Luciano Rossi: Le destin tragique d'un éternel oublié
Il restera l'une des plus mémorables figures du cinéma de gentre italien de par son physique particulier reconnaissable parmi tant d'autres. Avec plus de 70 films à son actif, il aurait pu facilement accéder à la gloire mais le sort en décida autrement puisqu'il est toujours resté dans l'ombre des plus grands. Injustement oublié, il s'en est allé, seul, dans la plus totale indifférence.
Le Maniaco lui offre donc aujourd'hui cette reconnaissance qu'il n'a jamais eu à travers cette nouvelle biographie qui retrace le parcours de cet acteur qui passa son temps à se faire brutaliser et humilier par ses partenaires à l'écran, l'inoubliable Luciano Rossi.
Luciano est né le 28 novembre 1934 à Rome. Il suit un parcours scolaire classique avant de trouver un emploi dans une société d'import-export. Mais la grande passion de Luciano est le cinéma. C'est donc sans regret qu'il quitte son travail pour Cinecittà où il espère faire quelques extras. Son physique particulier le fait vite remarquer des agents artistiques. Mince, blond, il incarne facilement l'Etranger. Sa petite taille et un problème de dos dû à une distrophie musculaire qui s'aggravera avec le temps en faisait un acteur à part dont les réalisateurs exagéraient les problèmes physiques pour en faire une sorte de Quasimodo moderne. C'est surtout sa blondeur et ses longs doigts fins comme le souligne Sergio Sollima que les metteurs en scène vont retenir de lui.
Entre 1966 et 1967 Luciano apparait non crédité la plupart du temps dans une poignée de films, de très brèves apparitions qui ne font qu'augmenter au final le nombre d'oeuvres auxquelles il participa.
Ces extras lui permettent de se faire une petite réputation et de lancer sa carrière que ses parents voient d'un mauvais oeil. Ils auraient en effet souhaité que leur fils devienne médecin. N'écoutant que sa passion, Luciano poursuit son rêve et ce sont Osvaldo Civirani et Mino Guerrini qui lui offrent ses premiers vrais rôles crédités, fugaces certes, dans respectivement Uno sceriffo tutto d'oro et Sicario 77 vivo o morto.
Avec Django de Corbucci, Luciano entame une longue période western, un genre dans lequel il excella avant de se tourner vers le polar et le giallo dés le début des années 70. On le voit ainsi dans La piu grande rapina del west, Il figlio di Django, Django le bâtard, Bill il taciturno, L'avventutiero, Sentence de mort, Les 4 de l'ave Maria, Django prépare ton cercueil, La collina degli stivali, On l'appelle Trinita ou encore Saludes hombres.
Si les réalisateurs le cantonnèrent jusqu'à la fin de sa carrière dans des rôles de second plan voire de simple figurant, deux points caractérisaient les personnages qu'interprétait Luciano. Outre le fait qu'il ne passe pas inaperçu quelque soit la brièveté de son temps d'écran, il va d'une part passer la plus grande partie de ce temps à se faire brutaliser et humilier par ses partenaires avant de leur rendre la pareille par la suite dans certains films, d'autre part ses personnages sont le plus souvent asexués.
Luciano n'a en effet jamais eu de scènes érotiques, il n'a même jamais embrassé ses partenaires féminines. Pourtant dans sa vie privée, Luciano avait beaucoup de charme et aimait profiter de la Dolce vita que son métier avait la chance de lui apporter, heureux de l'exercer, car il lui offrait et le respect des autres et de quoi vivre.
Sa vie personnelle était plus étrange confie Alessandro, son neveu, la personne dont il a été le plus proche durant toute son existence. Il avait un rapport bizarre avec les femmes. Si Luciano n'a jamais été en manque de conquêtes il a toujours refusé de se marier et ses relations restaient toujours laconiques. Selon son neveu, il n'a aimé qu'une seule et unique femme, une allemande, qu'il refusa cependant d'épouser. Tout son amour il le reportait sur son neveu avec qui il entretenait une relation particulièrement privilégiée.
