Difendimi dalla notte
Autres titres:
Real: Claudio Fragasso
Année: 1982
Origine: Italie
Genre: Thriller / Drame
Durée: 97mn
Acteurs: Antonio Piovanelli, Leonora Fani, Saverio Marconi, Jean-Pierre Aumont, Franca Stoppi, Andrea Aureli, Susan Forgione, Fausto Lombardi, Marco Pazziani, Francesco Piastra, Pierangelo Pozzato...
Résumé: Angelo rentre d'une mission humanitaire en Afrique. Il revient à Rome après douze ans d'absence durant lesquels il a perdu la foi. Il retrouve sa soeur avec qui autrefois il entretenait une relation incestueuse latente. Elle vit aujourd'hui avec son amant, un garçon brutal et jaloux. Cette relation à trois n'est pas toujours très sereine. Elle l'est encore moins lorsque Angelo découvre que sa soeur est toxico-dépendante...
Connu pour être l'inséparable partenaire de Bruno Mattei et pour sa filmographie pas toujours très reluisante Claudio Fragasso est généralement associé à une multitude de petites pellicules Bis avoisinant très souvent la série Z, des films essentiellement d'horreur réalisée à une période où le cinéma de genre n'en finissait plus de mourir. Emergeaient cependant du lot quelques titres comme Le teste rasate et sa vision du néo nazisme, ses westerns (Scalps, Bianco apache) et surtout Difendimi la notte, son tout premier film tourné en 1982 qui malgré ses défauts reste un essai tout à fait particulier qui mérite l'attention de
l'amateur d'oeuvres sombres, névrotiques et claustrophobes.
Après douze années passées dans une mission humanitaire en Afrique Angelo, un ecclésiastique, revient à Rome. Déçu par l'Eglise, son hypocrisie, il a lentement perdu la foi. Il revient vivre chez sa soeur Michela pour qui il éprouvait autrefois des sentiments incestueux qui apparemment n'ont pas disparu. Dés son arrivée leur amour latent semble vite refaire surface. Michela vit avec son petit ami Carlo, un petit inventeur qui travaille sur un projet fou de machine volante. Tous deux ont une relation assez brutale aux limites du sadomasochisme. Le retour d'Angelo n'est donc pas pour plaire à Carlo qui sent que
quelque chose de sournois lie le frère et la soeur. Michela est infirmière à domicile. Elle s'occupe d'un adolescent paraplégique. Un de ses voisins, Giacomo, un vieil artiste en retraite qui vit reclus chez lui avec son austère gouvernante qui le coupe du monde en lui interdisant d'écouter radio et télévision, lui demande de venir lui tenir compagnie. Il s'éprend de la jeune fille mais découvre vite que Michela est toxico-dépendante. Il en informe son frère qui la séquestre afin de tenter de la soigner. En manque Michela multiplie les crises. Les sentiments incestueux refont surface. Ne pouvant plus lutter contre leurs sentiments le frère et la soeur font l'amour tandis que dehors un maniaque, à bord d'une voiture, assassine
la population. Angelo se rase entièrement, se tranche un doigt, tente de se suicider mais n'y parvient pas. Il erre dans la nuit, rencontre un travesti que le maniaque veut assassiner. Il prend sa place pour que le psychopathe mette fin à ses jours. Réalisant le subterfuge il lui laisse finalement la vie sauve. La mort ne veut pas d'Angelo. Un être christique apparait.
Autant dire que Difendimi la notte tranche avec le reste de la filmographie de son auteur et risque de surprendre. Pour son premier essai cinématographique Fragasso signe un film étrange, une oeuvre glaciale qui se veut une peinture du monde urbain des années 80 et de
ses tares. C'est ici la rencontre de deux mondes opposés, l'un sacré et engagé tant politiquement que religieusement, l'autre profane et paranoïaque que Fragasso profile sur fond de paysages nocturnes éclairés de néons froids. Dans cet univers aussi impersonnel que surréaliste il y donne sa vision de la décadence morale de notre société moderne où le vice, la violence, la corruption viennent de manière irréversible en contaminer un plus vertueux fait d'amour, d'affection en faisant ressortir sa face négative. Et les maux Fragasso les aligne ici. Inceste, drogue, brutalité tant physique que sexuelle, meurtres, solitude, décadence, colère et névrose, fustigation des institutions religieuses se mêlent ici dans
l'indifférence à l'intérieur d'un microcosme urbain hanté par les inquiétantes silhouettes de voyous anonymes sillonnant les rues de la ville sur leur rollers, dissimulés derrière leur ray ban, un walkman sur les oreilles. Impossible de ne pas penser un tant soit peu à Subway ou La lune dans le caniveau tous deux sortis la même année tant pour l'esthétisme très vidéo clip fortement ancré dans son époque que pour l'aspect sombre, désespéré de l'intrigue, de ses protagonistes, désillusionnés, à bout de souffle qui trouvent refuge dans la drogue, la paranoïa pour l'une, dans un amour incestueux pour l'autre menant à rien sinon à la mort ou tout simplement dans le silence, la réclusion, pour le vieux voisin.
