La maladolescenza
Autres titres: Jeux interdits de l'adolescence / Maladolescenza / Spielen wir liebe
Réal: Pier Giuseppe Murgia
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Teensploitation
Durée: 91mn
Acteurs: Martin Loeb, Eva Ionesco, Lara Wendel et le chien Xylo
Résumé: Fabrizio retrouve son amie d'enfance, Laura. Il a 17 ans, elle en a 13. Fabrizio est un adolescent difficile qui éprouve des désirs d'homme et aimerait voir en Laura autre chose qu'une enfant. Il aime l'humilier et la provoquer. L'arrivée de Silvia, une étrange enfant de 12 ans particulièrement mature, va bouleverser les choses. Fabrizio trouve en Silvia la compagne idéale, aussi perverse que lui. Laura va être leur souffre-douleur lors de jeux pas toujours innocents où la sexualité tient une place majeure...
La maladolescenza devenu Jeux interdits de l'adolescence pour la rarissime édition vidéo française fait sans nul doute partie des films les plus scandaleux et audacieux qu'ait connu l'Italie des années 70, une oeuvre très difficile d'accès au parfum de scandale où plane une ombre sournoise de pédophilie pour celui qui voudrait y voir à mal. La maladolescenza n'est pourtant ni plus ni moins qu'une illustration certes osée de l'éveil des sens de l'adolescence, le passage toujours difficile de l'enfance à l'adolescence et de l'adolescence à l'âge dit adulte. C'est également une tentative incroyablement osée de montrer que les enfants ont eux aussi à la base une sexualité qu'ils seront amenés à développer.
Trois et uniquement trois protagonistes représentent ici cette magique mais pourtant si douloureuse transition: Fabrizio, dix sept ans, Laura son amie d'enfance, treize ans, qui malgré ses formes naissantes n'est encore qu'une enfant et Silvia, onze ans, véritable petite poupée blonde qui possède déjà les désirs et la perversité d'une femme. La maladolescenza est l'histoire de cet étrange trio qui à travers leurs jeux où la sexualité est omniprésente oscille sans cesse entre perversité et méchanceté, innocence et fraîcheur. Voilà une fable perverse, cruelle, un hymne cru sur le passage traumatique de l'enfance au stade adulte, l'éveil de la sexualité et du corps. La sexualité n'est faite que de fantasmes qu'on ne maîtrise pas encore vraiment qui au final ne sont que des jeux aussi durs et cruels soient ils réservés en temps normal aux adultes. Tout enfant et adolescent s'est un jour
considéré adulte, a voulu jouer à l'adulte à travers ce type de jeux. La cruauté, l'humiliation, la perversité et même la perversion ne sont ils pas inhérents à ces périodes de la vie que sont l'enfance et l'adolescence? Les séquences d'urophilie (ou la représentation du stade pipi-caca propre à ce stade de la vie et directement ou indirectement lié à la sexualité de l'enfant), l'odieuse rivalité entre les deux fillettes, les sévices que Laura doit endurer en guise de punition, le massacre de l'oiseau, la cruauté tant verbale que physique de Fabrizio, adolescent perturbé par ses désirs qui trouvent écho dans la perversité, la maturité et la grossièreté de Silvia, ne sont que le reflet de leur lente transformation au cours de laquelle ils redeviennent de simples enfants lors de séquences totalement innocentes et pleines de fraîcheur comme lors de leurs promenades champêtres lorsqu'ils se roulent nus dans l'herbe. L'absence d'adultes d'ailleurs fait que l'âge est constamment mis en filigrane.
C'est un peu le Paradis corrompu, une revisitation amorale du mythe d'Adam et Eve que les choeurs angéliques d'une partition musicale symphonique pastorale renforcent. Il n'y a donc plus d'innocence, plus rien n'est préservé et l'humanité est odieuse dès le premier âge. Elle divise les individus entre bourreaux et victimes semble vouloir démontrer Murgia. Cette démonstration culmine lors du morbide et inéluctable final.
Vu sous un autre angle La maladolescenza pourrait être qu'une sorte de rêve. La séquence d'ouverture qui montre Fabrizio entrain de dormir nu aux cotés de son chien Xylot n'est peut être que l'illustration des désirs les plus inavouables du jeune garçon qui désire sa cousine encore trop prude et innocente pour satisfaire ses envies coupables. Silvia serait alors le double pervers de Laura, l'incarnation du mal, de la tentation, du péché de chair et du stupre. Les trois enfants pourraient alors personnifier Adam, Eve et Lilith folâtrant dans cet Eden vert où ils se laissent aller au vice et la corruption de la chair. a moins que tout simplement ce prologue ne cherche qu'à imager le coté bestial de tout être humain. Chacun se fera sa propre opinion.
