Adieu Monsieur le géant de papier: révérence posthume à Mark Gregory
Pourquoi consacrer un dossier à Marco De Gregorio, Mark Gregory à l'écran, alors que cette rubrique est généralement réservée à des thèmes précis? On retrouve en effet les comédiens, les acteurs, tous les artistes qui ont fait le cinéma d'exploitation, le cinéma Bis, dans nos colonnes "Biographies" où d'ailleurs Marco avait déjà la sienne ICI depuis déjà bien des années. Oui mais voilà! Mark Gregory est bien plus qu'un acteur. Ce géant aux pieds d'argile est devenu au fil du temps une véritable légende, un mythe, un phénomène de culte autour duquel gravite une multitude de mystères qui l'ont rendu encore plus fascinant. Mais au delà du mythe Mark c'est surtout et avant tout deux choses qui ont fait de lui quelqu'un d'un peu à part dans l'univers du Bis transalpin: d'une part un parcours aussi étonnant que tragique qui n'a été découvert que très récemment, le symbole d'une beauté singulière à la sexualité ambigüe qui pouvait plaire tant aux hommes qu'aux femmes d'autre part. Est-ce surprenant donc si Mark jouit depuis très longtemps d'une immense popularité auprès de la communauté gay, d'autant plus populaire qu'à travers les films qu'il a interprété il montrait que l'ambivalence sexuelle n'était pas incompatible avec des rôles à la base machistes. Voilà bien toute la singularité du personnage, la raison pour laquelle lui consacrer un dossier hommage tout en lui tirant notre révérence tout juste dix ans jour pour jour après sa mort était plus qu'une évidence même si sa disparition a été révélée il y a maintenant un peu plus d'un an. Il n'est jamais trop tard pour les gens qu'on aime.
Pendant des décennies il demeura une véritable énigme, un mystère que beaucoup tentèrent de percer et qui alimenta bien des rumeurs. Après avoir été la vedette de dix films dont en 1982 Les guerriers du Bronx qui en fit une star universelle en moins de temps qu'il ne faut pour le dire il disparut des écrans radar en 1988 comme s'il s'était désintégré, comme s'il n'avait été qu'un rêve. Pendant près de vingt ans beaucoup essayèrent de le retrouver, savoir ce qu'il était devenu mais aussi savoir qui se cachait derrière ce mystérieux patronyme anglo-saxon, Mark Gregory, un pseudonyme derrière lequel se cachait en fait Marco De Gregorio (et non pas Marco Di Gregorio comme on le vit trop souvent écrit)
comme on l'apprit bien des années plus tard. La tâche fut ardue car ni les metteurs en scène qui travaillèrent avec lui, ni ses partenaires à l'écran, ni les techniciens qui le côtoyèrent sur les tournages n'étaient en mesure d'apporter la plus petite information sur ce colosse si ce n'est de s'accorder sur le fait que Mark, pardon Marco, était un garçon particulièrement réservé, qui parlait très peu, ne se confiait jamais et n'entretenait aucune relation avec les acteurs avec lesquels ils tournaient. Plus étrange encore Marco semble n'avoir jamais eu d'agent. Gérait-il seul sa carrière? Ce qui parait totalement improbable. Une question qui ne trouvera peut-être jamais de réponse même si elle semble évidente: impossible. Peut-être retrouvera t-on un jour l'homme qui eut le privilège de s'en occuper.
Si au cours des années 90 rumeurs et spéculations commencèrent à courir ça et là rien ne permettait alors de les confirmer ou de les infirmer mais très peu d'acteurs jusque là avaient suscité non seulement autant de questions mais également un tel engouement. Ainsi donc, Marco aurait été vu sur le parvis du Vatican dessinant des Madones, d'autres affirmaient l'avoir vu à Rome exerçant le métier de pizzaiolo ou encore l'avoir aperçu au sein d'une communauté hippie et même reconverti en décorateur d'intérieur. Difficile de savoir exactement ce qu'il en retournait, Marco restait aussi insaisissable que le vent, une chimère, du moins jusqu'en 1996 lorsque Bobby Rhodes qui fut son partenaire dans Warbus 2 fit quelques précieuses révélations sur Marco dont il fut très proche lors d'une interview qu'il
donna à Manlio Gomaresca. Il était même resté en contact avec lui quelques temps après qu'il ait tiré un trait définitif sur sa carrière de comédien, une décision que Bobby n'a jamais compris. Alors que tout lui souriait et qu'il réussissait enfin à briller au cinéma tout sembla basculer sur le tournage de Warbus 2. Sans aucune raison apparente Marco entra un jour dans une colère noire, hurla son ras-le-bol et son désir de tout arrêter. Personne ne sut jamais la raison d'une telle fureur encore moins pourquoi il prit une décision aussi radicale pas même Bobby. Mark termina le tournage et tint sa promesse. Il claqua la porte des studios en 1988 dés la fin des prises de Missione finale. A son retour de Corée où le film fut tourné Marco fut aussitôt porté disparu. Bobby Rhodes confirma que Marco était retourné à ses premières amours, la peinture, et dessinait bel et bien des madones au Vatican tout en peignant ses propres toiles. Il endossa également un temps le tablier de pizzaiolo à Rome, au Casalone, une information confirmée par l'acteur Massimo Vanni qui le rencontra un jour par hasard dans les rues de la capitale. A l'orée du nouveau millénaire Marco se serait essayé à la décoration d'intérieur, une extension logique à sa passion pour la peinture, mais en 2010, après qu'il ait quitté Rome pour s'installer à Castel Madama, tout va de nouveau basculer pour l'ex-Trash. Sa santé mentale vacille, ses anciens fantômes remontent à la surface et le conduiront lentement à cette nuit tragique du 31 janvier 2013. Mais revenons plus en détail sur le parcours hors norme de ce garçon tout aussi hors norme et les raisons qui lentement, très lentement lui feront commettre le plus tragique des gestes.
