Chi l'ha vista morire?
Autres titres: Qui l'a vue mourir? / Who saw her die? / Quien la ha visto morir? / Verta Venetsiassa
Real: Aldo Lado
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 90mn
Acteurs: George Lazenby, Anita Strindberg, Adolfo Celi, Dominique Boschero, Peter Chatel, Nicoletta Elmi, Piero Vida, Alessandro Haber, Vittorio Fanfoni, George Willing, Rosemarie Lindt, Giovanni Rosselli, Sandro Grinfan, Carlo Hollesch...
Résumé: Une fillette rousse est violemment assassinée dans les neiges de Megève. L'affaire est finalement classée. Quatre ans plus tard, à Venise, la petite fille d'un sculpteur elle aussi rousse est retrouvée noyée dans un canal. Son père aidé d'un journaliste qui a fait le rapprochement avec le premier meurtre va tenter de retrouver le coupable. Ses investigations le font vite soupçonner un groupe de notables tous rattachés à un marchand d'arts nommé Serafian dont l'assistante n'est autre que la nurse de la première victime. Petit à petit tous les suspects sont tués par le maniaque travesti en vieille femme...
Après le succès de L'oiseau au plumage de cristal le cinéma italien s'empara du genre et bon nombre de réalisateurs suivirent le filon ouvert par Dario Argento. Aldo Lado fait partie de ceux ci puisque dés 1971 il signera son premier giallo, l'excellent et viscéral Je suis vivant!, suivi l'année suivante de Chi l'ha vista morire?. A la magie d'une Prague plongée dans la grisaille succède ici une Venise toujours aussi mystérieuse et inquiétante, embrumée, dont les canaux éternels vont être témoins d'un horrible crime, celui d'une fillette rousse retrouvée noyée, comme fut trouvée quatre ans plus tôt à Megève le corps d'une autre
petite fille rousse tuée à coups de pierre puis sommairement enterrée dans la neige. Aidé d'un journaliste Franco Serpieri, son père, sculpteur de métier, décide de mener l'enquête à laquelle participe son ex-femme venue d'Amsterdam pour l'enterrement. Ses investigations vont l'amener à soupçonner un petit groupe de notables tous plus coupables les uns que les autres, rattachés semble t-il à un riche marchand d'arts nommé Serafian, entre autres un avocat ambigu, la nurse de la première fillette assassinée devenue aujourd'hui assistante de Serafian, son amant Filipo et le propre frère du marchand d'arts. De fil en aiguille il parvient à découvrir qu'ils organisent entre eux des orgies sadomasochistes auxquelles participent des
mineures. L'assassin travesti en vieille femme pourrait être l'un d'entre eux mais tour à tour ils sont tués par l'énigmatique meurtrier. Franco dont la vie est de plus en plus en danger est pourtant loin très loin d'imaginer sa véritable identité, une vérité insoupçonnable, une folie pathologique qu'il finira par mettre à jour.
Mené par la musique extraordinaire de Ennio Morricone qui mélange ici habilement musique religieuse et comptine pour enfants, reprise de façon magistrale et obsédante lors d'une ronde où les bambins entonnent à tue-tête de leurs voix cristallines le titre tristement annonciateur, ce second giallo de Lado nous dépeint une Venise hostile, claustrophobe, et
décadente où l'obsession de l'Enfant est sans cesse présente. D'autant plus présente que le film tourne autour des meurtres de petites filles perpétrés par un maniaque sanguinaire. C'est dans ce climat obsédant, pesant, morbide, que le héros se lance dans une enquête typiquement argentesque parsemée de faux indices et de personnages plus suspects les uns que les autres dont le point commun n'est pas seulement d'être tous de riches notables mais également de partager les mêmes vices et perversions sexuelles, un des éléments récurrents du genre.
Si le scénario n'est pas toujours très vraisemblable parsemé de quelques trous narratifs
certes peu dérangeants du moins pour les moins exigeants, si le fil de l'enquête est sans véritable surprise, si la mise en scène est plutôt classique, Chi l'ha vista morire? dont le scénario fut écrit sur mesure pour Lado par Francesco Barilli (Le parfum de la dame en noir) brille essentiellement par l'originalité de certaines de ses séquences, un suspens qui jamais ne se relâche et ce climat de terreur sourde que le cinéaste a su instaurer d'un bout à l'autre du métrage. Outre sa description d'une Venise loin des clichés touristiques, morbide, déliquescente, qu'il connait par coeur, cette ingéniosité avec laquelle il joue à cache-cache entre chaque recoin, chaque dédale de la ville, ses canaux, ses anfractuosités qui semblent
dissimuler mille et un dangers, véritable jeu d'ombres et de lumières, Lado parvient à créer de véritables instants de terreur. Outre la séquence d'ouverture et le meurtre de la petite fille dans les montagnes enneigées de Megève, on se souviendra longtemps de la mort de l'avocat sous le soleil rayonnant de sa terrasse au milieu de ses cages à oiseaux, un meurtre solaire presque poétique qui tranche avec la cruauté avec lequel il est commis, des images aussi macabres que fascinantes qui suggèrent la mort des deux fillettes, du meurtre dans le cinéma de la nurse alors que sur l'écran défilent les images d'un sex mondo sans oublier chacune des apparitions du tueur filmée derrière la voilette en dentelle noire qu'il
porte sur le visage appuyée par les compositions de Morricone, certainement parmi les plus effrayantes qu'il ait signé.
