Il profumo della signora in nero
Autres titres: Le parfum de la dame en noir / The perfume of the lady in black
Real: Francesco Barilli
Année: 1974
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 99mn
Acteurs: Mimsy Farmer, Maurizio Bonuglia, Mario Scaccia, Jho Jhenkins, Lara Wendel, Roberta Cadringher, Carla Mancini, Luigi Antonio Guerra, Nike Arraghi, Alexandra Paizi, Renata Zanengo, Ugo Carboni, Sergio Forcina, Orazio Orlando, Gabriele Bentivoglio, Donna Jordan, Aldo Valletti...
Résumé: Alors qu'elle était encore enfant Silvia à été témoin des ébats de sa mère avec son amant. Devenue chimiste, elle reste perturbée par la mort de ses parents notamment celui de sa mère dont elle a poignardé l'amant. Elle fait un jour la connaissance chez d'un professeur africain de sociologie qui lui dévoile les mystères de la magie noire et du vaudou. Un soir elle aperçoit dans sa chambre une petite fille en robe de dentelle qui n'est autre qu'elle-même enfant. Sous sa conduite, elle va entrer dans un monde où il devient impossible de séparer le rêve de la réalité. Incapable de retrouver le contact avec le réel, et sans savoir qu'elle est manipulée par une étrange secte, Silvia sombre lentement jusqu'à l'effroyable conclusion de voyage au pays des cauchemars...
L'idée de Il profumo della signora in nero est née lors d'un voyage de six mois qu'effectuait Francesco Barilli au Congo durant lequel il vécut plusieurs mois dans la jungle africaine et fut témoin de rites vaudou. A son retour il commença à écrire un premier scénario sur une histoire de folie, de névrose puis un second sur le cannibalisme qu'utilisera par la suite Umberto Lenzi pour Il paese del sesso selvaggio. C'est alors que les producteurs eurent l'envie de mêler les deux thèmes, une décision que Barilli trouva judicieuse puisque pour lui le cannibalisme est une forme de folie. Ainsi naquit Il profumo della signora in nero, premier film de ce comédien-réalisateur qui travailla essentiellement au théâtre.
Autant dire que Il profumo della signora in nero est difficilement classable puisqu'on y retrouve de nombreux thèmes qui s'y croisent. Il représente le savant mélange du thriller classique qui prend comme principal sujet la névrose de sa principale protagoniste, du film d'horreur et de secte fortement inspiré de Rosemary's baby et plus surprenant et inattendu du film dit de cannibalisme. Autant dire que ces mariages étaient au départ fort risqués mais Barilli, en grand professionnel, donne naissance à une oeuvre curieuse, envoutante en tout point réussie qui sur de nombreux points fera penser au film de Polanski et sa fragile héroïne qu'interprétait Mia Farrow. C'est Mimsy Farmer qui cette fois reprend son personnage, un de ceux dans lesquels la comédienne s'était spécialisée et excellait depuis Quatre mouches de velours gris de Dario Argento. Silvia à l'image de Rosemary Woodhouse se perd entre ses certitudes, ses doutes et ses rêves jusqu'à ce que sa raison
déjà bien fragilisée par une enfance tourmentée ne vacille. Commence alors pour elle une lente descente aux enfers qui emprunte à Polanski son atmosphère malsaine où réalité et cauchemars, conspiration diabolique et constante incertitudes se mêlent de manière inquiétante, presque suffocante. Du giallo psychologique Il profumo della signora in nero n'en possède que bien peu d'éléments si ce n'est dans sa façon de présenter la névrose de son héroïne. On nage beaucoup plus ici dans les eaux troubles d'un cinéma fantastique à tendance onirique qui n'est jamais qu'une relecture du conte de Lewis Carroll Alice aux pays des merveilles qui est justement le livre de chevet de l'héroïne. Silvia en suivant cette enfant, son propre double, par delà le miroir ne fait jamais qu'une introspection de ses propres trauma d'enfance qui ressurgissent, la minutieuse exploration de son subconscient qui se mélange à des faits bien réels cette fois resserrant inexorablement l'étau sur elle.
