Luigi Pistilli: La tragédie d'un homme brisé
Il fut une des figures récurrentes du cinéma de genre italien avec à son actif quelques 70 films en prés de 40 ans de carrière. Du western au giallo en passant par la comédie et le polar, cet acteur discret et réservé qui fut également un comédien de théâtre et un professionnel du doublage a su traverser les modes avec aisance jusqu'à sa fin aussi tragique qu'inattendue en 1996. Partons sans plus tarder sur les traces du grand Luigi Pistilli.
Luigi est né à Grossetto, Milan, le 19 juillet 1929. Passionné de théâtre depuis l'enfance, il entame des études d'arts dramatiques au Piccolo teatro de Milan dont il sortira diplômé en 1955. Il va dés lors arpenter les scènes italiennes avant que le cinéma ne s'empare de lui.
S'il apparait dés 1947 non crédité au générique des Passagers de la nuit, c'est en 1961 qu'il fait ses véritables débuts au grand écran dans un rôle de second plan pour Walter e i suoi cugini de Marino Girolami. C'est Sergio Leone qui lui offre son premier grand rôle en 1965 dans Et pour quelques dollars de plus. C'est ainsi que Luigi va apparaitre au générique d'un certain nombre de westerns, genre alors fort à la mode, dont Texas addio, Cent mille dollars pour Lassiter, Le grand silence, Le bon la brute et le truand, La notte dei serpenti de Giulio Petroni et D'homme à homme.
Dés la fin des années 60 Luigi change de registre et c'est dans bon nombre de gialli et polars à l'italienne qu'il va alors exceller jusqu'au milieu des années 70. Il est à l'affiche de L'adorable corps de Deborah de Romolo Guerrieri et surtout il est le partenaire d'Anita Strindberg dans le superbe Il tuo vizio è una stanza chiusa e io solo ne ho la chiave de Sergio Martino pour qui il avait déjà tourné La queue du scorpion l'année précédente. Il fait partie également de la distribution du tout aussi bon Exorcisme tragique de Scavolini, Gli assassini sono nostri ospiti et L'iguana dalla lingua di fuoco de Freda.
Dans le domaine du polar à l'italienne on peut le voir dans Rome contre Chicago de Alberto De Martino, Milan calibre 9, Estratto degli archivi della polizia segreta europeane, Il gatto di Broooklyn aspirante detective, Due magnum 38 per un citta di carogne et La mano nera prima della mafia piu della mafia.
Luigi, en comédien professionnel qu'il est, aime se renouveler. Il va donc étendre son choix à de nombreux autres genres. Il est un inspecteur de police dans l'érotico-dramatique de Stegani, Il sole nella pella avec une toute jeune Ornella Muti dont c'était là le second film. Il retrouve la comédie érotique avec La principessa nuda / Parties déchainées où Ajita Wilson et Tina Aumont lui font tourner la tête.
Il touche au film de guerre, Sur ordre du Fürher de Castellari et au film d'horreur avec La possédée de Mario Gariazzo et surtout La baie sanglante de Mario Bava dans lequel il interprète le tueur. Il est un des partenaires de Mimsy Farmer dans la dramatique Les suspects en 1975. C'est en 1976 qu'il fera sa dernière grande apparition au cinéma dans Cadavres exquis de Francesco Rosi aux cotés de Lino Ventura.
En cette fin de décennie, le cinéma de genre italien entame un lent déclin et Luigi va trés bien mener sa reconversion. C'est désormais à la télévision italienne qu'il va offrir ses talents. Entre 1976 et la fin des années 80, Luigi va être au générique de nombreux téléfilms et séries télévisées dont un rôle régulier dans la fameuse série La piovra.
Malgré son succès au grand écran, Luigi n'a jamais abandonné le théâtre. Parallèlement à sa carrière cinématographique, il continue à monter sur les planches. Ses performances lui valent la superbe récompense d'être considéré en Italie comme un des meilleurs interprètes des pièces de Bertolt Brecht qui fut un de ses amis personnels qui voyait en lui une sorte de victime parfaite qui sur scène pouvait se laisser aller entièrement à la mélancolie et l'ironie alors que dans la vie Luigi, Gigi pour les intimes, était un homme plein de joie, un ingénu sentimental. Grand admirateur de Giorgio Strehler, son mentor lorsqu'il était un comédien débutant, il a longtemps joué les pièces de cet auteur avec un succès jamais démenti.
Luigi avait aussi ajouté une autre corde à son arc puisqu'il a longtemps fait du doublage, une discipline pour laquelle ses confrères saluèrent ses dons.
Sa rencontre avec la comédienne Milva qui était sa partenaire dans Lulu, une pièce mise en scène par Mario Missoroli va bouleverser sa vie. Pour Luigi c'est le coup de foudre.
Cette relation lui donne le courage de divorcer d'avec sa femme Liliana Zoboli avec qui il eut un fils, Daniele. Milva le fascinait. Il prévoyait de l'épouser et l'emmener en lune de miel en Espagne mais leur histoire d'amour se terminera avant que Luigi ne réalise ce rêve. Elle aura durer quatre années. Les histoires d'amour se terminent souvent comme elles ont commencé. Sans réelle explication. Mais leur séparation n'entame en rien l'amitié que Milva a pour lui. Ils remonteront même ensemble sur scène. Mais au fond de lui Luigi ne se remettra pas de cette blessure.
En 1996, la pièce Tosca de Terence Rattigan dans laquelle il joue aux cotés de Milva est profondément égratigné par la critique qui ne l'épargne pas. Le 21 avril de cette année, le soir de l'ultime représentation Luigi ne se présentera pas sur scène. Son corps sera retrouvé chez lui dans un quartier huppé de Milan.
L'acteur aprés avoir avalé un tube de barbituriques s'est pendu à son armoire à l'aide d'une corde faite de vêtements. Une note sera retrouvée expliquant son geste tragique. Excuse moi Milva, j'ai tout raté, cet article est infâme. Adieu. Luigi faisait référence à un article paru quelques temps plus tôt dans la presse où la pièce était une fois de plus particulièrement écorchée par la critique. Fragilisé par ce qu'il considérait être un échec professionnel, il n'a pas supporté que la pièce soit ainsi démontée. Il a lentement sombré dans la dépression d'autant plus qu'il ne s'était jamais réellement remis de sa rupture d'avec Milva.
Luigi a laissé un grand vide dans le monde artistique italien et sa mort ne laissa personne indifférent. Chacun salua l'homme qu'il était, un homme généreux, simple et discret, un sentimental qui se donnait à fond dans son métier. Tous reconnurent le professionnel qu'il était, un professionnel pour qui l'échec ne pouvait exister.
Luigi s'en allé à 66 ans de façon tragique pris entre son métier et cette sensibilité à fleur de peau qui le caractérisaient mais qui le menèrent à sa perte. Espérons que son âme ait trouvé le repos. Pour nous amateurs de cinéma de genre, Luigi restera à jamais un des grands noms de ce cinéma que nous saluons bien bas.