Il prato macchiato di rosso
Autres titres: The bloodstained lawn
Real: Riccardo Ghione
Année: 1973
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 82mn
Acteurs: Daniela Caroli, George Willing, Claudio Bavia, Dominique Boschero, Lucio Dalla, Marina Malfatti, Enzo Tarascio, Barbara Marzano, Nino Castelnuovo...
Résumé: Deux jeunes hippies font de l'autostop. Un homme les prend à son bord et leur propose de les héberger dans sa luxueuse villa qu'il partage avec sa soeur et son époux. A leur arrivée, ils s'aperçoivent non seulement qu'ils ne sont pas les seuls invités de leurs hôtes mais qu'il se passe aussi d'étranges choses. Ils ne s'inquiètent cependant pas du comportement étrange de ces bourgeois. Après avoir découvert un squelette dans le jardin puis s'être aperçu qu'ils avaient été drogué à leur insu, les deux hippies décident de s'enfuir. Il est malheureusement trop tard. Ils vont être les victimes des activités diaboliques de cette famille qui tue les marginaux qu'ils persuadent de venir chez eux pour les vider de leur sang qu'ils dissimulent dans des bouteilles de vin. Ils le vendent ensuite au plus offrant.
Ami proche de Marco Ferreri, Riccardo Ghione réalise son premier film, La rivoluzione sessuale, en 1968 une oeuvre contestataire qui traite de la sexualité dans nos sociétés occidentales bourgeoises prisonnières de leurs tabous et des carcans moraux dans lesquels elles s'enferment. C'est la définition même de toute la contre culture de la fin des années 60, du mode de vie hippy qu'on retrouve dans le second film du réalisateur, A cuore freddo, qui met en avant les rapports difficiles de deux êtres opposés, une ex-hippy et un avocat soumis et résolu, puis dansIl prato macchiato di rosso qui clôt de façon magistrale
ce triptyque longtemps resté difficilement visionnable mais à qui on offre enfin une seconde vie grâce à de récentes éditions DVD. Il prato macchiato di rosso est très certainement son film le plus surprenant, le plus délirant, mais également le plus noir.
Un couple de hippies voyage en stop. Ils ont coupé les liens avec leur famille et leurs amis pour partir à l'aventure et vivre au jour le jour. Une voiture s'arrête et les prend à son bord. L'homme, Alfiero, leur propose de passer la nuit dans sa luxueuse propriété tenue par sa soeur NIna et son époux, Antonio. Ils acceptent et profitent du luxe qui leur est offert peu soucieux du comportement étrange de Nina et de son mari, un professeur excentrique. Ils
découvrent également qu'ils ne sont pas seuls à être hébergés. Il y a une putain, une gitane diseuse de bonne aventure et un ivrogne. Tous ont pour point commun non seulement d'être des marginaux laissés pour compte mais d'avoir été ramassés au bord de la route par Alfiero. Peu à peu d'étranges évènements se produisent. Une nuit, Max, le jeune hippie, trouve la tzigane attachée nue sur son lit, l'ivrogne semble avoir disparu et les deux jeunes gens mettent involontairement à jour le crâne d'un squelette caché dans les cendres du four qui se dresse dans le jardin de la villa. Le couple est alors convié à une orgie dans une curieuse salle psychédélique. Drogués les participants s'effondrent. A leur réveil les deux
hippies décident de s'enfuir de la villa. Après avoir découvert une chambre froide dans laquelle sont entassés des cadavres, ils comprennent que leurs hôtes tuent leurs invités, victimes des expériences du mari de Nina et de la folie de cette femme qui conserve leur sang dans des bouteilles de vin pour l'offrir aux plus aisés au détriment des plus faibles, le bas peuple, qui à ses yeux n'est rien. Alors que les deux hippies vont être sacrifiés, leur sang pompé par l'abominable robot-ventouse inventé par le professeur, la police intervient. L'inspecteur enquêtait depuis longtemps déjà sur la disparition de personnes dans la région ainsi que sur un soi-disant réseau de contrebande de vin, loin d'imaginer ce qu'il allait en fait
découvrir après qu'un caviste l'ait mis in extremis sur la piste du couple diabolique.