L'ascension d'un géant:
Né à Rome le 2 mai 1964 Marco avait été découvert au printemps 1982 par Enzo Castellari et Fabrizio De Angelis alors qu'ils recherchaient l'acteur idéal pour interpréter Trash, le héros de nouveau film de Castellari Les guerriers du Bronx. Ils n'avaient jusque là trouvé personne capable d'incarner Trash tel que le metteur en scène se l'imaginait. C'est là que le hasard met sur leur route le jeune Marco alors âgé de 17 ans. Repéré dans une salle de sport, celle des frères Bonadonna, qu'il fréquentait régulièrement ils voient en lui la personnification même de leur principal protagoniste. A cette époque afin de gagner un peu d'argent Marco, qui habitait Porta Pia, vendait des chaussures et faisait les marchés. La peinture était déjà une de ses passions. Il peignait régulièrement. Il fréquentait également
beaucoup les discothèques et sortait avec une jeune fille brune aussi petite et malingre qu'il était grand et fort, avec laquelle il s'était fiancé. Après réflexion celui que Massimo Vanni comparait à une incarnation physique du Christ accepta l'offre de Castellari mais étant mineur il lui fallait l'autorisation de ses parents qu'il eut beaucoup de mal à obtenir. Du milieu familial d'où il était issu on sait que très peu de choses si ce n'est que son père le frappait et que sa mère n'était pas en très bonne santé. Marco obtint tout de même leur accord, se fit faire un passe-port et s'envola pour New-York. Castellari avait beaucoup d'affection pour Marco. Ce grand gaillard bourré de complexes, assailli par les problèmes, le touchait beaucoup. C'était un garçon travailleur, docile qui apprenait très vite. Un des plus beaux exemples que Castellari peut donner est la facilité avec laquelle il apprenait ses
dialogues, lui qui ne parlait pas un mot d'anglais (Les guerriers du Bronx fut tourné en anglais). Ce n'était certes pas du Shakespeare mais la prononciation, le ton étaient juste. Malheureusement dans aucun des films que Marco tourna on entend sa véritable voix, il fut doublé à la post synchronisation par divers acteurs.
Durant le tournage Massimo Vanni que Marco voyait un peu comme un grand frère le prit sous son aile. Gauche, maladroit, la démarche bancale, Mark avait besoin de conseils, de soutien, d'apprendre à se déplacer. Il était quasiment la seule personne avec qui Mark parlait, se confiait. C'était un garçon timide, méfiant, qui parlait très peu, préférait être seul que de sortir après une journée de travail en plateau. Il avait de nombreux problèmes
familiaux qu'il n'évoquait cependant jamais mais ils le tourmentaient, l'angoissaient. Cela nuisait parfois à son travail d'acteur dont il se servait comme exutoire. C'est ainsi qu'il frappa pour de vrai un des cascadeurs (Domenico Cianfriglia) lors d'une scène de bagarre afin d'exprimer la haine qu'il éprouvait envers son père. Ses angoisses, ses peurs, ses tourments, ses problèmes personnels Castellari a parfaitement su les capter avec sa caméra lors des prises de vues. Ils se lisent facilement sur son visage durant tout le film conférant à son personnage une aura assez particulière qui lui sied parfaitement. Durant cette période Marco fut très proche du fils de Castellari, Andrea, qui s'était lié d'amitié pour lui. Andrea le décrit aujourd'hui comme un garçon très timide mais d'une extraordinaire douceur, bien éduqué, toujours poli mais quasi impénétrable comme le confirme Fabrizio De Angelis. Trouver la clé qui lui permettrait de s'ouvrir était chose apparemment impossible.
