée par trois de ses amis, trois jeunes bourgeois, Andrea, Vanni et Lea. Effrayés à l'idée de perdre leur statut social ils enterrent son corps dans un jardin public. L'affaire est oubliée. Six ans plus tard ils reçoivent une photo pornographique compromettante et une demande d'argent de la part d'un mystérieux maitre-chanteur. Terrorisés à l'idée que leur secret soit révélé ils payent mais personne ne vient prendre l'argent. Pourtant les demandes continuent mais jamais personne ne vient chercher les sommes réclamées. Ils viennent à soupçonner un de leurs amis, Carletto, devenu artiste
peintre. Carletto ne s'est jamais réellement intégré à leur bande à cause de ses idées bien plus marginales. Ils se rendent à Milan où le jeune homme expose ses toiles. Pour eux il ne peut être que le coupable mais ils n'ont aucune preuve et leurs efforts pour le coincer restent vains. Ils finissent par organiser un weekend à la plage tous ensemble, décidés à le faire chanter en le photographiant à son insu entrain de se rapprocher charnellement de Lea mais ça ne marche pas. Ils décident alors de se débarrasser de lui. Ils le poussent du haut d'un mur, une mort qui passe pour un accident. Tous se retrouvent après l'enterrement. Ils découvrent un magnétophone avec une bande. Carletto leur a laissé un message. Il leur explique qu'il est bien le maitre chanteur mais qu'il n'a jamais eu l'intention de leur prendre leur argent. Ce n'était qu'une farce, un jeu pervers destiné à les mettre face à eux mêmes...
Ce n'est plus un secret, la bourgeoisie afin de tromper son éternel ennui n'a jamais trouvé meilleure solution que de se vautrer dans la débauche et la perversion dont elle en fait des jeux souvent dangereux. Dés la fin des années 60 le cinéma italien a très souvent illustré le propos à travers une myriade de films. Celui de Mauro Severino n'en est qu'un de plus sur la liste. Vergogna schifosi! sorti en 1972 dans nos salles sous le titre La rançon de la chair mélange plus ou moins habilement deux genres alors en vogue, le drame bourgeois grotesque à la Bellocchio et le thriller à la Lenzi pour son complot sur fond de sexe. Le résultat est assez surprenant, pas forcément toujours réussi mais loin d'être inintéressant.
Bien au contraire. Le film s'ouvre sur la mort accidentelle d'un jeune homme sous l'emprise de drogues lors d'une partouze que trois de ses amis ont organisé. Ne pensant qu'à leur avenir et leur statut social ils enterrent le corps et oublient cette tragédie jusqu'au jour où bien des années plus tard, quelqu'un ne les fasse chanter grâce à une photo. Très vite ils pensent à un de leurs anciens amis. Reste à savoir comment ils vont lui faire avouer si toutefois il s'agit bel et bien du coupable.
Autant le dire de suite il ne se passe quasiment rien durant ces 90 minutes. Il n'y a ni meurtre ni tension spéciale ni même de suspens. Pourtant Vergogna schifosi! parvient à
capter l'attention assez facilement pour le peu qu'on entre dans le jeu et soit réceptif à cette ambiance psychédélique, pop art, typique du cinéma de ces années. Dés l'instant où les trois amis dont le point commun est leur vide existentiel débarquent chez Carletto pour tenter de lui arracher subtilement les vers du nez tout se joue sur les regards, les dialogues, les non dits de chacun car tous les quatre sont de potentiels suspects, plus méprisables les uns que les autres. Ils ne pensent qu'à eux, qu'à leur position sociale, ce qu'ils ont acquis faisant fi de la moindre compassion ou pitié, prêts à tout pour conserver leur statut sur fond de discours révolutionnaires, contestataires propre à la jeunesse de l'époque. De petits
rebelles bourgeois du dimanche qui trompent leur ennui dans la drogue, les parties, le sexe et le vice qu'ils ont dans la peau, des jeux auxquels ils continuent de jouer aujourd'hui même si certains sont mariés (Lea) même si le but est de faire tomber Carletto. Voilà qui donne deux séquences assez hypnotiques, deux parties étourdissantes sous acides (le jeu du vase chinois, étourdissant) et le week-end à la plage) où on finit à demi nus, épuisés dans lesquelles Severino entraine son spectateur lui même séduit, déstabilisé par les clowneries, les facéties, l'humour souvent cynique (à double tranchant?) de Carletto.
