Beryl Cunningham: la salamandre des Caraïbes
Elle fait partie des quelques actrices de couleur qui durant les années 70 firent les beaux jours du cinéma de genre italien. Si contrairement à Laura Gemser qui sut incarner le rêve, le fantasme exotique, la liberté des sens à travers notamment la longue série des Black Emmanuelle et Zeudi Araya, symbole parfait de la femme fatale tropicale, passionnée, romantique, elle restera cependant comme une des reines de beauté d'ébène dont le talent artistique ne se cantonna pas uniquement au cinéma. Modèle de charme, chanteuse, elle sut multiplier les activités avec talent et simplicité. Discrète, timide, cette superbe jamaïcaine restera à jamais associé à Alberto Cavallone qui la propulsera star en lui offrant le rôle de sa vie, un personnage qui lui vaudra son surnom, celui de la salamandre des Caraïbes. Revenons sans plus attendre sur le parcours de cette somptueuse salamandre joliment nommée Beryl Cunningham.
Fille d'un professeur universitaire Beryl Cunningham est née en 1946 à Montego Bay en Jamaïque. Après de studieuses études dont elle sortira diplômée, Beryl s'envole pour Londres afin d'y entrer à l'université mais aussi pour y débuter une carrière de mannequin. Vite remarquée, la jeune fille pose pour de nombreux magazines de mode lorsque le cinéma, sensible à ses charmes exotiques, lui fait de l'oeil dés 1962. A tout juste 20 ans, Beryl fait ses débuts de comédienne dans de petits films principalement d'aventures aujourd'hui oubliés, la plupart du temps dans des rôles de troisième voire de quatrième rang. Elle est une servante noire dans Re Manfredi de Paolo Lombardo et Piero Regnoli puis une danseuse exotique dans Curse of the voodoo de Lindsay Shonteff. Elle est également au générique d'un péplum signé Antonio Margheriti Marchands d'esclaves / Anthar l'invicibile et d'un obscur petit film érotique signé Lamberto Benvenuti Storia d'amore.
C'est en 1969 alors qu'elle s'est installée à Rome que sa carrière d'actrice va enfin décoller lorsque Alberto Cavallone la choisit pour incarner Uta, la belle modèle à la peau d'ébène qui séduit Erna Schurer dans Le salamandre. Ce film lui apporte soudainement la notoriété et fait d'elle une des nouvelles reines d'un certain cinéma érotique transalpin. Beryl fait alors partie des très rares actrices de couleur qui parviennent à faire carrière en Italie, un privilège qui n'est pas toujours très facile à vivre. Plutôt timide, Beryl avait conscience de cette difficile position dans un contexte tant social que professionnel qui avait tendance à rejeter les gens de couleur. Gagner sa place au soleil n'était pas chose évidente, c'était un combat au quotidien que Beryl ressentait et acceptait avec force en tentant de s'adapter comme le souligne Erna Schurer, sa partenaire. Cavallone fera de nouveau appel à ses charmes deux ans plus tard pour Quickly spari a colazione dans lequel elle incarne une révolutionnaire sud américaine.
Juste après Le salamandre Beryl se retrouve à l'affiche de Tarzana sexe sauvage de Guido Malatesta pour qui elle se transforme en une belle indigène qui nous offrira une trépidante séquence de danse tribale avant de se faire dévorer par un lion. La même année elle est une charmante strip-teaseuse qui nous gratifie d'un malicieux effeuillage fort sexy chez Umberto Lenzi pour son sexy giallo Si douces si perverses puis une mulâtre dans Storia d'amore deMichele Lupo. Comme très souvent à cette époque, le rôle principal des actrices de couleur était d'apporter une note d'exotisme, de rêve au spectateur. Sous l'objectif des cinéastes, elles devenaient un objet fantasmatique parfois sujet à controverse cantonnées à des personnages d'indigènes primitives, de domestiques ou d'esclaves, de filles légères. Difficile d'échapper au stéréotype et de jouer des personnages plus étoffés réservées aux actrices blanches. Beryl n'échappe pas à la règle.