Deux mois après la fin du tournage des Guerriers du Bronx, en juillet 1982, Marco part pour les Canaries et la Sardaigne incarner Adam dans Adamo ed Eva la prima storia d'amore de Nello Russo et Enzo Doria. Aux cotés de l'américaine Andrea Goldman Marco dévoile ce qu'il a de plus intime pour le plus grand bonheur de ses admirateurs qui applaudissent l'idée d'avoir supprimé la fameuse feuille de vigne. Preuve que Marco ne laissait personne
indifférent Russo et Doria vont se fâcher durant le tournage du film. Doria était fasciné par Andrea Goldman dont il était fou amoureux et n'avait de cesse de la mettre en valeur à l'écran. Russo trouvait cela parfaitement injuste. Plus intéressé par le jeune acteur il tenta en vain qu'il soit lui aussi mis en valeur. Est-ce donc à lui qu'on doit la fameuse scène totalement gratuite située à la trente et unième minute, filmée de surcroit en gros plan, où un essaim d'hommes préhistoriques lui mettent par trois fois la main au paquet, tâtant avec envie ce que contient son mini slip en peau de bête sans que cela ne dérange Marco qui
semble apprécier cette intrusion intime. quoiqu'il en soit les deux hommes se fâchèrent et Doria se retira du projet tant et si bien que parfois on peut lire que Adamo ed Eva est un film non pas du tandem mais de Russo seul.
Un de ses partenaires à l'écran, l'acteur Pietro Angelo Pozzato, avec qui il partageait sa chambre d'hôtel, le décrit comme quelqu'un d'assez impressionnant de par sa stature mais d'une extraordinaire simplicité, comme une belle personne tant de corps que d'esprit. Marco ne connaissait pas le mot méchanceté.
En février 1983 Marco retrouve le personnage qui l'a rendu célèbre, Trash, pour la suite quelque peu faiblarde des Guerriers du Bronx intitulée tout simplement Fuga dal Bronx / Les guerriers du Bronx 2 toujours dirigé par Enzo Castellari qui entre temps avait tourné son post nuke Les nouveaux barbares. A cet effet il faut clarifier une chose. Malgré les affirmations de certains qui prétendent l'avoir vu dans Les nouveaux barbares Marco n'a
jamais participé au film. Castellari avait bel et bien pensé l'engager mais au final aucun rôle ne convenait vraiment à Marco dans ce très bon post nuke. Le réalisateur abandonna donc l'idée et ne retrouva le jeune acteur que pour cette séquelle où il reste égal à lui même, plus taciturne que jamais et un peu plus épais aussi ce qui lors de certaines scènes ou certains plans lui donnent un aspect quelque peu pachydermique.
Marco enchaine dés avril 1983 avec le premier volet de Thunder / Tonnerre de Fabrizio De Angelis qu'il tourne en Arizona. Après avoir incarné un chef de bande tout en muscles arpentant les ruines d'un Bronx futuristes Marco va cette fois endosser la peau d'un indien, le Tonnerre du titre, qui va devoir faire face au racisme et se battre poussé à bout par l'Homme blanc. De Angelis perdit de vue Marco après le tournage du troisième épisode de cette série et reconnait ne pas l'avoir vraiment connu. Il confirme que c'était un garçon secret, fermé, difficile d'accès mais travailleur. Il le compare un peu à un robot qui faisait tout ce qu'on lui disait et l'exécutait à la perfection.
C'est à la fin du tournage de Thunder que Marco va disparaitre une première fois des écrans radar pendant quasiment trois ans. Entre le printemps 1983 et mai 1986 la vie du comédien est une véritable énigme. Personne ne sait ce qu'il a fait, où il était. La seule chose de certaine c'est que Marco est parti faire son service militaire. Il fut appelé sous les drapeaux durant l'été 1983 et se retrouva au CAR d'Orvietto. Un de ses camarades de chambrée se souvient de lui notamment de son arrivée. Impossible de ne pas remarquer ce géant qui portait encore les cheveux longs mais qui une fois le crâne rasé, vêtu d'un horrible treillis vert
se fondait dans le plus total anonymat. Personne ne savait qui il était ou ne pouvait soupçonner que ce titan faisait du cinéma. S'il n'a jamais mentionné ses activités cinématographiques ce camarade de Marco se souvient qu'il pleurait quasiment tous les jours. Il n'a jamais su pourquoi. Sa mère, sa fiancée lui manquaient ils? Mystère. Quoiqu'il en soit Marco était un personnage attachant qu'il était impossible de ne pas aimer. Partout où il passait même en troufion il avait une véritable aura, un charisme extraordinaire continue ce camarade.
