Morire a Roma
Autres titres: La vie en jeu / La vita in gioco
Réal: Gianfranco Mingozzi
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 89mn
Acteurs: Giulio Brogi, Mimsy Farmer, William Berger, Paolo Turco, Enrico Osterman, Roberta Fiorentini, Daniele Gabbay, Filippo De Gara, Mario Garriba, Omero Capanna...
Résumé: Marco, un cinéaste en plein doute, et sa compagne, la passive Anna, prévoient de se suicider dans trois jours. Le couple a un ami commun, un étudiant-ouvrier activiste nommé Paolo qui est amoureux d'Anna. Fatigué par la passivité de la jeune femme il entame une relation homosexuelle avec un de ses anciens professeurs, un ancien membre du parti communiste, Andrea. Leur relation est un échec. Désespéré Andrea tente de s'immoler tandis que Marco avoue à Anna qu'il n'a jamais voulu se suicider. Ce n'était qu'un jeu. Lasse des échecs de son entourage Anna met cependant ce projet à exécution...
Après des débuts comme assistant réalisateur notamment auprès de Federico Fellini Gianfranco Mingozzi réalise son premier long métrage en 1967 un drame intitulé Trio. Dés lors il va alterner téléfilms, documentaires et films pour le grand écran dont Flavia la défroquée qui reste du moins chez nous le plus connu malgré une filmographie éclectique basée sur la réflexion souvent intéressante mais pas toujours évidente dans laquelle on retrouve régulièrement sa passion pour le documentaire historique et social (Fantasia ma non troppo per Violino, Le séquestré). Avec Morire a Roma réalisé en 1968 mais sorti
seulement cinq ans plus tard il s'essaie cette fois à un certain cinéma d'auteur.
Marco, metteur en scène pour le cinéma et la télévision est en couple avec Anna. Las de la société décadente dans laquelle il vit et l'impossibilité à changer les choses il l'a persuadé de se suicider avec lui d'ici trois jours. Le couple a un ami commun, le jeune Bruno, un étudiant-ouvrier qui croit en la révolution politique. Bruno est amoureux d'Anna mais fatigué par sa passivité due à son attachement à Marco il se laisse tenter par une expérience homosexuelle avec Andrea un de ses anciens professeurs de dessin épris depuis bien longtemps du jeune homme. Cette relation est un échec que Bruno avoue à Andrea qui
s'effondre. Désespéré il tente de s'immoler mais rate son suicide. Alors que dans les rues fascistes et forces de gauche s'affrontent Bruno reproche à Marco son indifférence qui malgré ses convictions ne participe pas aux affrontements et manifestations. Les choses s'enveniment entre Anna et Marco quant à leur projet de suicide. Il finit par lui révéler par téléphone que cette idée n'était qu'un jeu. Il n'a pas jamais voulu mourir. Anna n'a pas vraiment de réaction. Après avoir raccroché, seule chez elle, elle se donne la mort en ouvrant le gaz.
Lorsque Mingozzi parlait de La vie en jeu, projeté en avant-première au festival de Cannes
1973 mais sorti en salles en France qu'en avril 1975, il le définissait comme une sonate et c'est telle une sonate que le film est construit. Il débute par un prélude où Anna et Marco imaginent les différentes manières dont ils pourraient se donner la mort, pendaison, saut dans le vide, veines tranchées... Il se découpe ensuite en trois mouvements qui se veulent une peinture de la petite bourgeoisie intellectuelle italienne de cette fin d'années 60 alors en pleine effervescence politique et sociale. Les quatre principaux protagonistes, le couple Marco et Anna, leur jeune ami commun Bruno et le vieux professeur Andrea, sont en quelque sorte la représentation d'une génération et des actes qu'elle peut commettre. On pourrait
même dire que les trois personnages masculins, trois hommes en pleine dérive, sont en fait le seul et même homme à trois âges différents évoluant autour d'Anna. Andrea, homosexuel, ancien résistant et ex-membre du parti communiste est en pleine détresse, moralement torturé, égaré dans ses contradictions, inexorablement voué à la déchéance. Il est passé à coté de sa vie et lorsque poussé par le désespoir il veut se suicider pour mettre un terme à ce fiasco il rate là encore sa mort, sauvé in extremis par l'homme qui le draguait.
Marco est un intellectuel, un cinéaste brillant fortement engagé qui à travers ses reportages dénonce les vices de notre société et se sent obligé de se battre pour une cause politique.
