Le salamandre
Autres titres: C'era una bionda
Real: Alberto Cavallone
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Dramatique / Erotique
Durée: 87mn
Acteurs: Erna Schurer, Beryl Cunningham, Maria Pia Luzi, Michelle Stamp, Tony Carrel, Antonio Casale...
Résumé: Ursula, une jeune photographe blanche entretient une relation saphique avec sa modèle de couleur, Uta. Lors d'un voyage en Tunisie elles font la connaissance d'un psychanalyste français alcoolique traumatisé par les horreurs qu'il a vu au Vietnam. Frustrée tant moralement que sexuellement par le comportement de Ursula, Uta se rapproche du docteur. Il lui fait comprendre que Ursula ne l'a jamais aimé. Ambitieuse, avide, odieuse, Ursula ne voit en fait en Uta qu'un bel objet qu'elle utilise à des fins mercantiles. Elle est son esclave et refuse de la voir partir. Elle couche alors avec le docteur ignorant que Uta les espionne, découvrant ainsi la face cachée de son amante-destructrice qui témoigne de surcroit d'un racisme assez surprenant. Afin de se libérer de son emprise, Uta doit désormais tuer Ursula mais également le docteur...
Premier film de Alberto Cavallone, Le salamandre initialement intitulé C'era una bionda fut également le plus gros succès de sa carrière même si le film le condamna plus ou moins par la suite à être ce cinéaste intellectuel maudit rejeté par la profession et le public puis marginalisé.
Si Le salamandre pourrait être considéré comme le pionnier des films exotico-érotiques dont il reprend le principal élément de base, un triangle amoureux morbide sur fond de décors tropicaux, il est également un des tout premiers véritables films lesbiens italiens. Trois personnages sont au coeur de l'intrigue, trois vies à la dérive, celle d'une jolie photographe blonde, Ursula, sa modèle et amante noire, Uta, et un psychanalyste français, traumatisé par la guerre du Vietnam qu'il a vécu et tente d'oublier à travers l'alcool. L'arrivée inopinée du docteur va faire voler en éclats la relation des deux femmes lorsque Uta, sexuellement frustrée, désillusionnée, réalisera qu'elle n'a jamais été pour elle qu'un simple objet dont elle s'est servie à des fins mercantiles malgré toute la tendresse qu'elle lui a donné. Plus qu'un film érotique sur l'ambiguïté des rapports amoureux, Le salamandre est d'une part une
illustration assez personnelle des différences culturelles et de l'éternel conflit des sexes, la domination des rapports humains vue à travers le discours et la psyché des protagonistes. D'autre part Cavallone traite du colonialisme, du racisme des blancs vis à vis des noirs en prenant pour base les thèses anticolonialistes du martiniquais Fritz Fanon qui fut un de ses amis proches. En prenant pour principales héroïnes deux lesbiennes, Cavallone tente ainsi de démontrer que colonialisme et homosexualité sont pour lui deux formes d'esclavage qui ici se rejoignent. Autant dire que le film est beaucoup plus complexe qu'il n'y parait.
A travers la relation des deux femmes, le cinéaste ne fait qu'imager à sa façon le comportement des blancs vis à vis des noirs qui ne sont au final que des esclaves, une source d'argent qu'on exploite sans le moindre remord. Photographe ambitieuse, avide et sans scrupule, Ursula n'a jamais aimé Uta que pour ce qu'elle pouvait lui rapporter. Lorsque cette dernière prend ses distances pour débuter une relation avec le docteur, Ursula n'hésitera à coucher avec l'homme qui habilement cachait ses idées racstes détruisant ainsi un peu plus la vie de la jeune femme. Selon Fanon, seul l'usage de la violence peut venir à bout du colonialisme et par conséquent faire retrouver au peuple colonial sa liberté. C'est pourquoi Uta va devoir tuer son odieuse amante destructrice afin de se libérer de son joug mais également l'homme. Elle affirme ainsi sa suprématie mais une fois son geste accompli, elle est désormais libérée mais seule. Cavallone nous offre alors une des scènes finales les plus étonnantes que le cinéma nous ait délivré. Uta fixe la caméra pour mieux faire face au public, brandit son couteau et se met à courir afin d'assassiner à leur tour les spectateurs associés à des colons venus assister au film, conscients de son contenu. Le spectateur devient alors un ennemi potentiel qui doit être tué. C'est alors que le réalisateur nous fait découvrir toute l'équipe technique derrière les caméras avant que ne se fige l'image.
