David D'Ingeo: Chroniques inattendues d'un jeune charmeur
Avec ses airs de gros bébé boudeur, sa lourde mèche couleur miel et ses yeux azur il fut la jeune coqueluche du cinéma érotique italien de la fin des années 80 jusqu'à la fin des années 90. Après avoir étalé ses charmes durant près d'une décennie pour notre plus grand plaisir le bel Apollon changea radicalement de cap et s'orienta vers un cinéma plus sérieux, plus auteurisant tout en cultivant en parallèle sa passion pour l'Art. Si le grand public l'a découvert il y a seulement quelques petites années à Cannes où il présentait l'oeuvre de sa vie, saluant le talent de cet inconnu, bien peu ont du faire le rapprochement avec l'ex-éphèbe de l'érotisme à l'italienne. Nous allons nous conter aujourd'hui le parcours d'un blondinet nommé David D'Ingeo.
Fils d'un père italien et d'une mère française David voit le jour à Lyon en 1968. S'il grandit à Villeurbanne il quitte très jeune la France pour définitivement s'installer en Italie où il fait ses études. Alors qu'il prépare une école d'Arts le jeune David est repéré lors d'un casting sauvage. Nous sommes en 1988. David a tout juste 20 ans et fait ainsi son entrée par la petite porte dans le monde du 7ème part. Il apparait brièvement dans la toute première pellicule de Fulvio Wetzl, Rorret, un film d'horreur dans lequel il joue un violeur le temps d'un caméo de quelques secondes. L'année suivante il fait une apparition un peu plus longue cette fois dans le médiocre et tardif giallo de Stelvio Massi Arabella angelo nero où il
interprète le prostitué très looké Pierre et Gilles que se paie Tina Cansino. Des débuts très timides qui pourtant dés l'année suivante vont lui permettre de se faire sa place au soleil dans l'univers du softcore.
Avec ses cheveux mi-longs pas encore décolorés, ses yeux bleus, sa sempiternelle moue à la Mick Jagger, son physique encore poupin David ne pouvait laisser producteurs et réalisateurs indifférents. Dés 1989 il va tourner toute une série de films érotiques dont il sera très souvent le principal protagoniste masculin. Il devient le partenaire régulier de la future star de la pornographie extrême Valentine Demy, pas encore siliconée mais déjà fort
dévergondée avec qui il aura certaines des séquences de sexe les plus intenses de sa carrière. Il est ainsi à l'affiche du thriller érotique Hard car, desiderio sfrenato del desiderio de Giovanni Amadei, son premier film avec Valentine avec qui il partage également l'affiche avec Alex Freyberger. On retrouve ce trio cette même année dans Casa di piacere de Bruno Gaburro, un érotique classieux où une putain de luxe (Valentine) revit les fantasmes sexuels de son passé via un canapé en velours rouge. En 1990 il tourne trois autres films coquins. C'est tout d'abord Nini Grassia qui le débauche dans Sensazioni d'amore dans lequel il a des scènes de sexe très suggestives avec Federica Farnese dans la maison du couple
lubrique qui l'héberge, son docteur et son épouse (une Marisa Mell forcie et bouffie au crépuscule de sa carrière). David, désormais blond, retrouve ensuite Valentine Demy pour le très beau et sensuel Sapore di donna de Mario Gariazzo puis pour le ridicule Malizia oggi d'un Sergio Bergonzelli pré-retraité à cours d'imagination qui pensait donner à sa façon une suite au film de Salvatore Samperi. Un ratage grotesque. Le couple se reforme une dernière fois pour Maitresse de Corrado Colombo. En 1992 c'est maintenant entre les jambes de Sonia Topazo qu'il se perd pour Ultimi fuochi d'estate de Mario Gariazzo avant un break de quelques années durant lequel il part pour Los Angeles étudier le cinéma et prendre des cours de récitation.