Le motus orandi de l'assassin qui agit donc déguisé en femme est ici l'innocence de l'enfance. En enlevant la vie aux fillettes rousses, il tue cette innocence et cette pureté qu'il rend ainsi éternelle. Si à travers son déguisement on ne peut que penser à Psychose, Lado y fait d'ailleurs clairement référence lors d'une des citations finales du policier les motivations du meurtrier se rapprochent également de celle du Norman Bates de Hitchcock. Cette mascarade n'est que la transposition du souvenir d'une mère coupable, prostituée rousse
qui se livrait à des orgies, sa schizophrénie et les raisons qui le poussent à tuer étant liées à cette période de sa vie. L'identité de celui ci que les férus du genre auront soupçonné assez vite est alors plus que logique, sa triple nature de par ses occupations étant la source de sa folie.
On peut en cela rapprocher Chi l'ha vista morire? du Non si sevizia un paperino de Lucio Fulci dont l'intrigue lui ressemble sur quelques points même si Aldo Lado n'aime guère cette comparaison, son film ne prenant pas forcément la même direction que celui de son confrère. Le metteur en scène vénitien explique qu'avec Chi l'ha vista morire? il a voulu
simplement montrer que les hommes d'église qui dans l'esprit collectif représentent la pureté peuvent cependant commettre d'une part des actes abominables, innommables, le pire des crimes, d'autre part de ne pas être en phase avec leur sexualité d'où le travestissement de son assassin. Les hommes d'église cultivent cette ambiguïté sexuelle ne serait ce que par leurs discours et la soutane qu'ils portent, souvent comparée à une robe par les enfants. Lado a voulu jouer avec ces éléments en les associant à l'atmosphère putride de Venise. Chi l'ha vista morire? est donc un film bien plus complexe qu'il en a l'air pour son auteur, bien plus que celui de Lucio Fulci qui à sa façon, toujours aussi abrupte,
démonstrative mettant simplement en évidence le thème de la pédophilie chez les prêtres. On ne peut donc pas réellement rapprocher les agissements du fluet Marc Porel dans Non si sevizia un paperino et ceux du robuste Alessandro Haber dans Chi l'ha vista morire?. Le prêtre de Lado est en ce sens bien plus proche de celui de Pupi Avati dans La maison aux fenêtres qui rient.
De ce thriller on retiendra également l'interprétation notamment des seconds rôles, Adolfo Celi en tête, sinistre, José Quaglio en avocat équivoque, Alessandro Haber excellent dans la défroque du prêtre, Peter Chatel, acteur fétiche de Fassbinder qui interprète le frère de
Serafian, Dominique Boschero, la toujours élégante Anita Strindberg, Rosemarie Lindt, sans oublier la petite Nicoletta Elmi, l'enfant perverse du cinéma italien transformée cette fois en victime, qui alterne ici rires candides, mine boudeuse et regards stupéfaits. A noter les présences furtives du jeune Vittorio Fanfoni (Corpo d'amore) et de George Willing, le séduisant hippie héros de Il prato macchiato di sangue, découvert dans l'homo-érotique Vortex. Les plus observateurs reconnaitront Lou Castel, un caméo de quelques secondes, l'homme qui crie dans le cinéma.
Le point faible du film reste l'ex-James Bond 007 George Lazenby imposé à Aldo Lado par la
production dans le rôle principal. S'il est à la hauteur de son personnage, il faut tout de même reconnaitre que Lazenby est d'une stupéfiante laideur. Bien peu crédible est le couple qu'il forme avec l'altière Anita Strindberg ou la délicate Dominique Boschero. Lado en garde d'ailleurs un bien mauvais souvenir tant Lazenby fut désagréable et imbu de lui même, jouant à l'extrême sur sa fragile et encore toute récente renommée mondiale due à James Bond.
Non exempt de défauts, Chi l'ha vista morire? n'en demeure pas moins un très efficace thriller, prenant, par instant dérangeant, magnifié par une superbe photographie, dont on retiendra l'atmosphère aussi suffocante que malsaine. Si cette nouvelle peinture au vitriol de la bourgeoisie pervertie reste sommaire, si le discours de Lado n'a peut être pas la profondeur requise Chi l'ha vista morire?, titre qui met le spectateur en position de voyeur, est un giallo indispensable pour tout amateur du genre qui après Je suis vivant prouve combien Lado était un talentueux réalisateur.