Pensione paura
Autres titres: La violacion de la senorita Julia
Réal: Francesco Barilli
Année: 1978
Origine: Italie / Espagne
Genre: Giallo
Durée: 99mn
Acteurs: Leonora Fani, Luc Merenda, Francisco Rabal, José Fiero, Lidia Biondi, José Maria Prada, Wolfango Soldati, Carlo Totti, Luigi De Santis, Francesco Impeciati, Maria d'Allessandro, Diala Caruso, Maximo Valverde...
Résumé: 1945 - Nord de l'Italie. Rosa, une adolescente gère l'hôtel familial en attendant que son père revienne de la guerre. Après que sa mère ait été tuée par son amant qu'elle tenait enfermé dans un grenier, Rosa est violée par deux pensionnaires. C'est alors que ces violeurs sont assassinés par une mystérieuse ombre portant manteau et chapeau. Alors qu'elle enterre les corps dans la cave, elle est obligée de participer à une orgie organisée par les pensionnaires. Un étranger la sauve et tue tous les participants. Qui est il? Que veut il? Une étrange relation nait entre eux tandis que Rosa surveille toujours le retour de ce père, si toutefois il existe...
Déjà auteur du réputé Il profumo della signora in nero avec Mimsy Farmer en 1974, un étrange thriller psychologique fortement inspiré de Rosemary's baby qui mêlait avec intelligence plusieurs genres, le film de secte, de cannibalisme le tout fortement teinté d'une aura fantastique, Francesco Barilli, également acteur de théâtre, signa en 1978 cette deuxième oeuvre aussi malsaine que macabre.
Pensione paura est un giallo atmosphérique, étrange, envoûtant, aussi sordide que morbide, un film schizophrène à l'univers claustrophobe et névrosé jonché de personnages tous plus bizarres et inquiétants les uns que les autres.
Il se rapproche d'une part des univers glauques de Pupi Avati. Il y inclut d'autre part des éléments empruntés à Fellini pour ses personnages monstrueux et dépravés et à Argento pour les jeux d'ombres et de lumières avec lesquels Barilli ne cesse de jouer. Il projette ces ombres sur les murs des couloirs décrépis alors que les tons rouges viennent jeter un peu de chaleur sur cette sombre pension. Tout le film est basé sur ce principe. Barilli n'a plus qu'à faire lentement monter la tension jusqu'à l'explosion de folie qui conclura de manière tragique le film.
Construit en deux parties, Pensione paura distille dès l'ouverture un parfum vénéneux, s'imprègne d'une aura de mort tant au sens propre qu'au sens figuré. La première partie met en place les différents personnages, dépeint les lieux avec une étonnante précision qui faisait déjà la force de Il profumo della signora in nero, tandis que la caméra lèche chaque détail. L'action étant située durant la deuxième guerre mondiale, cette ambiance étouffante où luxure et folie se mêlent se trouve amplifiée par le bruit lointain des bombes et des avions à l'image de Salo où on entendait au loin les terribles ravages de la guerre alors que sévissaient les bourreaux. Tout comme chez Pasolini, le malaise et la peur sont autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'hôtel. Gigantesque bâtisse grise en ruines aux murs décrépis, symbole de décadence et de pourriture / dégénérescence à l'image même des pensionnaires, La pension des Sirènes s'étale sur plusieurs étages. Elle compte un nombre impressionnant de coins et recoins, de chambres aux lits infestés de cafards, d'escaliers qui se perdent au coeur de la nuit comme s'ils menaient aux Enfers, de sous-sols et pièces putrides, délabrées.
Les résidents sont des personnages tous plus dépravés les uns que les autres dissimulant bon nombre de secrets. Ils vivent coupés du monde et macèrent dans ce microcosme comme hors du temps et de la réalité. Leurs comportements vont de pair: du vieillard ricanant qui prend des bains dans d'immondes baignoires remplies d'eau croupissante au milieu d'une salle de bains putrescente à Rodolfo, obsédé par l'innocence de l'adolescente, le Dom Juan pervers marié à une vieille femme acariâtre.
Rosa et sa mère sont tout aussi étranges. La mère cache un amant interdit dans l'armoire de ses chambres. Il est le témoin muet et apeuré de la folie qui s'est emparée des lieux, traumatisé par la guerre. Rosa est quant à elle une jeune fille perturbée, incarnation de l'innocence et de la pureté dans cet univers souillé, qui attend désespérément le retour de son hypothétique père parti à la guerre.