Un des tours de force du film est que jamais on ne distingue clairement la frontière du rêve et de la réalité. On la devine simplement, on la sent, on la ressent sans que pour autant Barilli n'ait recours à aucun moment à quelque artifice que ce soit. Tout tient dans la mise en scène, fluide, précise, hypnotique. Le parcours de Sivia se transforme très vite en une série de superbes tableaux, de peintures étincelantes que Barilli, lui même issu d'une famille d'artistes peintres, agence de façon extraordinaire et dans lesquels on pénètre pour mieux pénétrer la schyzophrénie de Silvia. Il flotte durant tout le film une ambiance presque irréelle mais chacun des tableaux qui illustrent les errances de la jeune femme, chaque objet, chaque pièce nous rappelle à la réalité tel un fil d'Ariane afin que le spectateur contrairement à Silvia sache dans quel monde et époque il se trouve. Il n'a donc plus qu'à se laisser guider par le cinéaste, admiratif, séduit, envouté tant par cette histoire somme toute tragique que par la beauté du film lui même, cette beauté non seulement visuelle mais également cette beauté spécifique qu'on ne trouve que dans les contes si cruels soient ils.
Si Rosemary's baby semble être la principale source d'inspiration du film, on y trouvera également bien d'autres références et similitudes. On pensera notamment à Répulsion toujours de Polanski pour la manière dont Silvia tue ses victimes dans la seconde partie du film. On fera également le lien avec l'oppressant et suffocant Ne vous retournez pas de Nicholas Roeg sans oublier Mario Bava et même Dario Argento pour le style et les fabuleux décors. Mais si Barilli s'est laissé influencer par tous ces auteurs, Il profumo della signora in nero échappe pourtant à la plupart des règles établies. Barilli a su créer son propre style, un style très personnel où élégance et précision semblent être les maitre mot. Il profumo della signora in nero est une oeuvre originale, presque unique en son genre qui devrait en dérouter plus d'un par son scénario explosé mais à la fois si rigoureux.
Pour son premier long métrage, Francesco Barilli fait preuve d'un talent hors pair et délivre un film aussi poétique que macabre, inquiétant, angoissant mené de main de maitre par une Mimsy Farmer diaphane, prise entre paranoïa et vampirisme, absolument parfaite dans ce rôle. L'ensemble repose en grande partie sur ses frêles épaules et c'est avec une finesse, une justesse incroyable et beaucoup d'émotion que Mimsy conduit cette histoire de magie noire jusqu'au final inattendu qui fait basculer le film dans l'horreur pure. Cette surprenante conclusion qui fait la part belle aux effets gore, contrastant ainsi nettement avec la sagesse graphique de l'ensemble, devrait plaire à tous les amateurs d'éviscérations mais elle est surtout et avant tout une magnifique et très intelligente métaphore qui clôt de manière brillante ce récit. Le cannibalisme n'est ici qu'une façon bien symbolique d'illustrer comment Silvia aimerait dévorer son passé, ses trauma qui eux mêmes la dévorent de l'intérieur.
Il est impossible de ne pas mentionner d'une part l'excellent travail de Mario Masini à la photographie qui met en valeur non seulement la richesse visuelle du film mais aussi les somptueux décors de la demeure qu'habite Mimsy Farmer, le magnifique palais Piazza Mincio à Rome, d'autre part la sublime et lancinante partition musicale du maestro Nicola Piovani composée essentiellement d'une comptine pour enfants et de la douce mélodie d'une boite à musique.
Pour information, c'est Lara Wendel créditée ici sous son véritable nom Daniela Barnes qui joue le rôle de Silvia enfant, quelques années avant les turpitudes du fabuleux La maladolescenza qui allèrent faire d'elle une des plus sulfureuses lolita du cinéma italien. Les plus observateurs reconnaitront le temps de quelques trop brèves secondes l'apparition
furtive de Aldo Valletti, le Président, un des quatre inoubliables hauts dignitaires et bourreaux de Salo et les 120 jours de sodome, parmi les membres de la secte lors de la fameuse scène d'anthropophagie.
Fustigé par la critique italienne lors de sa sortie, resté injustement inédit en France, Il profumo della signora in nero, un titre que le cinéaste imagina lorsqu'il écrivait la scène où la mère de Silvia, parfaite image de la putain endimanchée, se parfumait, est une oeuvre particulièrement forte, enivrante, somptueuse et délicate qui fascinera autant qu'elle déconcertera, une véritable petite perle quelque peu égarée au coeur même du cinéma d'exploitation transalpin que tout amateur devrait prendre plaisir à (re)découvrir. Francesco Barilli récidivera en 1978 avec le morbide et malsain mais tout aussi atmosphérique et inquiétant Pensione paura avant de consacrer le restant de sa carrière au théâtre et à la scène.