A l'aube des années 70 la jeune comédienne en herbe va fort heureusement élargir ses activités artistiques. Si elle continue de tourner pour le cinéma elle travaille également à la télévision italienne pour laquelle elle présentera notamment le festival musical Cantagiro en 1971, un choix qui n'étonnera guère lorsqu'on sait que la jolie comédienne fut aussi chanteuse et danseuse. Outre interpréter quelques unes des chansons phare de certains de ses films, elle sortit entre 1972 et 1978 quelques singles aux accents exotico-disco dont une reprise du Tua de Jula de Palma.En 1974 elle interprète God is love, la très belle chanson titre du film Codice d'amore orientale que réalise son mari. Entre temps elle continue bien évidemment à poser pour de nombreux photographes. En 1971 elle fait par exemple les beaux jours de la revue Playmen et la couverture de quelques revues cinématographiques italiennes.
Au grand écran elle obtient en 1970 son second plus gros succès lorsqu'elle tourne aux cotés de Tina Aumont La possédée du vice / Il dio serpente de Piero Vivarelli qu'elle venait d'épouser. Exemple typique de ce cinéma exotico-érotique dont l'Italie s'était alors faite la spécialiste, Il dio serpente mélange avec un certain bonheur érotisme osé et exotisme sur fond de vaudou et de danse tribale, véritable moyen d'évasion pour le spectateur avide de fantasmes exotiques. Beryl en maitresse d'école y envoute Tina avant d'hypnotiser par sa beauté son public dans Le décaméron noir, second film qu'elle tourne sous la direction de son époux avec qui elle adopte leur fils Olivero, aujourd'hui DJ. Le couple divorcera cependant au milieu de la décennie. Magnifiquement bien en mise en valeur, drapée dans de somptueux tissus africains, Beryl y incarne la divine reine d'une tribu africaine. Ce seront là ses deux plus gros succès cinématographiques.
Par la suite, Beryl se contentera de seconds rôles dans toute une série de films d'exploitation. Elle apparait dans deux gialli, La morte ha risale a ieri sera de Duccio Tessari dans la peau d'une prostituée hébergée par l'inspecteur et le très britannique Concerto per pistola solista de Michele Lupo dans lequel elle joue une superbe mannequin psychédélique dont on admirera les différentes tenues et les nombreuses perruques multicolores comme d'ailleurs ans son précédent thriller. Elle est au générique du Dépravé, la version de Dorian Gray de Massimo Dallamano aux cotés de Helmut Berger. Elle donne dans l'érotisme en 1976 avec Une suédoise sans culotte / La nipote del prete de Sergio Grieco mais force est de constater que la carrière d'actrice de Beryl stagne et ne parvient plus vraiment à décoller. Elle ne parviendra jamais au statut de sexy star comme ses consoeurs Laura Gemser et surtout Zeudi Araya, deux des plus grandes reines de couleur du cinéma
italien de ces années. Elle s'essaie bien à un cinéma de plus grande envergure en acceptant de jouer pour Ettore Scola dans son truculent et très acide Affreux sales et méchants mais la tentative est vaine. Beryl retourne très vite vers l'exploitation et le cinéma de genre. En 1979 elle est la servante noire de Richard Johnson et Barbara Bach dans Le continent des hommes poissons de Sergio Martino. Cette même année elle apparait régulièrement à la télévision italienne notamment en invitée régulière de l'émission coquine Play boy a mezzanotte. Lasse du cinéma, Beryl fait son ultime apparition en 1983 en acceptant le rôle de Shadow dans Les exterminateurs de l'an 3000, le post-nuke fortement inspiré de Mad max 2 de Giuliano Carnimeo.
Beryl se retire alors des feux de la rampe. Elle se consacrera dés lors à sa vie de famille. Elle sortira un livre de cuisine aphrodisiaque jamaïcaine et ouvrira également quelques années durant une petite boutique à Rome sur Via Gregoriana.
Si elle n'a pas réellement réussi à trouver sa place dans l'univers impitoyable du 7ème art, si elle n'a pas atteint le statut de figure culte du cinéma d'exploitation comme le furent ses consoeurs de couleur, Beryl restera tout de même aux yeux de son public non seulement comme une des actrices à la peau d'ébène indissociable d'un certain cinéma d'exploitation mais aussi comme un nouvel exemple de la difficile intégration de ces comédiens de couleur dans un monde très fermé où la différence se paie parfois assez cher. Cela n'enlève rien au talent de Beryl dont la beauté exotique nous charmera encore longtemps.