Lorsque le western se meurt en Italie, Luciano va alors s'orienter vers d'autres genres cinématographiques dont le giallo et le polar. On citera de mémoire La peur au ventre dans lequel il joue un inquiétant employé de morgue, La morte ha sorriso all'assassino qui lui offre une fin redoutable et particulièrement sanglante, La morte cammina con i tacchi alti, La morte accarezza a mezzanotte, La mano spietata della legge, Passa di danza su una lama di rasoio où il ne fait qu'une petite apparition mais dont la mort reste inoubliable, les parties intimes brulées au chalumeau, Bistouri la mafia blanche, Les rues de la violence, Les dossiers roses de la prostitution, Napoli violenta, Rome violente, Luca le contrebandier de Fulci ou encore Il trucido e lo sbirro.
Il a également à son actif quelques films d'aventures et de guerre dont entre autres Cinque per l'inferno, Buck le loup de Tonino Ricci, Il figlio di Zanna Bianca tout comme il compte des apparitions dans quelques oeuvres horrifiques ou de pur exploitation dont Frayeurs, Horreurs nazies ou encore Les tortionnaires du camp d'amour 2 dans lequel il interprète le sadique directeur d'un camp de travail. Ce sera l'unique film où Luciano doit jouer des scènes érotiques, ici avec l'insatiable Gota Gobert. S'il apparait bel et bien nu, c'est à une doublure que les plans les plus osés furent confiés quand il ne s'agit pas tout simplement d'inserts spécialement tournés pour les scènes pornographiques interprétés par la porn diva Guia Lauri Filzi.
Malgré le nombre impressionnant de films qu'il tourne Luciano n'accédera pourtant jamais à la célébrité et ne se verra pas proposer de rôles de premier plan. sa carrière ne décolle pas et il n'a pas la reconnaissance de ses pairs. Bien ironiquement peu de ses partenaires à l'écran se souviennent de lui. Antonio De Teffé lui fera même l'affront de ne pas le reconnaitre alors qu'il le croisa en ville. Seul Donald O'Brien saluera l'acteur pour sa gentillesse et reconnaitra son talent.
Luciano va beaucoup souffrir de la situation et cela aggravera ses problèmes de santé. Celle ci se dégrade de plus en plus à la fin des années 70. Il sombre dans la dépression et les médicaments lui font prendre du poids tant et si bien qu'il doit suivre un régime afin de pouvoir continuer à travailler. Ce régime malheureusement l'affaiblit physiquement et aggrave ses problèmes. Alcoolique, il cessera toute activité en 1987 après quelques oeuvrettes purement commerciales telles que Sangraal pour la plus regardable et Lunga vita alla signora pour la plus dispensable.
Luciano se retire alors définitivement. La rumeur le dit sans-abri mais en réalité il vit chez sa mère dans la maison familiale dans son petit village natal de Collepardo. Son neveu devenu médecin s'occupera de lui jusqu'à sa mort.
D'années en années son état empire. Sa distrophie doublée d'ostéoporose, sa dépression et ses crises d'angoisse le ravagent. Drogues, anti-dépresseurs, tranquillisants continuent à l'affaiblir. Incapable de se mouvoir seul, Luciano se cloitre chez lui jusqu'à la mort de sa mère. Oublié de tous, oublié du métier, il répétera souvent que dans le show-biz les amis n'existent pas. Seul, il fut alors hospitalisé. Il passa son temps à se remémorer les belles années de sa vie, ayant conscience que plus jamais il ne retravaillerait. Il passa ses dernières années entouré de ses reliques de jeunesse, vivant dans le souvenir, avant de s'éteindre dans la plus grande indifférence le 29 mai 2005 à 70 ans. Il fut enterré à Rome.
C'est ainsi que disparut Luciano, un comédien dont le talent n'a que très rarement su être exploité. Si la profession ne l'a que trop esquivé, ses admirateurs garderont de lui le souvenir d'un acteur véritablement investi, professionnel, qui ne vivait que pour l'amour de cette noble activité. Pour nous, il restera cette "gueule" à jamais présente dans nos coeurs bissophiles.