Pietro Martellanza: le destin brisé d'un séducteur
Ancien modèle il eut une courte période de gloire durant laquelle il fut une des figures récurrentes du western-spaghetti. Cette aura de succès aurait pu continuer de briller si le sort ne s'était pas acharné par deux fois sur lui. Il loupe en effet quasiment coup sur coup deux rôles qui auraient pu faire de lui une véritable star du cinéma italien des années 70 au profit d'un célèbre duo vedette, Terence Hill et Bud Spencer. Miné par ces échecs il va entamer une lente et très longue descente aux enfers qui auront malheureusement raison de sa santé et de sa carrière. Nous allons aujourd'hui retracer le parcours malheureux de ce séducteur au charme si viril, celui de Pietro Martellanza plus connu sous son nom d'artiste Peter Martell.
Né le 30 septembre 1930 à Bolzano le jeune Pietro ne laissait déjà personne indifférent. Sa blondeur, ses yeux bleus, son corps athlétique, son sourire et sa démarche virile ne passaient pas inaperçus dans sa ville natale où il aimait se promener en compagnie de ses amis. Il ne comptait plus les filles qui se retournaient sur son passage mais également les garçons qui rêvaient de lui ressembler. Sportif, Pietro était un play-boy et aimait jouer de cette image. Pas étonnant qu'il fut un temps modèle avant d'être marin. Rien au départ ne le prédestinait à faire du cinéma. Son entrée à Cinecitta c'est en tant que cascadeur qu'il la fit.
C'est tout naturellement qu'il fut ainsi remarqué par un producteur qui lui offre un tout petit rôle aux cotés de Toto dans Il commandante de Paolo Heusch en 1963. Pour se faire il décide d'américaniser son nom et se fait appeler Peter Martell, un pseudonyme qu'il gardera tout au long de sa carrière. Il décroche l'année suivante un autre tout petit rôle dans Crimine a due puis dans La violenza e l'amore. C'est en 1966 qu'il joue enfin un personnage un peu plus consistant, celui du commandant Dubrowski dans Il pianeta errante de Antonio Margheriti. Il y donne la réplique à Giacomo Rossi-Stuart. 1966 est aussi l'année où Pietro fait son entrée dans un univers auquel il restera longtemps associé, le western-spaghetti
alors en pleine explosion. Il apparait non crédité dans Arizona colt puis Mon nom est Pecos dans des rôles proche de la figuration avant de décrocher enfin en 1967 une place au soleil dans 2 croix pour un implacable de Rafael Merchent Romero où il joue pour la première fois le principal protagoniste puis Un doigt sur la gâchette de Puccini aux cotés cette fois de Peter Lee Lawrence. Il quitte le Far West pour le Moyen-Orient le temps de jouer dans deux sous James Bond à l'italienne. Tout d'abord Le cobra où il est un agent secret viril qui joue facilement du poing loin de l'image classieuse offerte par Sean Connery, Peter préfère en effet le jean moulant et le T-shirt crasseux au costume trois pièces, puis Come rubare un quintale di diamanti in Russia de Guido Malatesta. Pietro ou plutôt Peter revient ensuite au
western et voit surtout l'opportunité de décrocher le rôle de sa vie, celui qui lui permettrait de se faire définitivement un nom à Cinecitta. Il se voit en effet proposer d'incarner Cat Stevens avec pour partenaire Bud Spencer dans Dieu pardonne... moi pas de Giuseppe Colizzi. Malheureusement le destin va en décider autrement et commencer à s'acharner sur le pauvre Peter. A la veille du tournage sa fiancée de l'époque le surprend entrain de la tromper. Folle de rage elle se met à le frapper violemment. Pour éviter les coups Peter tente de s'enfuir mais il tombe et se brise la jambe. Il est remplacé au pied levé par Mario Girotti (Terence Hill). Le duo Hill-Spencer est né. Le film sera un énorme succès. Peter n'a plus
que ses yeux pour pleurer sa malchance. Une fois rétabli le séducteur éconduit va devoir se contenter de rôles dans des westerns souvent de second plan: l'anodin Lola colt, les plus intéressants Ringo le vengeur, Dieu les crée moi je les tue et Il lungo giorno del massacro. Il est également à l'affiche Il pistolero dell'Ave Maria de Baldi et Ringo ne devait pas mourir, deux bandes où cette fois il n'a que le second rôle. Entre deux westerns il trouve le temps de jouer dans le film de guerre Probabilité zéro de Lucidi et l'excellent Barbagia aux cotés de son rival Terence Hill qui l'année suivante va lui réserver une autre mauvaise surprise. En 1970 Enzo Barboni choisit Peter pour incarner Trinita dans On l'appelle Trinita. George
