Paolo Turco: le magicien de l'âme (MISE A JOUR)
Un nom surgi d'un lointain passé qu'on ne remettra pas forcément de prime abord, un visage angélique qui n'était pas sans rappeler Marc Porel ouLino Capolicchio dont il aurait pu être la ténébreuse copie, dés la fin des années 60 ce jeune acteur brun au visage d'éternel adolescent, la mine taciturne, le regard à la fois tendre et morose qu'un simple sourire illuminait, incarna à la perfection le modèle type d'une jeunesse contestataire, du marginal rebelle mais si fragile, dans une série de films aujourd'hui oubliés ou difficilement visibles, souvent hors normes. S'il s'est par la suite tourné vers un cinéma plus accessible ce jeune comédien à la beauté ravageuse n'a peut-être pas toujours eu la reconnaissance du public qu'il méritait.
C'est avec plaisir que le Maniaco va aujourd'hui de lever le voile de mystère qui entoure celui qui continue à en faire rêver plus d'un, l'irrésistible et si séduisant Paolo Turco.
Né le 12 avril 1948 à Rome, fils d'un avocat originaire des Pouilles, neveu d'avocats, c'est en 1968 que Paolo Turco, à tout juste 20 ans, est remarqué par hasard par Mauro Bolognini lors d'une fête donnée à l'occasion des 18 ans de la fille de Dino de Laurentis, Veronica. A cette époque Bolognini cherche le jeune protagoniste de son nouveau film, Un merveilleux automne. Il devra y donner la réplique à la diva Lolo Bridgida. Alors étudiant en jurisprudence Paolo, un ami de Veronica, retient l'attention du cinéaste qui, séduit par sa timidité et sa beauté, lui offre ce rôle. Paolo accepte malgré sa totale inexpérience. Cette
décision va changer le cours de sa vie. Aux cotés de Lolo Bridgida avec qui il partage une très belle scène d'amour Paolo est simplement bluffant. Le jeune étudiant qui continue ses études parallèlement à sa carrière d'acteur naissante, ce qui lui vaudra d'être surnommé en Italie L'acteur-étudiant, va dès lors enchainer les films. En 1969 il est en tête d'affiche de Quarta parete / La limite du péché de Adriano Bolzoni dans lequel il interprète, Marco, un jeune garçon éduqué à l'anglaise, défenseur de la morale. C'est avec dégout qu'il constate que non seulement sa famille semble avoir perdu le sens des valeurs mais également que
la jeunesse sombre malheureusement de plus en plus dans la débauche. Incapable d'accepter cet état de fait, désillusionné, il va lentement perdre la raison jusqu'au final dramatique, violent, parfumé aux vapeurs de marijuana. Film plutôt lugubre, transgressif qui brille par la beauté de certaines de ses scènes et son étrange atmosphère teintée de psychédélisme, Quarta parete pointe du doigt les principaux éléments de la contestation juvénile tout en évitant le mélodrame. Paolo symbolise une sorte d'anti mai 68, incarne avec justesse le symbole de cette jeunesse lisse, impuissante gardienne des valeurs morales. Le jeune comédien, parfait dans ce rôle, est la véritable révélation de ce film méconnu,
oublié, dans lequel il y fait éclater ses fabuleux talents d'acteur, imposant cette mine triste, renfermée, presque mystérieuse qui le caractériseront désormais.
Son film suivant confirmera ce professionnalisme qu'on sentait poindre en lui. Il est en effet à l'affiche de Equinozio, une oeuvre d'anticipation quasi expérimentale quasiment invisible aujourd'hui dans laquelle il interprète Stefano, un jeune garçon qui découvre avec stupeur que contrairement aux femmes, les hommes sont en fait immortels. La mort n'est qu'un long sommeil, un passage obligé avant de renaitre dans un nouveau corps. Cette découverte sidérante ne fera qu'attiser encore plus la guerre des sexes, creuser le fossé entre les deux
sexes jusqu'à ce que les femmes, réduites à de simples reproductrices, désormais recluses entre elles, ne décident de se rebeller dans un monde au bord de l'apocalypse. Toujours aussi convaincant, Paolo est à la tête d'un petit groupe de résistants qui tente de réhabiliter la femme sur notre planète. Une fois de plus, le bel acteur juvénile, particulièrement sexy moulé dans ses chemises à motifs mouillées de transpiration et ses jeans blancs, laisse exploser son talent, cette précision, cette justesse de jeu qui font l'étoffe des futurs grands comédiens. Paolo allie beauté et professionnalisme tout en sachant cependant rester discret. Comme bien de ses confrères, il aurait pu devenir le nouveau
jeune espoir du cinéma transalpin, être un des princes du roman-photo, l'idole de toute une génération, machine à fantasmes pour bien des filles comme des garçons mais Paolo préfère se spécialiser dans un certain cinéma marginal
C'est ensuite le pornocrate américain Radley Metzger qui fait appel à ses services pour le fabuleux The lickerish quartet dans lequel il donne la réplique à Frank Wolff, Silvana Venturelli et Erika Romberg. Difficilement racontable, ce petit chef d'oeuvre de l'érotisme est un brillant exemple de ce cinéma subversif, sexuellement osé sans pour autant sombrer dans la pornographie, typique de ce début d'années 70. Toute l'intrigue de ce kaléidoscope, de ce miroir d'images tourne autour d'une citation de Pirandello, "La réalité d'aujourd'hui sera demain une illusion", à savoir distinguer le vrai du faux, la réalité de l'illusion, faire la
part des choses entre ce qui fut, ce qui est et ce qui sera tout en jetant un regard sur l'interprétation que chacun peut avoir. Paolo y joue avec conviction le fils de Frank Wolff et Erika Romberg, un jeune garçon, sorte de magicien de l'âme, détenteur d'une certaine innocence qui pourrait être le bateleur du jeu de Tarot. Une fois de plus somptueux, Paolo y apparait pour la première fois nu car si jusqu'à présent il nous avait offert dans ses précédents films quelques scènes de nudité dorsales fort appétissantes mais frustrantes, il nous gratifie cette fois d'une scène de nu frontal champêtre aussi audacieuse qu'étonnante ne cachant absolument plus rien de son intimité avant que Silvana Venturelli ne fasse son
initiation sexuelle lors de fabuleuses scènes d'amour tout aussi osées. De Paolo, contrairement à ses trois autres partenaires Metzger n'a que peu de souvenir. Il se souvient simplement qu'il lui fut imposé par les producteurs du film dont il était le chouchou. Il souligne son professionnalisme en toute circonstance et la difficulté qu'il eut à réciter ses dialogues, bien mal à l'aise avec la langue de Shakespeare dans laquelle fut tourné le film. La même année il intègre la troupe de Hair pour la version italienne de la célèbre comédie musicale aux cotés de la rockstar Renato Zero et Teo Teocoli.