Qu'a donc fait Marco une fois son service terminé? Personne ne le saura jamais, il y a un énorme blanc dans sa vie entre l'été 1984 lorsque son service se termina et l'été 1986 année où De Angelis le rappelle pour la suite de Thunder, Thunder 2 qui reprend la recette du premier volet. Ses cheveux ont repoussé, Marco a retrouvé son look d'avant sa vie militaire mais il a le visage un peu plus fin, plus amaigri et surtout bien plus mature. Il a tout simplement perdu en adolescence ce qu'il a gagné en maturité lui donnant de temps à autres un faux air de Miles O'Keefe (qui d'ailleurs aurait du interpréter à sa place Adam, un rôle qu'il refusa pour de douteuses convictions religieuses).
En février 1987 Marco entame la seconde partie de sa carrière en jouant désormais les Rambo. Il ne tournera plus que des films de guerre, un genre alors très à la mode alors en Italie qui surfe sur les succès de Rambo, Platoon et autres Portés disparus. Le premier de la série est Delta force commando de Pierluigi Ciriaci dans lequel pour la première fois de sa carrière il joue un méchant. C'est aussi, bien malheureusement, son plus mauvais film, une pellicule que rien ne parvient à sauver de la plus absolue médiocrité. Un scénario abracadabrant, improbable, un montage approximatif, une cascade d'incohérences et une interprétation nullissime, seule la présence de Marco qui pour la première fois apparait les cheveux courts donne une raison de visionner cette catastrophe pelliculaire.
En mai 1987 Marco s'offre une parenthèse américaine dans ce nouveau parcours guerrier en tournant l'épisode 3 des aventures de Thunder tout simplement intitulé Thunder 3, le plus faible de la série, toujours sous la direction de Fabrizio De Angelis. Avec Delta force commando voilà son second plus mauvais film dans lequel il apparait affublé d'une perruque, Marco ayant désormais les cheveux courts. Malgré une projection publique à Parme sous le titre L'ultimo guerriero Thunder 3 restera inédit en salles en Italie mais sortira étrangement dans de nombreux pays à travers le monde où il remportera un certain succès notamment en Allemagne.
De retour d'Arizona Marco part pour la Bosnie tourner son prochain film Afghanistan: the last war bus / Warbus 2 que met en scène Pierluigi Ciriaci. C'est sur le plateau de ce film que naitra une véritable amitié entre Bobby Rhodes et Mark qui par la suite resteront quelques années en contact mais c'est aussi sur ce film que tout va soudainement changer pour pour notre jeune "Rambo" transalpin. Quelques temps avant la fin du tournage Marco va soudainement rentrer dans une rage folle sans que personne ne comprenne pourquoi pas même Bobby à qui Marco ne donnera jamais aucune explication. A partir de ce jour il va beaucoup changer. Il semble désillusionné, triste, à tel point qu'il décide de tout arrêter du
jour au lendemain alors qu'il était entrain de devenir une valeur sûre du cinéma italien, qu'il jouissait d'une immense popularité notamment dans certains pays et que son avenir à l'écran était quasiment assuré. Que s'est-il passé? Qu'est-ce qui a pu autant le décevoir? Est-ce le milieu du show-bizz? Marco emportera son secret avec lui dans la tombe. Il acceptera cependant de tourner deux autres films, Un soldato maledetto / Soldat maudit, réalisé durant l'hiver 1987 par Ferdinando Baldi et très certainement son meilleur film de guerre, puis Ten zan: missione finale de nouveau mis en scène en Corée par Baldi au printemps 1988 qui sera son chant du cygne. Le producteur du film se souvient que durant
tout le tournage Mark ne cessa de se plaindre et ne souhaitait qu'une chose, quitter la Corée et rentrer chez lui à Rome. Il ne supportait plus de devoir manger du poulet à chaque repas. Sabrina Siani qui fut sa partenaire dans ce film se rappelle très bien de cette anecdote également mais elle se souvient surtout de la gentillesse et de la sensibilité de Marco avec qui elle était devenue amie. Cet homme la touchait beaucoup. Elle sentait que Marco n'allait pas bien. Il n'arrêtait pas de dire qu'il épouserait sa fiancée dés son retour en Italie. Malheureusement une fois le film terminé elle n'eut plus jamais de ses nouvelles et ses tentatives pour le retrouver furent vaines.