Si la base de l'intrigue de La rivoluzione sessuale reposait en partie sur une expérience plus ou moins mystique faite sur un groupe de personnes invitées dans une auberge côtière par un professeur-gourou, avec Il prato macchiato di rosso Ghione reprend l'idée poussée à son paroxysme. Il met en scène cette fois un thriller horrifique fantaisiste mâtiné de science fiction aussi fou qu'inquiétant qui n'est autre qu'une vision particulièrement acide de la haute bourgeoisie, un nouveau film d'horreur satirique anticapitaliste dont Hanno cambiato faccia
de Corrado Farina avait été deux ans plus tôt un des principaux investigateurs. Ghione réalise là un film vraiment spécial, une farce cruelle 100% vintage dont le maitre mot pourrait être bizarre. On y retrouve bien entendu les éléments propres aux oeuvres contestataires italiennes de cette époque: la jeunesse hippie et son mode de vie ultra libéral, rebelle, un psychédélisme de bon aloi, une bourgeoisie vicieuse et perverse qui se noie dans l'ennui, des personnages ravagés par leur propre folie mais l'originalité de ce "Pré taché de sang" est sans nul doute cette touche d'extravagance qui verse dans une science fiction de pacotille digne des années 50. Aussi ridicule et improbable soit il comment ne pas trépigner de
bonheur devant ce robot géant pompeur de sang qui emprunte son look à Robby (Planète interdite) ou Tobor le grand et plante sa griffe ventouse dans la nuque de ses victimes pour le leur aspirer telle une sangsue? Comment ne pas admirer les énormes noeuds de papillon farfelus qu'arbore fièrement le professeur, savant fou obsédé par ses inventions, si déconnecté de la réalité qu'il ne se rend plus compte des abominations de sa femme? Comment ne pas applaudir certaines séquences magnifiques aussi trash que pop art comme la visite de la salle des miroirs dans laquelle on pénètre grâce à une porte en forme de vagin géant, un incroyable moment qui rappelle notamment les délires visuels de Femina riddens, suivie de la fameuse danse des orgies filmée à travers les miroirs déformants
durant laquelle les participants sous l'emprise de drogues finiront nus avant de sombrer dans un puissant sommeil.
Malgré ses extravagances grotesques ce thriller horrifique gothico-kitch n'en demeure pas moins une satire vitriolée de la bourgeoisie contre le prolétariat. Ghione associe la haute classe sociale à des vampires qui se nourrissent du sang du bas peuple qu'elle méprise afin de continuer à croitre, à s'étendre. La bourgeoisie, coupable de tous les vices, est l'avenir de notre monde, une classe que Nina considère comme supérieure. Ghione se permet même d'évoquer une certaine idéologie nazie à laquelle il compare les bourgeois. Cette
famille diabolique écoute en effet à longueur de journée de la musique allemande, une musique que seule une race supérieure peut aimer et comprendre clame Nina, une femme dépravée qui hait son mari et entretient une relation incestueuse avec son frère. Le cinéaste n'y va donc pas avec le dos de la cuiller. Il se veut féroce tout en restant candide, un mélange ici tout à fait jouissif.
Difficile à cataloguer, Il prato macchiato di rosso, un titre qui fait référence outre au champs de coquelicots que traversent les hippies au jardin verdoyant de la villa sanglante, doit être prise comme une sorte de pastiche, une comédie contestataire horrifique franchement
absurde, plus ludique que philosophique ou dénonciatrice. Vu ainsi ce thriller est un petit bijou d'humeur noir, naïf, souvent outrancier, parfaitement représentatif du cinéma de genre italien des années 70, délirant, énorme, insolite. La distribution est à l'image du film, inattendue, étrange mais honnête. On retrouve en effet la toujours excellente Marina Malfatti, l'inquiétante et impitoyable soeur boiteuse, aux cotés du peu recommandable Claudio Bavia, un délicieux Lucio Dalla en ivrogne paranoïaque, un excentrique Enzo Tarascio, aussi inconscient que dangereux, si drôle avec ses noeuds papillon géants sans oublier la participation de Nino Castelnuovo dans la peau de l'inspecteur. A leurs cotés, les brunes
Dominique Boschero et Barbara Marzano, deux sexy starlettes qui comme d'accoutumée apportent au film sa touche de nudité et d'érotisme parfois gratuit. Le couple de hippies, les principaux protagonistes, est campé par Daniela Caroli (La bambina, Movie rush-la febbre del cinema) et le très séduisant George Willing, figure christique éphémère souvent anonyme du Bis transalpin qu'on put voir également la très étrange fable quasi expérimentale de Nikos Koundaros, Te prosopo tis Medousas / The face of Medusa, petite gemme du cinéma d'exploitation grec. Il prato macchiato di rosso fut malheureusement son seul et unique rôle en tant que principal protagoniste.
Accompagné d'une intéressante partition musicale aux tonalités psychédéliques signée Teo Usuelli et d'un thème éponyme aux délicieux reflets hippie chanté par la voix rauque de Lucio Dalla, Il prato macchiato di rosso, ultime réalisation du metteur en scène, est un bel exemple d'un cinéma italien complètement fou témoin de toute une incroyable décennie à jamais révolue, une sorte de condensé psychédélique et coloré de ses outrances qui prêche ici par son absurdité. Voilà un film démentiellement drôle et corrosif à ne pas prendre au sérieux, une petite gemme du cinéma d'exploitation comme on aimait tant en faire à cette époque, comme on aime tant encore les visionner aujourd'hui.