Mais au fil du temps il se pose des questions, se sent inutile et doute de son métier auquel il ne croit plus. Il abandonne son combat politique et décide de jouer avec la vie (d'où son titre français), mettre sa vie en jeu et par la même celle de la douce Anna qui le suit passivement dans ses décisions y compris les plus négatives. Il joue avec la vie mais aussi avec la mort en imaginant et mettant en scène divers suicides pour trouver la mort parfaite. Reste à savoir quelle était la part de sincérité dans ces jeux. Marco voulait il vraiment mourir ou renonce t-il au suicide par lâcheté comme il a abandonné son combat politique? La question reste en suspend et ne trouvera aucune réponse.
Bruno, l'étudiant-ouvrier lucide, incarne la jeunesse révolutionnaire de cette fin de décennie, l'activiste qui refuse de renoncer à ses idéaux et son engagement politique, une jeunesse prête à briser certains tabous également comme accepter une relation homosexuelle secrète avec un homme qui pourrait être son père et qui fait son coming-out dans des WC publiques d'un sombre lieu de drague. C'est le visage de Bruno qui clôt le film, un plan fixe qui laisse supposer qu'il est peut-être l'espoir, l'avenir de notre société à moins que le jeune garçon ne soit jamais qu'un autre Marco, un autre Andrea d'ici quelques années. La réflexion est laissé libre au spectateur.
Au milieu de cet univers masculin il y a Anna qui absorbe, catalyse toute la misère de ces hommes dont elle n'est qu'une victime du moins peut-on la voir ainsi car finalement n'est-ce pas elle qui est au fond la plus forte? Elle seule a le courage d'aller au bout de ses convictions jusqu'à se donner la mort. On pourra interpréter de différentes manières son geste fatal mais au bout du compte n'est-ce pas là une sorte de délivrance face à un monde d'hommes incapable de prendre des décisions, de surmonter contradictions, peurs et faiblesses? Sa mort pourrait ainsi ouvrir une voie à Bruno censé être l'avenir de notre monde. Profondément blessé par cette disparition il va remettre en question ses idées
politiques, revoir ses positions pour se battre plus efficacement.
La vie en jeu est simplement l'histoire de quatre destins qui se croisent et vont évoluer ensemble, un film d'intérêt politico-social dans l'Italie très agitée de cette fin de décennie que certains jugeront peut-être un peu trop cérébral. Certes les thèmes sont riches et nombreux, les problèmes réels et douloureux mais aussi rigoureux, sincère et introspectif soit-il le film pourrait en ennuyer certains faute à Mingozzi de ne pas avoir créé une véritable atmosphère, de ne pas avoir donné plus d'épaisseur à ses protagonistes et un rythme plus marqué à l'ensemble. Pas forcément évident de s'intéresser à ces quatre personnages
dans ces conditions d'autant plus que les dialogues sont peu percutants, entre confessions intimes, divagations sur le suicide et regards lourds qui en disent long sur le chaos psychologique de ces égarés. Il manque peut-être à La vie en jeu ce petit quelque chose qui fait toute la différence, qui touche, qui émeut et débouche sur une vraie réflexion. Ici on reste un peu trop passif comme Anna finalement. Dommage car avec plus de force et de conviction, une réalisation plus vitaminée on tenait un excellent drame politico-existentiel. Cela n'empêche pas La vie en jeu d'être un bon film qu'il faut simplement prendre tel qu'il est ainsi qu'un témoignage d'une époque révolue, celle d'une Italie en pleine révolution. A
cela s'ajoute une belle mais discrète partition musicale signée Nicola Piovani, une jolie photographie hivernale qui appuie la tristesse de l'ensemble et un quatuor d'acteurs qu'il fait toujours bon retrouver même si cette fois ils ne parviennent pas vraiment à exprimer tout le potentiel de leur talent respectif. Mimsy Farmer fait du Mimsy Farmer, promenant un air triste et névrosé tout au long du métrage mais elle le fait tellement bien. Inexpressif Giulio Brogi est malheureusement peu convaincant (et convaincu) dans et par ses actes. William Berger, quasi pasolinien dans le rôle du vieux professeur gay, est parfait et offre de très
belles scènes notamment celle, tragique, où il s'immole dans des toilettes crasseuses sur les lieux de drague gay d'Ostia antica, sa touchante déclaration d'amour à Bruno et leur brutale rupture. Quant au jeune et si séduisant Paolo Turco, incarnation de la jeunesse révolutionnaire, découvert dans Un bel automne puis revu dans des oeuvres aussi diverses que marginales telles que La limite du péché, Equinozio, Trevico-Torino: un viaggio nel Fiatnam et surtout The lickerish quartet, son rôle n'est pas suffisamment dessiné pour fonctionner à fond.
En définitive La vie en jeu est loin d'être inintéressant mais de par ses imperfections il reste un film qui s'adresse surtout à un public limité, aux inconditionnels de ce type de cinéma et aux collectionneurs vu qu'il est encore à ce jour une oeuvre rare oubliée des distributeurs. Pouvoir le visionner reste difficile.