Eastman devait être son partenaire et jouer Bambino. Malheureusement pour Peter Terence Hill et Bud Spencer allèrent se vendre au réalisateur qui ne pouvait laisser passer la chance d'avoir les deux stars au générique de son film. Le pauvre Peter voyait pour la deuxième fois l'opportunité d'être enfin à son tour une star lui glisser entre les doigts. Ce fut peut être la fois de trop et l'acteur aura du mal à s'en remettre. Cantonné désormais dans des rôles de second plan dans des productions d'exploitation mineures Peter sombre lentement et cherche réconfort dans les drogues dures et l'alcool dont il devient lentement dépendant. A l'écran on le voit chez Jesus Franco (Le trône de feu), dans les westerns Ciakmull et Son nom est Pote (du toujours médiocre Demofilo Fidani), dans le giallo La mort caresse à minuit avec Nieves Navarro et totalement nu et hystérique dans les bras de Barbara Bouchet dans l'exubérant Casa d'appuntamento. Rongé par ses problèmes, ravagé par sa consommation d'alcool et de stupéfiants Peter est devenu persona non grata à Cinecitta. Les portes se ferment devant lui. Pour continuer à travailler il s'exile en Allemagne où entre 73 et 74 il tourne deux comédies pour Peter Steiner, Die Stoßburg, Laß jucken, Kumpel 3: Maloche, Bier und Bett et Liebesgrüße aus der Lederhose 2: Zwei Kumpel auf der Alm. En 1976 il fait encore une apparition dans Gli esecutori / L'exécuteur de Lucidi qui lui tend la
main en lui offrant ce petit rôle alors que l'acteur est au plus mal, détruit par la drogue. Son ami Giuliano Gemma vient à son tour à son aide en l'imposant aux producteurs de Les sorciers de l'ile aux singes qui acceptent sa présence au générique mais durant le tournage ils le logent dans un hangar au lieu de lui offrir l'hôtel comme pour le reste du casting. Ceux qui ont l'oeil remarqueront tout au long du film outre les traits tirés de Peter ses tics témoignant de son addiction à l'héroïne et au crack. Les sorciers de l'ile aux singes sera son ultime film.
De retour en Italie c'est pour Peter la descente aux enfers. Incapable de tourner, rejeté par Cinecitta il disparait alors durant quasiment vingt ans où il ne donnera plus aucun signe de vie. Et même s'il est au plus mal le sort continue encore de s'abattre sur lui. Il est en effet victime d'un accident et perd l'usage d'un oeil. Si son nom resurgit au début des années 90 ce n'est que pour des images d'archive rassemblées par Jesus Franco à l'occasion d'un court jamais édité à ce jour
Ce n'est seulement qu'au début des années 2000 que le nom de Peter redevenu Pietro refait surface. On retrouve en effet sa trace à Bolzano. Il vit seul dans un bus qu'il a emménagé. Il est parvenu à se sortir de ses addictions aux drogues mais c'est un homme à
la barbe blanche, vieilli, affaibli, abimé par tant d'années de souffrances qu'on découvre. En 2002 il fait un come-back peu glorieux devant les caméras en apparaissant dans le pathétique film d'horreur forain Dracula vs the killer barbys de Jesus Franco dans le rôle d'un faux Dracula. En 2004 il est au générique de Tears of Kali, un film fantastique allemand composé de trois segments. Peter apparait dans le troisième en exorciseur. En 2009 il rejoint le casting du film d'horreur allemand extrême, Melancholie der engel / La mélancolie des anges de Marian Dora, qui accumule les pires atrocités et dépravations. On l'aperçoit épisodiquement dans quelques courts-métrages vidéo. Il meurt le 1er février 2010 à 71 ans,
une mort dont on ne connait pas les causes puisqu'elles ne furent pas divulguées. Quelques temps avant sa mort Pietro avait donné une interview dans laquelle il disait qu'il était heureux et ne manquait de rien. Enfin heureux. S'il y a bel et bien quelque chose qu'on retiendra du parcours malheureux de Pietro ce sont ces mots, ceux d'un homme apaisé.
En 1997 un documentaire sur sa vie, sa carrière et les graves problèmes qu'il a rencontré après sa courte période de gloire, Starring Peter Martell, lui fut consacré et dans lequel témoignaient ceux qui l'avaient bien connu dont Maurizio Lucidi et Manolo Bolognini.
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