Malgré sa lenteur, une mise en scène discrète et l'utilisation sans grande originalité des
habituels clichés de la culture pop art Vergogna schifosi! n'est jamais ennuyant tant on souhaite savoir si Carletto est ou n'est pas le maitre chanteur, s'il le connait, s'il joue avec ses ex-camarades. En ce sens l'interprétation d'un tout jeune Lino Capolicchio version blond décoloré dangereusement beau les yeux soulignés au eye-liner, sorte de Peter Pan, mime, magicien, pitre, aussi pétulant qu'il semble être hors du monde, est excellente. Il joue parfaitement sur les deux faces de son personnage ambigu jusqu'aux ultimes minutes. Ses partenaires sont tout aussi bons et c'est là une des autres forces du film. Face à lui le français Daniel Sola aux faux airs d'Alain Delon que Severino ne cesse de mettre en valeur
en multipliant gros plans sur son visage et poses suggestives et en le déshabillant le plus souvent possible. Il passe ainsi une partie du film soit torse nu, en slip ou légèrement vêtu sans parler de ce short orange qui laisse deviner sans mal ce qu'il dissimule dessous et du plan gratuit sur la braguette ouverte. Plus intéressante encore est cette ombre d'homosexualité latente qui plane sur la seconde moitié du film, cette relation trouble, ambiguë entre lui et Capolicchio avec qui il semble en perpétuelle rivalité, un jeu de séduction plus particulièrement ressenti, ostentatoire, lors de la journée à la plage. Roberto Bisacco qui n'a jamais autant ressemblé à Martin Landau a un coté impressionnant ne
serait-ce que par la dureté de son visage (qui rappelle son rôle dans Torso). Quant à la brésilienne Marilia Branco, la première épouse d'Adolfo Celi, elle est superbe en jeune putain mondaine, aussi noire que ses comparses.
C'est aussi cette noirceur qui donne au film son intérêt, une noirceur dont il est totalement imprégné et qui éclatera dans toute sa splendeur lors d'un final peu surprenant du moins dans la révélation de l'identité du maitre chanteur mais plus inattendu dans ses raisons, les deux se faisant par le biais d'un magnétophone qu'écoutent sur la plage tous les protagonistes pour certains embarrassés, stoïques pour d'autres. Tout cela n'était qu'un jeu
pervers pour tromper son ennui, une farce de tout aussi mauvais gout que la vie dissolue que mènent ces jeunes faux rebelles du grand monde dont seule leur petite personne compte. Et c'est pour une plaisanterie qu'ils ont commis un vrai crime cette fois... un meurtre inutile dont une fois la surprise passée, ne semble pas les atteindre plus que ça. "Si on allait se baigner"? propose le mari de Lea parfaitement indifférent. Et la vie continue! Et c'est justement cette morbidité, ce cynisme, cette impassibilité dont on se délecte ici.
Incontournable est la bande originale composée par Ennio Morricone, une bande originale aujourd'hui plus célèbre que le film lui même qui depuis des décennies et des décennies
dort dans les tiroirs empoussiérés de l'oubli. Fascinante, obsédante, la musique de Morricone et son leitmotiv entêtant "Uan! Uan!... Matto, caldo, soldi, morto... Girotondo" (entonné par Edda dell'Orso) est un pur petit chef d'oeuvre qui donne à l'ensemble un coté angoissant auquel s'ajoutent les images d'une Milan déserte presque irréelle écrasée sous la canicule d'aout. Le cortège funéraire lors des funérailles de Carletto n'en est que plus surréaliste.
Vergogna schifosi! n'est pas un chef d'oeuvre mais il n'en est pas moins un thriller certes discret, attendu, mais cependant diablement efficace, curieux, dont on appréciera la noirceur,
le cynisme mais également le psychédélisme, son style pop art fortement estampillé fin années 60, un Lino Capolicchio envoutant sautillant tel un diablotin sur les notes d'une composition de Morricone qui elle est un vrai petit bijou. Malheureusement le film oublié des éditeurs n'est pas évident à visionner aujourd'hui si ce n'est par le biais d'une vieille et un peu trop obscure VHS italienne. Circule par chance depuis peu sur le net une version télécinéma bien meilleure que l'amateur se réjouira de posséder dans ses étagères.
La bourgeoisie n'en finira jamais de nous régaler de ses jeux et perversions.