Ombre
Autres titres:
Réal: Giorgio Cavedon
Année: 1980
Origine: Italie
Genre: Fantastique
Durée: 94mn
Acteurs: Monica Guerritore, Lou Castel, Carlo Bagno, Laura Belli, Ugo Bologna, Elena Borgo, Riccardo Gavagna, Auretta Gay, Mita Medici, Antonio Guidi, Luca Torraca, Lorenzo Logli, Roberto Tiraboschi, Edy Langelillo...
Résumé: Renato un jeune peintre marginal aux tendances suicidaires rencontre Monica, elle aussi peintre, qui vit dans un grenier depuis qu'elle a fui son grand-père. Un jour elle peint un étrange tableau et s'aperçoit qu'il s'agit de son grand-père. Le vieil homme qui l'a tyrannisé durant son enfance semble la poursuivre même par delà la mort. Renato malgré sa relation avec Susanna tombe passionnément amoureux de Monica. Il ne vit plus que pour et à travers elle jusqu'au jour où Monica meurt. De ce jour Renato va vivre reclus dans le grenier où logeait Monica, hanté par les spectres et les ombres du passé sous le regard menaçant du portrait du grand-père...
Seule et unique réalisation du dessinateur de bandes dessinées pour adultes Giorgio Cavedon (on lui doit Isabella, le premier fumetto érotique italien qui fut adapté au cinéma sous le titre Isabella duchesse du diable) Ombre connut un bien triste sort puisque ce fut un échec retentissant en Italie. Le film fut retiré de l'affiche au bout d'une toute petite semaine d'exploitation (il ne fit que 565 spectateurs) avant de disparaitre des écrans radar durant de longues années. Si sa paternité fut longtemps accréditée à Mario Caiano dont c'aurait été l'ultime mise en scène c'est bel et bien Cavedon qui le dirigea comme le confirma Lou Castel lors d'interviews.
Un homme court à travers un immense champ de maïs. Il tente de se suicider mais il n'en trouve pas la force. Il s'agit de Renato, un jeune artiste peintre marginal, incompris. Quelques temps plus tôt il avait fait la connaissance de Monica, elle aussi peintre. Monica avait fui son grand-père, un très étrange homme despote passionné d'oiseaux chez qui elle vivait après que sa mère soi-disant folle soit partie. Le vieil homme voulait contrôler sa vie et par le biais d'un jeu de tarot cherchait à faire revivre sa fille à travers Monica. Ne pouvant plus le supporter elle a fui et trouvé refuge à Milan. Elle loue une mansarde au dernier étage d'un vieil immeuble dont la petite-fille de la gardienne s'appelle elle aussi Monica. La mansarde
était habitée par un vieux peintre qui est mort laissant son chat Raspoutine aux bons soins de la fillette. Personne ne lui a dit que le vieil homme, un peintre, était décédé. Elle le croit en voyage. La jeune peintre semble avoir des dons visionnaires. Très vite la mansarde la trouble, l'inquiète. Elle noue une relation étrange avec le vieux chat d'habitude féroce. Un jour elle se met à dessiner un portrait. Elle réalise qu'elle a peint son grand-père. Ce tableau l'obsède comme l'obsède son grand-père qui semble vouloir la hanter par delà la mort. Il est décédé et l'homme qui habitait la mansarde n'était autre que lui. Même s'il est fiancé à
Susanna, la fille du galeriste pour qui il peint, Renato est fou amoureux de Monica. Elle est devenue sa seule raison de vivre. Monica tombe malade. On lui diagnostique une leucémie. Sur son lit Monica est en proie à d'horribles visions de son grand-père. Elle meurt. Renato ne s'en remet pas. Il quitte Susanna pourtant enceinte de lui et part vivre dans la mansarde, obsédée par Monica dont il essaie de peindre le portrait. A sa mort la jeune femme lui a légué le tableau représentant son grand-père. Susanna le vend aux enchères pour quelques millions de dollars. Incapable de peindre, à court d'inspiration, Renato vit en reclus dans la mansarde ne souhaitant plus qu'une chose: devenir Monica. Lorsque Susanna
accouche son père veut prévenir Renato que plus personne n'a vu depuis longtemps. Le jeune homme est mort empoisonné par de la mort-aux-rats injecté dans son plateau repas par la petite fille de la gardienne qui le haïssait.
Pour son unique film dont il est également scénariste Cavedon signe une oeuvre difficile, tourmentée, dépressive sur l'amour fou dans le sens le plus pathologique du terme. Thriller atmosphérique Ombre est un film étrange assez difficile à résumer. Si le générique d'ouverture défile sur un jeu de tarot qui revient régulièrement dans le film ce n'est peut être pas anodin. Chacun pourra interpréter Ombre comme il le comprend, le ressent comme on peut justement lire dans un tarot. Difficile en effet de parfois décrypter ce film où ne cessent de se mêler et entremêler passé et présent, rêve (ou visions) et réalité d'autant plus que Cavedon ne donne pas nécessairement toutes les clés. On a ainsi un jeune homme dépressif, un peintre marginal qui a perdu foi en l'humanité, en couple avec une fille enceinte de leur premier enfant mais qui cependant tombe follement amoureux de Monica jusqu'à ce qu'elle devienne pour lui une véritable obsession. De l'autre on a justement Monica, une jeune femme visionnaire au passé particulièrement compliqué. Sa mère est partie lorsqu'elle était enfant. Elle a été élevée par un grand-père étrange, tyrannique, qui l'a lentement détruite. Elle a fini par fuir mais l'homme semble toujours être présent. Il la hante.