La chute d'un géant:
Qu'est donc devenu Marco après qu'il ait brutalement mis un terme définitif à sa carrière de comédien? Qu'a t-il fait de 1988, année où il se retira définitivement des feux de la rampe, à 2010 lorsqu'il acheta sa maison à Castel Madama? Quelle fut sa vie? Où vivait-il ou plus exactement où se cachait il puisque toutes les tentatives pour le retrouver furent vaines? Autant de questions qui durant deux décennies furent au centre de bien des discussions. Beaucoup de rumeurs circulèrent, fondées ou non, mais une chose était certaine, Marco restait un véritable fantôme. Aujourd'hui on peut enfin apporter des réponses à la plupart de ces interrogations même s'il reste d'importantes zones d'ombre et des questions qui demeureront à jamais irrésolues.
En fait Marco n'a jamais quitté Rome. Il vivait dans le plus parfait anonymat dans un quartier de la capitale. Il semblait avoir suivi les conseils de Massimo Vanni qui lui avait conseillé alors qu'ils tournaient Les guerriers du Bronx d'économiser l'argent qu'il gagnait afin de pouvoir s'acheter une petite maison, un bien qui serait à lui. Quant à ses occupations post cinématographiques la plupart des rumeurs qui jadis circulèrent s'avérèrent vraies. Marco travailla bel au bien au Casalone, un restaurant de Rome où il resta quelques mois. Il s'est réellement installé un temps sur le parvis du Vatican pour y dessiner des madones. Parallèlement à cette activité de "madoniste" il peignait beaucoup. La peinture, le dessin a toujours été une véritable passion pour l'ex-Trash. Marco créait ses propres tableaux, des oeuvres souvent solaires, optimistes aux dires de ceux qui eurent la chance de les voir.
Dans ses années de lumière Marco avait aussi tenté une reconversion dans la décoration intérieur, une suite somme toute logique à ses talents de peintre.
Sur le plan privé la vie de Marco reste et restera par contre un mystère. S'est-il marié à sa petite fiancée comme il le prévoyait lorsqu'il quitta le monde des caméras? Seule l'intéressée pourrait répondre mais elle s'est évanouie dans la nature. Ce sont les souvenirs de ceux qui l'ont rencontré sur les plateaux de tournage où elle l'accompagnait aussi souvent que possible qui témoignent de son existence ainsi que les rares photos prises des tourtereaux hors caméra lors des pauses. Une seule certitude: les dernières années de sa vie Marco vivait seul et semble n'avoir jamais eu d'enfant. C'est seul qu'il était venu s'installer à Castel Madama. Il n'avait aucune famille, aucun ami connu, personne ne venait jamais le voir et c'est donc seul qu'il est décédé, aucun proche ou connaissance n'étant venu à ses obsèques. Voilà qui tente à prouver que Marco était dans les dernières années de sa vie seul au monde.
C'est en 2010 que le nom de Marco refait soudain surface et que son parcours de vie redevient plus clair. C'est en 2010 que sa vie bascule définitivement. Cette année là Marco est victime d'une escroquerie immobilière qui le laisse sur la paille. La maison qu'il vient d'acquérir et de payer cash avec ses économies n'est qu'une arnaque. Il perd énormément d'argent. C'est à ce moment qu'il prend la décision de quitter définitivement Rome pour s'installer à Castel Madama, une petite cité médiévale située non loin de la ville éternelle. Il y achète une vieille bâtisse plantée au coeur de la ville qu'il avait repéré quelques temps plus
tôt et va passer de nombreux mois à la retaper seul, à la sueur de son front, la transformant en une sorte de superbe grotte d'un autre temps. Ceux qui ont eu la chance de la visiter furent ébahis par sa beauté, la manière dont Marco l'avait arrangé. On y reconnaissait son gout pour les belles choses, son talent d'esthète. Etonnante était cette fontaine qu'il avait construite au centre même de la demeure, digne des antiques maisons romaines.
Tout le monde à Castel Madama connaissait Marco mais personne ne savait qui il était. Les habitants l'avaient surnommé "Le géant muet" d'une part pour sa taille exceptionnelle, d'autre part parce qu'il ne parlait à personne. C'était un solitaire qui se contentait de dire simplement bonjour. Ils le voyaient passer chaque jour dans le village. Il était resté bel homme et n'avait pas vraiment changé si ce n'est qu'il avait les cheveux un peu plus courts qu'à l'époque où il brillait sur les écrans. C'est ainsi que les villageois le décrivirent après sa disparition lorsqu'ils surent enfin l'identité de cet ours solitaire, ces mêmes villageois qui le virent dépérir au fil du temps.