Véritable petit film d'auteur à consonance socio-politique, Le salamandre utilise un langage cinématographique souvent étrange propre à Cavallone auquel on accrochera ou non, appuyé par des dialogues certes un peu désuets aujourd'hui mais dont la force reste le plus souvent intacte à l'instar du propos du film, brillant, toujours imagé de façon fort juste. De surcroit le discours de Cavallone demeure d'un bout à l'autre cohérent. Le salamandre est un film ambitieux et totalement innovateur pour son époque cinématographiquement parlant mais aussi particulièrement audacieux pour son époque. Cavallone comme il le fera tout au long de sa carrière soulève sans vergogne des thèmes encore tabous pour le public, l'homosexualité et la domination raciale, la suprématie de l'homme blanc sur l'homme noir. Il ose même aborder ces sujets délicats en proposant une relation homosexuelle interraciale alors totalement impensable mais que reprendra par la suite le filon exotico-érotique.
Si les scènes de nu demeurent assez sages, on ne restera pas insensible à cet érotisme désuet mais toujours fantasmatique et particulièrement sensuel essentiellement basé sur des regards langoureux, de tendres caresses et de doux baisers, les corps alanguis sur le sable chaud. A ce titre les décors naturels de Tunisie, Monastir et Sidi Bou Said plus exactement, sont tout bonnement magnifiques et servent à merveille le cadre du film. Ces moments savoureux, suaves, sont entrecoupés de séquences beaucoup plus brutales qui donnent au film un coté vérité souvent dérangeants et feront inévitablement penser au mondo. Cavallone y insère en effet des scènes d'exécutions publiques insupportables, de malheureuses victime tuées sous l'oeil de la caméra d'une balle dans la nuque. On songe alors au mondo ce qui devrait ravir tous les inconditionnels du genre et de cinéma-vérité choc exempt de tout trucage. Tout aussi puissante est la scène d'ouverture qui revient régulièrement hantée Uta lors de douloureux flashes-back, celle où un homme noir est agressé sur une plage déserte par trois blancs qui le castrent avant de s'attaquer à la jeune femme terrorisée.
Accompagnée d'une inquiétante partition musicale, Le salamandre est dominée par une jolie interprétation de la toute aussi jolie Erna Schurer dont c'était là un des tout premiers rôles, celui qui lancera également sa carrière, et de Beryl Cunningham, future épouse de Piero Vivarelli, dont c'était aussi la première véritable performance après de petits rôles dans quelques oeuvres mineures. Au vu du succès remporté par le film en Italie, les producteurs proposèrent à Cavallone de tourner une suite immédiate avec beaucoup plus de moyens, une offre qu'il déclina afin de mieux se focaliser sur son film suivant Afrika.
Totalement invisible pendant plus de trente ans, Le salamandre resurgit à l'aube des années 2000 lorsqu'une salle de cinéma romaine le rejoua. Inédit tant en vidéo qu'en DVD, le film est
aujourd'hui tout aussi difficilement visible à moins de tomber sur les quelques copies qui circulent ça et là. Si très souvent Cavallone a été pris par ses détracteurs beaucoup plus pour un intellectuel que pour un véritable cinéaste, ce n'est pas surement pas Le salamandre qui les fera changer d'avis. Porteur de toutes les stigmates du futur cinéma de Cavallone, Le salamandre est un film bien sombre, par instant dérangeant, ironique voire auto-ironique mais surtout bien plus profond qu'il n'y parait lorsqu'on sait creuser derrière cette fausse légèreté. Les inconditionnels sauront apprécier. Le salamandre est quoiqu'il en soit un excellent film pour qui veut découvrir et pénétrer en douceur l'univers de celui qu'on surnomma le poète de l'extrême. Voilà un bel exemple de cinéma d'exploitation aussi trouble que fascinant.