En 1972, Paolo est à l'affiche d'une sympathique décamérotique, Quando le donne si chiamavano madonne, de Aldo Grimaldi dans laquelle il interprète un des deux amis de Jurgen Drews aux cotés de Carlo De Mejo, Edwige Fenech, Don Backy et Vittorio Caprioli. Enthousiaste, bout-en-train, de plus en séduisant au fil du temps, Paolo nous offrira une jolie d'amour fort sensuelle en fin de métrage. Puis ce n'est ni plus ni moins que le grand Ettore Scola qui en fait le principal protagoniste de son méconnu Trevico-Torino: viaggio nel Fiat-Nam, une satire sociale grinçante quasi documentaire sur les problèmes d'immigration imagés ici par Paolo, jeune méridional venu à Turin travailler chez Fiat. Ce film, tourné avec
de vrais activistes, le plus souvent en caméra cachée, connaitra bien des hauts et des bas en Italie. Du fait de son contenu hautement politique il sera boycotté et ne connaitra aucune distribution officielle. Pour ces raisons il devint assez vite un film culte qui marqua profondément Paolo et influencera beaucoup ses idées politiques par la suite tant il se reconnaissait dans la peau de son personnage.
On le retrouve ensuite à l'affiche de l'excellent polar mafieux de Vittorio Schiraldi, Baciamo le mani dans lequel, épatant, il donne la réplique haut la main au légendaire Arthur Kennedy. dont il joue le fils. L'année suivante, Paolo s'essaie alors à un genre auquel il n'avait pas encore touché, la comédie, en apparaissant malheureusement que dans la
première partie de Pain et Chocolat de Franco Brusati, une occasion pour lui d'endosser cette fois les habits d'un jeune maitre d'hôtel sous les ordres de Nino Manfredi. On le voit également aux cotés de Mimsy Farmer dans le sombre drame Morire a Roma / La vie en jeu. Enfin, en 1974, il est le temps d'une trop courte mais fort belle séquence Marcello, le petit ami de Sherry Buchanan dans le giallo de Massimo Dallamano, La polizia chiede aiuto / La lame infernale. Ce sera étrangement la dernière apparition de Paolo au grand écran qui désormais va consacrer sa carrière à la télévision en jouant dans une multitude de séries télévisées italiennes jusqu'à l'aube des années 80 notamment dans la célèbre série Orlando Furioso.
Pour le plus grand plaisir de ses nombreux admirateurs revient brièvement au cinéma en 1980 en acceptant un tout petit rôle dans Atsalut pader de Paolo Cavara pour qui il tournera également en 1988 Accade a Parma après avoir fait un passage tout aussi éclair chez Pupi Avati pour Aiutami a sognare en 1982 dans lequel il faudra avoir l'oeil pour le repérer.
Après plus de dix années de bons et loyaux services Paolo mettra alors un terme définitif à son métier de comédien sans pour autant quitter l'univers artistique. C'est dans une autre activité qu'il va en effet briller, le doublage. Il va devenir une des voix les plus connues d'Italie
(il fut la voix italienne de Dirk Benedict, Brad Dourif notamment, celle de nombreux dessins animés aussi) jusqu'à ce qu'il fonde sa propre maison de doublage. Il va alors travailler avec les plus grands noms du métier, les plus grands acteurs et devenir en Italie une véritable référence. Travailler dans le doublage et l'adaptation était pour Paolo une suite logique à sa carrière d'acteur. Il a pu y mettre tout ce qu'il avait appris en tant qu'acteur. Humble, Paolo ne s'est cependant jamais considéré comme une star. S'il n'a pas choisi de devenir acteur il n'en regrette pas pour autant cette décennie passée devant la caméra qu'il n'a jamais renié et dont il était fier. Paolo s'est malheureusement éteint le 1er mars 2022 à 74 ans laissant
derrière son épouse Daniela de Julio et sa fille, la journaliste Susanna Turco. Pour les 50 ans de Trevico-Torino: viaggio al Fiat-nam le Molise Film Festival rendit hommage à Paolo le 22 aout 2023 en programmant ce film dans une superbe version remasterisée en présence de sa famille.
Si on regrettera que le 7ème art n'ait pas mieux su reconnaitre le talent du jeune Paolo, l'acteur-étudiant, en lui offrant une carrière beaucoup plus riche, le fantasme n'est quant à lui fort heureusement pas prêt de s'éteindre tant son charme sut nous hypnotiser. Le rêve se poursuivra encore de longues années au travers de toutes ces petites perles dans lesquelles il a tant brillé.