Reazione a catena
Autres titres: La baie sanglante / Ecologie du meurtre / Ecologia del delitto / A bay of blood / Bloodbath / Carnage / Twitch of the death nerve / Bahia de sangre
Real: Mario Bava
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 81mn
Acteurs: Claudine Auger, Luigi Pistilli, Chris Avram, Claudio Camaso, Laura Betti, Leopoldo Trieste, Isa Miranda, Brigitte Skay, Paola Montenero, Nicoletta Elmi, Renato Cestié...
Résumé: La comtesse Federica est assassinée dans sa chaise roulante par son mari qui lui même est assassiné par un mystérieux tueur dans leur villa. La comtesse refusait de vendre sa propriété à un architecte qui voulait construire une station balnéaire sur ses terres. L'architecte met alors au point une stratégie criminelle pour s'en emparer. Pendant ce temps, quatre jeunes gens sont tués alors qu'ils avaient pénétré par effraction dans la villa. Ce n'est que le début d'un long jeu de massacre dont sera victime un groupe de personnes venu passer un week-end dans la propriété...
Après avoir posé les bases du giallo dés 1963 avec La fille qui en savait trop et surtout 6 femmes pour l'assassin en 1964, Mario Bava s'est par la suite essayé à différents genres avant de revenir au thriller à l'italienne avec La Baie sanglante, sans aucun doute l'un de ses films les plus connus, à un moment où sa carrière connait une baisse de régime. C'est également l'un de ses films les plus atypiques dans lequel il pousse jusque dans ses derniers retranchements ces limites qu'il avait lui même mis en place.
L'intrigue passe ici au second voire troisième plan, elle n'est qu'un simple prétexte à enchainer toute une série de meurtres tous plus atroces les uns que les autres, véritable catalogue de l'horreur assassine. Le film raconte l'histoire d'un groupe de personnes, treize en tout, venues passer quelques vacances sur une île, loin d'imaginer qu'ils vont tour à tour succomber aux sanglantes exactions d'un ou plusieurs dangereux psychopathes, le tout sur fond d'escroquerie immobilière. Si Bava avait déjà exploité le thème du complot immobilier l'année précédente dans le navrant L'île de l'épouvante, il y revient de manière un peu différente cette fois et surtout avec beaucoup plus de bonheur.
Ce qui étonnera de prime abord, c'est l'absence de tout artifice baroque et coloré, marque de fabrique du célèbre cinéaste qui abandonne ici l'aspect gothique. La photographie est cette fois à l'image des marais de cette splendide baie eux mêmes mais cependant elle est toujours aussi magnifique puisque Bava a su mettre en valeur la déliquescence de l'être humain, la crasse de l'âme, principal élément du film. On ne retrouvera la griffe de Bava qu'au détour du premier meurtre, splendide: la mort d'une riche veuve infirme assassinée par un promoteur immobilier auquel elle refusait de vendre son terrain. La vieille dame mourra pendue dans son fauteuil, ses dernières respirations coïncidant avec le mouvement d'une des roues de son fauteuil.
Le ton est donné. Les morts aussi graphiques que violentes vont dés lors s'enchainer, régulières, magistralement mises en scène par le Maitre. Toutes commises à l'arme blanche (couteau, faucille, lance...), elles sont le plus souvent brutales, filmées en gros plan afin de ne rien perdre de la souffrance et de l'agonie des malheureuses victimes. A ce titre, La baie sanglante peut être considéré comme l'ancêtre du slasher tel qu'on le connaitra dés le début des années 80, un prolifique filon ouvert par Vendredi 13 et autre Halloween. En fait Bava brise toutes les règles souvent tortueuses du giallo pour ne s'intéresser qu'aux meurtres eux mêmes, tous construits sur un même modèle, celui de la réaction en chaine qui est également la traduction littéral du titre original. Cette absence de trame narrative combinée à cette succession de massacres incessants, base du film, peut donner l'impression qu'il part tout azimut mais celle ci est vite oubliée devant le brio de la mise en scène. En ce sens, La baie sanglante est un véritable tour de force puisque Bava a su parvenir avec maestria à mettre sur pied une oeuvre dont toute la force tient non pas dans son scénario, insignifiant, mais dans sa réalisation.
Particulièrement ironique et surtout cynique, La baie sanglante est une sorte de métaphore de notre société en décomposition où la nature est devenue la cible idéale d'hommes avides uniquement intéressés par l'argent et le pouvoir lorsqu'ils ne se prennent pas tout bonnement pour Dieu. Les treize protagonistes représentent d'ailleurs fort bien toutes les tares de notre société. Dans ce jeu de massacre où on ne compte pas moins de six assassins différents, ces hommes méprisables, odieux, sont prêts à s'autodétruire pour parvenir à leurs misérables fins. La baie sanglante sous ses aspects éclatants est en fait une oeuvre sombre et amère dont la morale est aussi surprenante que les ultimes images qui clôturent le film sont d'une noirceur extrême.
On saluera la réussite des effets spéciaux signés Carlo Rambaldi qui raviront tous les fans d'effets gore, la superbe musique souvent décalée, très contrastée qu'on doit à Stelvio Cipriani et une distribution fabuleuse qui voit la réunion de personnages tous plus immoraux les uns que les autres avec en tête Luigi Pistilli, Leopoldo Trieste, Chris Avram, Isa Miranda, l'égérie de Pasolini Laura Betti, l'ex-James Bond girl Claudine Auger sans oublier le frère de Gian Maria Volonte le torturé Claudio Camaso. On notera la présence d'une toute jeune et encore fringante Paola Montenero alors à ses débuts ainsi que celle de la petite Nicoletta Elmi et du petit Renato Cestié. Mais la véritable vedette du film reste cette baie déserte, splendide, idyllique que Bava parvient à humaniser alors qu'il déshumanise ses protagonistes. Ironiquement noir jusqu'au bout des marais!
Mario Bava signe là son film le plus sanglant de sa carrière mais aussi le plus atypique de par son imprévisibilité. Oeuvre phare du thriller à l'italienne, La baie sanglante fera également date dans l'histoire du slasher puisque la plupart des meurtres imaginés par Bava y sera repris. Devenu aujourd'hui un classique du cinéma d'exploitation italien, voilà un film aussi nihiliste que noir qui démontre parfaitement le combat que livre Dame Nature contre l'être humain, odieux et destructeur. Si La baie sanglante n'est pas un chef d'oeuvre, il s'en approche.