La route de ces deux êtres tourmentés va se croiser et vont finir par ne plus faire plus qu'un. Entre eux le vieil homme du moins son portrait, son souvenir, son fantôme, son obsession maladive pour Monica et la femme qu'il a perdu. Ce sont les fameuses ombres du titre, celles du passé, de ses spectre. Et il y a cette enfant inquiétante qui porte le même prénom que la jeune peintre et semble être un lien entre le passé et le présent.
Avec tous ces éléments Cavedon donne vie à une oeuvre torturée, pas forcément évidente où psychanalyse, parapsychologie, fantastique se noient dans une intrigue souvent obscure où la clé de tous les maux et mystères semble se trouver quelque part dans le passé
de l'héroïne. Cavedon s'essaie au film à prétention auteuriale, l'intention est louable mais peut être trop ambitieuse pour un novice dont c'est le tout premier film. Il ne maitrise totalement pas son scénario déjà bien alambiqué au départ et se perd dans les méandres de la folie de ses deux protagonistes. Par la même il perd son spectateur pour le peu qu'il décroche ou ne s'immerge pas entièrement dans cette histoire finalement tragique. Et ce n'est ni le suspens ni les rebondissements qui risquent de le ramener dans le film puisqu'il ne se passe quasiment rien durant 90 minutes. Ombre n'est pas un film d'horreur, c'est avant tout un film atmosphérique lent, très lent qui se veut oppressant, morbide. Il y parvient
mais l'ensemble est maladroit, déséquilibré, parfois ridicule.
Malgré ses défauts, sa lenteur, l'unique réalisation de Cavedon reste un film par bien des points fascinant, envoutant, étrange. Sa grande force réside avant tout dans son imagerie aux limbes du fantastique, ses images surréalistes, inquiétantes, oniriques, qui ponctuent régulièrement la pellicule. Comment oublier l'affreux portrait du grand-père, vieillard au regard menaçant, cruel qui tel l'oeil de Caïn semble suivre les protagonistes telle une malédiction? Comment ne pas être terrifié par la vision du vieil homme ectoplasmique courant dans la nuit et celle où lui et Monica semblent fusionner? Comment ne pas citer la
beauté de certaines scènes (les statues dans le parc vide, le papillon pris au piège dans la toile d'araignée, la beauté presque irréelle de Monica lors de certains flashes-back, les flous dont use et abuse Cavedon), certaines trouvailles (Monica jouant à la marelle sur une immense carte de tarot, l'omniprésence du vieux chat) et certaines séquences culte comme l'inoubliable danse totalement hystérique de Renato dont l'expression faciale reste à ce jour inégalée. Là où cette scène aurait pu être être franchement ridicule Lou Castel en fait quelque chose d'aussi grotesque qu'unique. Ombre a l'odeur de la solitude, de la réclusion, de la mort, elle aussi omniprésente. Des décors naturels de fin d'automne au vieux grenier
où le temps semble s'être arrêté, des décors figés aux statues du parc désert à la grisaille de Milan sans oublier l'agonie de Renato le chat sur son torse, les cartes de tarot qui pointent sans cesse vers la fatalité et les lieux abandonnés toute vie semble disparaitre ou avoir disparue emprisonnant encore plus Renato dans sa folie dépressive. Les rares moments où le soleil brillent, où la lumière irradie sont ceux où Monica et Renato sont ensemble et s'aiment.
L'autre atout du film est sa magnifique photographie qui appuie l'aspect étrange et suranné de l'ensemble. Cavedon privilégie les tons jaunes, dorés, sépia, les couleurs du passé et
de la décrépitude, de l'automne, et les teintes rouges et orangées le plus souvent sur fond noir mettant ainsi en valeur les décors notamment cette mansarde remplie par les fantômes d'un lourd passé et de douloureux secrets. Ombre est d'une beauté visuelle indéniable, par instant hypnotique.
Quant à l'interprétation elle doit beaucoup à Lou Castel, taciturne, suicidaire, monocorde dans le rôle de Renato. C'est également lui qui durant tout le film narre sous forme de monologues pseudo philosophiques ses états d'âme d'une voix monotone, éteinte. A ses cotés la star de l'érotisme italien des années 80, Monica Guerritore, est Monica. Pour une
fois sobre, diaphane, fragile, elle prouve qu'elle peut faire autre chose que de se déshabiller. On oubliera juste son horrible coupe de cheveux façon Mimi, droite sortie des années 30. Autour d'eux Laura Belli (La rançon de la peur, Le grand kidnapping) dont ce sera l'ultime film interprète Susanna. Egalement au générique la danseuse professionnelle trop tôt disparue Auretta Gay qui l'année précédente avait été une des protagonistes de L'enfer des zombis.
Semi-réussite ou demi échec, profondément ennuyant ou étrangement fascinant Ombre
reste quoiqu'il en soit une oeuvre déroutante, un peu à part dans la production italienne de ce début d'années 80 qui voyait lentement agoniser le cinéma de genre. S'il pourra laisser indifférent un certain public qui ne verra en lui qu'un long somnifère le film de Giorgio Cavedon fait pourtant partie de ces pellicules qui se bonifient au fil du temps. Il faut plusieurs visionnages pour réellement découvrir et apprécier Ombre qu'on prendra alors de plus en plus plaisir à voir et revoir. Ne restera plus qu'à se laisser envouter et transporter jusqu'au bout de cette fable crépusculaire.