Tout tourne autour de cette obsession de Rosa pour ce père absent, seule image masculine qu'elle connait et surtout accepte jusqu'à ne plus vivre qu'à travers lui. A la mort de sa mère, accidentelle ou non, Rosa ne l'aurait elle pas en effet tué pour détruire toute image féminine, l'adolescente va se retrouver seule à la tête de la pension, proie des locataires, proie de sa propre folie.
C'est ici que la deuxième partie du film commence. Barilli peut alors faire exploser cette violence et cette folie latente dans un climat de plus en plus oppressant en orientant l'ensemble vers le thriller psychologique plus traditionnel. Violée par Rodolfo devant sa femme complice, Rosa vit désormais dans la terreur, guettant fiévreusement le retour de son père qui clame t-elle la vengera.
Une ombre chapeautée dissimulée sous un imperméable noir va très vite errer la nuit dans l'auberge et tuer Rodolfo, une des séquences les plus violentes du film. Après avoir découvert le corps, Rosa en état de choc va traverser les dédales de couloirs en trainant avec peine le corps ensanglanté qui n'en finit pas de mourir. Elle va de pièces noires en escaliers interminables comme si elle l'emmenait aux Enfers avant de le jeter finalement dans une baignoire remplie de boue immonde où surnagent déjà d'autres cadavres.
Les événements vont alors se précipiter. Le film bascule dés lors dans un monde quasi irréel. Rosa se retrouve au milieu d'une orgie surréaliste durant laquelle tous les pensionnaires devenus fous, transformés en vieillards agressifs et bourgeois décadents tentent de la violer dans un baquet d'eau. Arrive un inconnu qui les massacrera tous. Ce mystérieux Messie, ce sauveur inattendu et énigmatique avoue alors être un ami du père de Rosa et lui annonce sa mort à laquelle la jeune fille refuse de croire.
Entre l'amour qu'elle semble éprouver pour cet individu surgi de nulle part et sa folie obsessionnelle et schizophrène, elle le tue après lui avoir révélé son terrible secret et celui de la pension. Elle nous offre enfin les terribles réponses aux nombreuses énigmes du film qui se clôturera sur la tragique vision de Rosa entrain de s'enfermer à clé dans l'hôtel pour attendre de nouveaux pensionnaires fictifs et le retour de ce bien aimé père. Ces dramatiques images ne sont que le reflet symbolique de son irrémédiable folie inspirée de certains grands classiques dont Psychose.
Sombre, glauque, oppressant, morbide, Pensione Paura est un magnifique giallo psychologique atmosphérique que pourtant le réalisateur n'aime guère tant il entretint de très mauvaises relations avec le producteur qui selon lui détruisirent en grande partie ce que le film aurait du être à l'origine. Barilli y symbolise parfaitement la névrose d'une adolescente perturbée en quête d'une identité. Toute l'intrigue du film tourne autour des problèmes psychiques de Rosa dont l'esprit est à l'image des méandres et dédales de cette pension, un véritable labyrinthe mental aussi délabré que le lieu lui même comme si Rosa ne faisait qu'une avec cet hôtel. Chaque élément, chaque personnage se réfère aux troubles mentaux et sexuels de la jeune fille, obsédée par l'image de son père absent jusqu'à se substituer à lui. Mais a t-il un jour seulement existé ailleurs que dans son imagination? N'a t-elle jamais fait que transposer ce fantôme dans sa propre réalité pour combler un vide abyssal? Pensione Paura distille du début à la fin un climat étouffant et claustrophobe. Barilli alterne les véritables peurs et la violence pure avec les frayeurs bien plus irréelles et fantasmagoriques de ses personnages.
Leonora Fani, une des sulfureuses lolita du cinéma d'exploitation italien qui sortait des amours zoophiles de Bestialità et du scandaleux Nenè trouve ici son plus beau rôle, prouvant à quel point elle pouvait être une grande actrice capable de jouer autre chose que des petits films érotiques répétitifs. Luc Merenda se colle quant à lui avec grande justesse au rôle de Rodolfo.
Giallo morbide et étouffant, presque maladif, Pensione paura prouve une fois de plus tout le talent d'un réalisateur qui fort déçu par ce film et de la manière de travailler pour le cinéma en général préféra se retirer par la suite et se consacrer au théâtre. Quelque soit le résultat final, Pensione paura est une fois de plus une superbe et sordide illustration d'une névrose.