Que s'est-il donc passé? Voilà un autre mystère que Marco a emporté avec lui dans sa tombe. Assez rapidement ses vieux démons semblent avoir repris le dessus. Son passé l'a
rattrapé. Tout ce qui dans sa jeunesse l'avait profondément marqué, tous ses problèmes, toutes ses névroses sont revenus en surface. Pourquoi? Nul ne le saura jamais. Marco est devenu de plus en plus sombre, son état mental se dégradait lentement, il perdait de plus en plus le sommeil et devait prendre régulièrement des somnifères pour pouvoir trouver la paix le temps d'une nuit. Une voisine meunière se souvient qu'elle l'entendait parfois hurler la nuit. Un jour il devint même agressif reprochant à son moulin de faire trop de bruit ce qui l'empêchait de dormir. Ses tableaux reflétèrent très vite son état d'esprit. Ses peintures d'habitude si solaires devenaient de plus en plus torturées, de véritables cauchemars sur toiles qui emplissaient sa galerie.
La mort d'un géant:
Arriva cette terrible nuit de janvier 2013. A la tombée du soir une villageoise vit Marco sortir de chez lui et errer dans la cité. Le froid était glacial. Marco portait un simple pull. Par bonté la femme lui offrit un chapeau afin qu'il se couvre. Il l'accepta mais ne dit mot. Il continua sa route. Ce fut la dernière fois qu'on vit Marco. On retrouvait son corps sans vie le lendemain matin, le 31 janvier 2013. Marco avait succombé à overdose de somnifères à tout juste 49 ans.
Il fut enterré quelques jours plus tard au petit cimetière de Castel Madama. Personne ne vint à ses obsèques. Sa mère refusa de venir ainsi que sa soeur. Aucun ami, aucune connaissance, aucune famille. Seuls un prêtre et un employé de la ville étaient présents. Marco fut seul quasiment toute sa vie et c'est seul qu'il est également parti, emporté par ses tourments et ses fantômes qui eurent finalement raison de lui. Son ultime demeure est à l'image de sa vie, d'une tristesse déroutante, une simple tombe au pied d'un arbre recouverte par le lierre, surmontée d'une croix rouillée sur laquelle seuls son nom et les dates de naissance et de décès sont inscrits. Aucune photo, aucun souvenir. C'est comme si Marco n'avait jamais existé pour personne. Le magazine Nocturno osa même écrire à l'époque qu'un chien aurait été enterré de manière plus décente car il aurait eu droit à une photo. C'est un total hasard si son décès fut découvert neuf ans plus tard, en mars 2022. Ce sont les infatigables équipes de Nocturno qui n'ont jamais cessé d'essayer de le retrouver durant des décennies qui grâce à toutes les possibilités technologiques modernes trouvèrent enfin sa trace pour finalement découvrir qu'il nous avait quitté il y a déjà dix ans. Ainsi donc partit Marco, dans le plus complet anonymat, oublié des siens, après des années de solitude et de souffrance.
Lorsque sa disparition fut découverte ses innombrables fans commencèrent à lui rendre hommage, choqués d'une telle fin. Sa tombe est au fil de ces dernières années devenue un lieu de visite. Il n'est pas rare que des admirateurs dont certains ont parcouru des centaines voire des milliers de kilomètres viennent y déposer des fleurs. Quelle ironie du sort que ce soit une fois parti qu'il ne soit enfin plus seul. Par delà la mort Marco a enfin obtenu la plus juste des récompenses. Si seulement il avait su qu'il avait autant marqué le public, qu'après tant d'années son aura était toujours aussi brillante, qu'il jouissait d'un statut d'acteur culte, aimé et respecté depuis quatre décennies peut-être ce serait il senti moins seul, peut-être que sa vie aurait été différente. De là où Marco se trouve désormais, dans un monde dit meilleur, espérons qu'il puisse voir tout l'amour qu'on lui voue ici bas.
Mark Gregory: la dissection d'un mythe ou la beauté de l'Alien:
Marco De Gregorio c'est avant tout un physique exceptionnel. Impossible de ne pas remarquer ce grand garçon de plus d'un mètre quatre-vingt dix, aux longs cheveux noirs, à la démarche maladroite, raide. Marco avait quelque chose de christique, d'irréel. C'était une véritable présence, quelqu'un qui ne laissait personne indifférent que ce soit sur un plateau de tournage, dans la rue, un lieu publique comme en témoignent ceux qui l'ont connu ou simplement côtoyé, acteurs, comédiens, techniciens ou personnes lambda qui à un moment ou un autre de leur vie ont eu l'opportunité de le croiser, le rencontrer.