La grosse polémique à l'époque de la sortie de La maladolescenza fut l'âge des jeunes acteurs d'une part et d'autre part la façon dont Murgia s'attardait sur leur corps, visant une érotisation extrême de l'enfant. Il en va de même pour certaines situations fort compromettantes notamment lors des étonnantes scènes d'amour où Silvia se donne à Fabrizio, véritable femme prisonnière involontaire d'un corps d'enfant, caressant par instant les frontières même de la pornographie soft. Murgia filme le tout d'une manière approximative donnant au film un aspect semi-clandestin qui rappelle ces produits destinés au marché underground et renforce par la même le coté malsain-vérité du film.
Entièrement tourné en 1977 dans les bois et champs verdoyants d'une permissive Autriche, La maladolescenza divisera toujours le public. S'il ne s'agit là que d'une illustration crue et sans détour de l'éveil des sens, on pourrait reprocher et même accuser Murgia de se contenter de placer sa caméra en voyeur, d'exploiter un sujet délicat pour en faire une oeuvre malsaine et complaisante destinée à satisfaire les instincts répréhensibles et pervers du spectateur mais le cinéma n'est il pas l'oeil de la vie? Il a simplement choisi de montrer sans artifice aucun mais en plaçant le spectateur dans une position particulièrement gênante cette difficile et ambigüe étape de la vie dans ce qu'elle a de plus naturellement osée en prenant pour base le fait que chacun de nous a connu un jour ou l'autre ce que le film tente d'imager. L'absence de tout adulte désamorce d'une certaine façon le coté sulfureux et interdit qu'il aurait pu avoir. La maladolescenza dont le titre de travail fut Spielen wir liebe reste pourtant un film profondément intelligent derrière ce coté dérangeant, une superbe étude sur la "maladolescence" et ces difficiles moments qui peuvent mener à la destruction.
Tout le film repose sur les épaules de son jeune casting, formidable en tout sens. Lara Wendel, fille de l'actrice Britta Barnes, avait débuté petite fille dans I ragazzi del massacro et Il profumo della signora in nero. Elle avait treize ans lors du tournage et continua dans ce registre, cataloguée comme nouvelle lolita perverse du cinéma italien avant
de finir chez Joe D'Amato et Umberto Lenzi (Ghost House, Killing birds), Martin Loeb avait dix-sept ans et n'est autre que le frère de la chanteuse Caroline Loeb, inoubliable interprète de "C'est la ouate". Il s'était auparavant illustré dans le film de Jean Eustache, Mes petites amoureuses qui là encore traitait des problèmes de l'adolescence. On le reverra par la suite chez Pierre Zucca pour Roberte. Mais on retiendra surtout celle par qui le scandale arriva, la petite et troublante Eva Ionesco, onze ans, fille de la célèbre et sulfureuse photographe roumaine Irina Ionesco qui avait déchainé les foudres en publiant un livre sur l'érotisation de l'enfant en photographiant nue sa fille dés l'âge de quatre ans dans des poses lascives et plus que suggestives aux limites parfois du surréalisme. D'une spontanéité et d'un naturel étonnant, éminemment troublante, alliant à la perfection candeur et perversité, maturité et innocence, Eva, aussi angélique que vénéneuse, est l'atout majeur de ce film singulier et unique en son genre.
Intelligent dans sa démarche outrancière aussi ambivalente et douteuse soit elle, voilà une très belle et audacieuse étude d'un stade déterminant de la vie de l'homme même si la polémique sur le travail de Murgia dont ce fut un des rares films de sa courte carrière de cinéaste ne cessera semble t-il jamais. La maladolescenza est surtout un parfait témoignage d'une époque où on prônait la totale liberté sexuelle, où l'Italie ne se donnait aucune barrière, explosant sans retenue tous les tabous de notre société y compris celui ci, un des plus difficiles et délicat. Le film de Murgia est en ce sens un parfait exemple si ce n'est l'apothéose de ce que la teensploitation transalpine a pu donner alors. En cela, La maladolescenza demeure en effet un film unique aujourd'hui totalement impensable et surtout réalisable, une oeuvre exceptionnelle devenue au fil du temps un véritable culte pour un certain public, un graal recherché par bon nombre de curieux et de passionnés devenu aujourd'hui très rare car strictement interdit dans la plupart des pays.
Pour nous, il s'agit là tout simplement d'une véritable gemme, un petit trésor, quintessence même de ce cinéma subversif que nous vénérons. Voilà tout simplement à nos yeux un véritable chef d'oeuvre dont chacun se fera une opinion très personnelle selon ses propres valeurs aussi bien éthiques que morales. La maladolescenza est tout simplement inclassable.