Totalement métamorphosé, plus séduisant que jamais, il refait surface en 1997 avec un look désormais à la Freddie Mercury, cheveux noirs courts et petite moustache. Il tient aux cotés de Cinzia Roccaforte le premier rôle masculin dans le thriller érotique dont il est également scénariste La iena de Joe D'Amato. Il enchaine toujours sous la direction de D'Amato avec l'anodin et soporifique Top girl, une production vidéo pseudo destinée aux chaines du câble. Ce sera pour David son ultime film érotique.
A bientôt trente ans l'ex-divo du film coquin transalpin décide de se rhabiller (à notre grande déception même si on aura pu l'admirer sous toutes les coutures durant presque dix belles
années) et de donner une autre orientation à sa carrière. Fort de son expérience américaine il va entamer une carrière d'acteur bien plus marginale cette fois. Il est à l'affiche du Fantôme de l'opéra de Dario Argento puis tourne deux ans plus tard, en 2000, avec la fille du réalisateur, Asia, Scarlet diva où il interprète un truand généreusement tatoué. La même année il est au générique de Une affaire de goût de Bernard Rapp aux cotés de Bernard Giraudeau et l'ex-star du cinéma avant-gardiste Jean-Pierre Léaud. En 2001 il tient le rôle principal de Diapason un drame de Antonio Domenici qui en fait est le premier film italien à avoir été réalisé selon les règles établies par Lars Von Trier pour son projet Dogma. Gros
succès en Italie le film met enfin en lumière les talents de comédien de David. Ce sera pourtant son ultime film, David va en effet mettre un frein sa carrière d'acteur et disparaitre durant presque dix longues années. S'il se tient éloigner des caméras et des plateaux David n'en est pas pour autant inactif. Il revient à ses premières amour, la peinture et la photographie. Il quitte l'Italie pour s'installer à Paris. Entre 2004 et 2009 il ouvre une galerie à Montmartre, "l'American glass" et expose régulièrement ses oeuvres de Paris à Berlin. En 2017 c'est à Bordeaux qu'il expose ses toiles. Parallèlement à ses activités d'artiste-peintre David travaille en tant que photographe de mode pour les magazines "Grey" et "Under the influence".
En 2012 David renoue avec le 7ème art grâce à son ami réalisateur Nathan Nicholovitch pour qui il tourne l'intimiste Casa nostra. David apparait également dans quelques courts-métrages jusqu'en 2015, année où avec Nicholovitch David s'embarque dans un projet de film assez fou dont ils ont écrit eux mêmes le scénario, Avant l'aurore (connu aussi sous le titre De l'ombre il y a), l'histoire d'un travesti français qui se prostitue à Phnom Pehn jusqu'au jour où entre dans sa vie une petite fille qui va chambouler son destin. Les deux hommes partent à Pnohm Pehn durant une année complète afin de s'immerger, s'imprégner du quotidien de la population, de sa misère et créer le personnage de Mirinda, le travesti que
jouera David. Présenté à Cannes en 2015 le film sera un succès tant public que critique, chacun louant la performance étonnante de David dans la peau de Mirinda. Ou comment avoir attendu presque trente ans pour que le nom de David sorte enfin de l'ombre. Entre le bel éphèbe boudeur aux rondeurs poupines excitant la libido de starlettes érotiques aux brushing made in 90s et ce quinquagénaire filiforme, aux traits creusés, le corps noueux, le crâne rasé, il semble s'être écoulés des siècles mais il s'agit bel et bien de David. Depuis ce film, multi-récompensé, l'ex-petit protégé des producteurs de coquineries transalpines a
joué dans un petit film d'horreur transalpin, Dark waves de Domiziano Cristofaro, a tourné dans un court-métrage, Anglers de Yoann Garrel et a retrouvé Nathan Nicholovitch en 2020 pour Les graines que l'on sème.
Serein, très calme, presque timide lors des interviews, loin de l'image de l'insatiable éphèbe que le cinéma érotique italien renvoya de lui David a depuis retrouvé ses pinceaux. Il est la preuve vivante qu'avoir été autrefois, dans une autre vie, un des jeunes divos de l'érotisme n'empêche ni le talent ni la réussite professionnelle quelque soit l'orientation qu'on a choisi. Chapeau bas Mr David.