Dans l'univers du Bis Marco est définitivement à part. Si Les guerriers du Bronx fait aujourd'hui quelque peu figure d'exception dans l'univers du film de science-fiction, plus spécifiquement dans sa vision du monde futuriste, c'est bel et bien grâce à la prestation de Marco. Impossible d'oublier sa toute première apparition tant elle est marquante, innovante aussi. Nous sommes sur Manhattan bridge au moment où les deux bandes rivales, deux bandes de Hell's Angels, s'apprêtent à se rencontrer. Le spectateur s'attend donc à de la testostérone, du muscle, de la virilité exacerbée qui sent la sueur, le cambouis et chevauche des motos vrombissantes. Depuis Mad Max le cinéma de science-fiction nous a en effet habitué à dépeindre notre monde de demain de manière brutale. Ce sont des bandes de punks hargneux qui sillonnent nos routes, tuent, pillent et se font la guerre, un monde
machiste où même la femme est masculinisée. Avec Les guerriers du Bronx Castellari brise soudainement les codes avec le personnage de Trash alias Mark Gregory alias Marco De Gregorio. Au milieu d'une horde de motards tout de cuir noir vêtu, il y a ce garçon de 17 ans certes colossal mais à l'opposé de tout ce à quoi on pouvait s'attendre. Glabre, les cheveux longs, des lèvres épaisses, un visage poupin androgyne, une démarche presque féminine. Voilà une vision presque surréaliste, d'autant plus irréelle que cet étrange personnage qui semble s'être trompé de film, de lieu, ce garçon très "pasolinien" est le chef de la bande. De quoi décontenancer! Inoubliable est en effet la séquence où Mark descend de sa moto et se met à marcher dans un silence quasi religieux vers le chef de la bande rivale. Lorsqu'il traverse ses troupes il ne marche pas, il semble glisser sur le sol, aérien,
volatile, droit comme un "i", la croupe incroyablement cambrée comme offerte. Mark n'est plus un homme, c'est un alien, totalement asexué, à la fois troublant, fascinant, inquiétant.
Avec Trash c'est le triomphe de l'ambiguïté sexuelle, de l'ambivalence, de quoi prouver qu'on peut ne pas être forcément très viril dans le sens profond du terme, mais qu'on peut cependant incarner la puissance, faire régner l'ordre, se battre. Si l'homosexualité était déjà présente dans Mad Max 2 à travers le tandem que formaient Wez (Vernon Wells) et son giton (Jerry O'Sullivan), le Golden Youth, elle l'était sous une forme plus ostentatoire, bien plus sadomasochiste surtout, par conséquent de manière bien plus testostéronée, bien plus en adéquation avec le monde viril dépeint. On était visiblement là dans un rapport de force, dominant/dominé. Avec Trash Castellari fait voler en éclat cette image stéréotypée pour une sexualité bien plus lisse, plus dérangeante. Non seulement Marco a quelque chose en lui de féminin, comme si une femme se cachait derrière ce corps statuesque mais il a également quelque chose de virginal peut être dû son visage de grand adolescent. C'est d'autant plus troublant dans l'univers des Guerriers du Bronx. Qui dit troublant dit aussi fascinant. Est-ce surprenant s'il est impossible que Marco ne pique pas la curiosité du spectateur, qu'il ne focalise pas toute son attention sur cet Apollon, ce garçon pas comme les autres? Castellari le décrivait d'ailleurs physiquement comme une sorte de dieu grec avec son visage à la fois dur,
masculin et déterminé, son regard félin, son impressionnante masse musculaire, sa beauté quasi parfaite, en somme toutes les caractéristiques d'un chef de bande. Cependant Marco reste un paradoxe puisque notre Apollon a aussi toutes les caractéristiques du parfait éphèbe, un "homme-enfant" sans âge ni sexe, un "nouvel être" qui pourrait incarner l'Homme de demain, l'être humain mutant de l'après apocalypse. Voilà pourquoi Les guerriers du Bronx est bien plus qu'un simple post-nuke. C'est avant tout Mark Gregory qui en le souffle, le coeur. Enlevons Mark et tout le film perd de sa saveur, s'il ne perd pas tout simplement son âme.
Trash/Mark Gregory aurait très bien pu s'être échappé d'un manga. En effet ces animés /
bandes dessinées japonaises nous ont habitué à ces héros androgynes, presque asexués mais qui s'avèrent être de redoutables combattants, de féroces guerriers. Mark en a toutes les caractéristiques physiques. Lorsqu'on pousse l'analyse encore plus loin (trop loin?) on pourrait même évoquer Goldorak, notre ami robot d'enfance. Qui n'a pas été troublé, fasciné, interloqué par cet énigmatique double personnage qu'était Minos/Minas, un homme qui à l'intérieur de la tête avait une mini femme qui y résidait. Lorsqu'elle voulait intervenir la tête de Minos s'ouvrait et laissait apparaitre cette harpie. Cela symbolisait bien sur la femme qui sommeille en chaque homme, sa part de féminité tant dans le geste que dans la réflexion
mais il y avait là aussi une importante ambiguïté sexuelle que chacun pourrait interpréter à sa façon. Trash est-il si éloigné de Minos/Minas? Un visage dur sur une masse musculaire impressionnante derrière lequel se tapit une ombre féminine qui floute une sexualité indéterminée, un guerrier double face qui livre bataille à ses ennemis.