Difendimi la notte est un drame existentiel comme l'Italie a su en offrir durant toute la
décennie précédente, un film qui se rapproche du cinéma d'auteur, avec ses références, ses symboles, ses allégories christiques qu'il faut déchiffrer. Malheureusement Fragasso n'est ni Besson ni Beneix et n'a pas vraiment les épaules pour soutenir un projet aussi ambitieux. Difficile parfois de trouver un vrai sens à ses analogies mais avant tout de réellement accrocher à cette histoire dramatique un peu trop fourre-tout faute à l'incapacité de Fragasso de créer une véritable atmosphère. Une aussi étonnante que magnifique photographie aux tons glaciaux, un esthétisme très vidéo clip, aseptisé, des personnages paumés et névrosés, une musique éthérée ne suffisent pas toujours à instaurer un climat maladif,
claustrophobique propre à la psychose des personnages, à cet environnement sans âme régulièrement éclaboussé de sang. Aussi violents et gratuits soient ils les meurtres (celui du peintre aveugle et de la prostituée, telle une poupée désarticulée, jetée dans une décharge au petit matin) ne font pas réellement mouche non plus et n'ont guère de sens. Pourquoi tue t-on? Qui est le ou les tueurs? Qui conduit cette voiture noire fantomatique? Des questions qui ne trouveront pas de réponse. Ces massacres font simplement partie de ce quotidien, symbole de la folie urbaine, mais ainsi montré c'est plus la frustration voire l'incompréhension que suscite Fragasso qui se rattrape sur un final aussi allégorique que
violent. Après avoir cédé à ses pulsions incestueuses Angelo se rase entièrement, se tranche un doigt, un geste suicidaire raté symbole de sa délivrance par la mort. Il erre dans la rue, prend la place du travesti que le psychopathe veut tuer afin d'en finir avec la vie. Commence alors une course-poursuite effrénée sur l'asphalte. Le subterfuge découvert le maniaque l'épargne tandis qu'au bord de la route apparait un jeune homme aux traits christiques. L'allégorie est claire. Dieu n'a pas voulu de son ouaille, lui redonne sa chance en lui redonnant la foi, une ombre d'espoir dans ce monde déshumanisé. Même si elle est brillante, parfaitement mise en scène, haletante et surtout si elle apporte une note positive à
l'ensemble cette conclusion laisse pourtant quelque peu perplexe car malgré tout il est un peu difficile d'assembler certaines pièces de cette fable existentielle surréaliste dont on retiendra outre ses qualités esthétiques exceptionnelles son alléchante distribution. Leonora Fani, toujours aussi belle malgré sa maturité et ses quelques kilos désormais en trop, interprète Michela, un personnage qui s'apparente à celui qu'elle jouait dans Pensione paura. Pour son ultime rôle au cinéma Leonora est toujours aussi crédible dans la peau de jeunes femmes torturées même si ses adeptes seront déçus qu'elle ne se montre pas totalement nue cette fois. Ils se consoleront sur ses nombreux plans seins nus ou en petite
culotte. Franca Stoppi, excellente, semble rejouer le rôle d'Iris la gouvernante de Blue Holocaust mais en reprenant les airs et tics de Mme Gerbaut, la gardienne chef sadique qu'elle jouait dans Pénitencier de femmes. Jean-Pierre Aumont dont elle est secrètement amoureuse, est égal à lui même en voisin reclus et malsain. Antonio Piovanelli, comédien de théâtre habitué au cinéma d'auteur et aux oeuvres allégoriques (Nel piu alto dei cieli, Les cannibales...) est un Angelo pas toujours très convaincant qui se réveille enfin lors du final haletant où, impressionnant, il laisse exploser toute sa folie suicidaire. Un grand si ce n'est un des meilleurs moment du film. Saverio Marconi moins présent mais plus sauvage en
amant brutal et jaloux nous offre un plan de nudité frontal exceptionnel où son intimité n'a enfin plus de secret. A leurs cotés un échantillon des futurs acteurs fétiches du réalisateur et de Mattei tels Susan Forgione (la putain) et Fausto Lombardi.
Lent, pas toujours très limpide, fortement estampillé années 80, Difendimi dalla notte n'en est pas moins un film par moment déroutant, visuellement grandiose, un essai tendance auteuriale pas forcément réussi mais qui mérite néanmoins toute l'attention de l'amateur pour son esthétisme, son audace et son coté bizarre. Cette entrée dans l'univers du 7ème art de Claudio Fragasso reste assurément un de ses meilleurs films à ce jour, le plus curieux également