Est-ce étonnant là encore si juste après Les guerriers du Bronx Marco s'envole pour les Canaries pour incarner Adam dans Adamo ed Eva? Qui mieux que lui pouvait personnifier le premier homme? Non seulement il en avait la beauté, la perfection physique que Russo saura mettre en valeur lors d'innombrables plans de nu intégral (rarement le corps de Mark n'aura été aussi bien mis en valeur) mais il porte aussi en lui tous les germes de la future
femme. Si dans la Genèse Dieu crée Eve à partir d'une côte chez Russo c'est Mark qui dessine une forme sur le sable sur laquelle il s'endort. A son réveil Eve est à ses cotés comme sortie de son corps. Eve serait-elle justement la femme qui sommeillait en Marco depuis Les Guerriers du Bronx? Mark a t-il accouché de sa part de féminité? Voilà peut-être tout le paradoxe du film et son aspect le plus intéressant avec le fait que Russo ait été le seul à filmer Mark non seulement nu mais de face, sans feuille de vigne, prouvant qu'il était bel et bien un homme... et quel homme! Un si bel homme que même les tribus préhistoriques qu'il croise sur sa route ne peuvent s'empêcher de lui mettre la main au paquet lors d'une inoubliable scène qui ne fait guère réagir Marco comme si cela lui était égal. Totalement troublant. Lourd de sens même pourrait-on dire.
L'année suivante il reprend son rôle de Trash dans les Guerriers du Bronx 2 en tant cette fois que principal protagoniste. Marco a gagné en maturité et continuera à en gagner au fil du temps et des films. C'est assez évident dans la série des Thunder mais plus encore dans la seconde partie de sa carrière dés 1987 lorsqu'il entamera sa période films de guerre et deviendra un des plus fameux (et un des meilleurs) Rambo transalpins. Le grand adolescent au visage encore poupin est devenu un homme qui a laissé derrière lui son aura virginale, Trash tel un reptile a mué, quitté ce corps aux allures androgynes, coupé sa
longue chevelure pour devenir un homme, un "vrai" guerrier qui va jouer les méchants même si cela était très difficile pour lui. Marco était foncièrement gentil, incapable de faire du mal. Malgré sa métamorphose il va garder une part de son mystère. Si on excepte une amourette avec Sabrina Siani dans Ten zan: missione finale, la présence d'une compagne qui meurt très vite dans Delta force commando, s'il a une famille dans Thunder et s'amourache d'une blondinette (Stefania Girolami) dans Les Guerriers du Bronx Mark a toujours été un guerrier solitaire. Aucune scène romantique, aucune scène de sexe ne jalonne son parcours d'acteur à l'exception de Adamo ed Eva: la prima storia d'amore
même si c'est Eve qui prend l'initiative, Adam préfère en effet contempler son reflet dans l'eau. Le narcissisme ne serait-il pas le signe d'une homosexualité latente d'autant plus si l'intéressé cache en lui une part de féminité? Plus troublant encore est l'image qu'il renvoie dans Delta force commando. Comment en effet oublier la scène où il apparait vêtu d'un débardeur noir au décolleté incroyablement généreux, à la limite de l'indécence, laissant apparaitre d'impressionnants pectoraux huilés qui donnent l'impression d'une poitrine féminine. Volontaire ou non, difficile de faire plus homo-érotique dans un contexte si puissamment viril. De quoi là encore plaire tant aux hommes qu'aux femmes.
Tel est fort certainement le secret de ce garçon à la stature de dieu grec auquel Enzo Castellari, le bienheureux qui fut à l'origine de cette extraordinaire et si inattendue découverte, aimait à le comparer. Marco de Gregorio, Mark Gregory pour l'éternité, a ainsi su traverser les décennies avec une telle aisance, cette capacité de fascination qui n'est pas prête de s'éteindre et a fait de lui une véritable légende, une exception dans le vaste univers du cinéma de genre italien des années 70 et 80... pour le meilleur et pour le pire. Fort d'un tel engouement tu peux définitivement reposer en paix, fier de ce brillant parcours.
Au revoir Marco... et révérence!