Enfants du vice ou de la vertu: Massimo Deda contre Karin Trentephol
Le cinéma italien a très régulièrement utilisé la sexualité enfantine et adolescente comme sujet de prédilection, offrant au public des oeuvres souvent sulfureuses comme il s'est souvent fait plaisir en tournant des mélodrames à l'eau de rose afin de toucher la corde sensible du spectateur. L'Italie a ainsi eu ses enfants stars, aussi éphémères furent ils, ses jolies têtes blondes tant vénéneuses qu'angéliques. C'est à deux d'entre eux que le Maniaco va s'intéresser aujourd'hui, deux antagonismes qui à leur manière marquèrent l'univers du cinéma de genre. Il fut l'émouvant petit gavroche napolitain, elle fut l'incarnation de la perversion, une vraie météorite, une inoubliable lolita noire. Mettons sans plus tarder en lumière l'éternelle lutte du vice et de la vertu avec d'un coté le jeune Massimo Deda, de l'autre la petite Karin Trentephol.
Fils de l'acteur générique Mario Deda Massimo, véritable petit napolitain, débute sa carrière en 1976, à tout juste 12 ans, sous la houlette de Umberto Lenzi qui lui offre le rôle de Gennarino, le gamin des rues édenté et roublard qui symbolise toute la misère de Naples, dans Napoli violenta / Opération casseurs. Figure folklorique du film le personnage de Gennarino personnifie en fait la volonté de survie d'une jeunesse qui grandit dans la pauvreté et la violence mais qui cherche cependant à s'en sortir. Fils d'un garagiste tué par la mafia Gennarino est désormais orphelin. Il se prend d'amitié pour le commissaire Betti interprété
par le toujours aussi impassible Maurizio Merli qui à travers cet enfant boiteux trouve un peu d'humanité. Proche des jolies têtes blondes des lacrima movies, ces drames typiquement italiens qui ont pour but de titiller les glandes lacrymales du spectateur, Gennarino pourra apparaitre aux yeux du public souvent irritant.
Ce rôle va définitivement marquer la courte carrière de Massimo qui ne fera que le reprendre dans les films qu'il interprétera par la suite. On le retrouve ainsi l'année suivante, en 1977, au générique de Napoli spara /Assaut sur la ville de Mario Caiano injustement considéré comme la suite du film de Lenzi. Massimo y incarne plus que jamais ce désir de survie en
inventant mille petits boulots pas tous très légaux mais mafioso on le devient très tôt sous entend ici Caiano. Si Massimo n'a guère grandi mais a maintenant toutes ses dents il est par contre encore plus insupportable que dans l'opus de Lenzi. Certes a présence dédramatise les faits, donne une note d'humour das un contexte ultra violent mais ses bêtises propre à l'enfance particulièrement idiotes rendent une intrigue déjà peu crédible à la base parfaitement invraisemblable. Dans ces deux premiers films Massimo jouait aux cotés de son père Mario.
Si Caiano se permet l'impensable en tuant Gennarino en fin de bande cette mort ne mettra
cependant pas fin au personnage. Toujours en 1977 Massimo apparait dans un nouveau drame mafieux napolitain signé cette fois Tiziano Longo Onore e guapparia dans lequel il interprète Paolo, le fils du mafioso Don Gennaro (coïncidence?) joué par le comédien chanteur Pino Mauro. Massimo qui parallèlement à ses activités d'acteur continue studieusement sa scolarité fait alors un break de trois années. Il réapparait en 1980 dans un ultime film à mi chemin entre le polar napolitain et le mélodrame, La pagella, de Nini Grassia. Massimo s'est entre temps transformé en adolescent grassouillet mais il fait revivre pour la dernière fois Gennarino, le fils modèle et aimant d'un honnête petit citoyen joué par le
chanteur Mario Trevi qui pour le récompenser de sa réussite aux examens de fin d'année lui offre une montre en or. Alors qu'ils sont chez le bijoutier une bande de gangsters tue Gennarino lors d'un hold-up. Son père fera tout pour venger la mort de son fils adoré. Dégoulinant de bons sentiments La pagella, un des derniers films de Marc Porel, marquera le clap de fin du bref parcours cinématographique de Massimo alors âgé de 15 ans, l'éternel petit gavroche transalpin.
Acteur studieux Massimo à la lecture des quelques interviews de ceux qui l'ont côtoyé était un enfant très à l'écoute des metteurs en scène, toujours fort investi dans ses rôles. Il prenait au
sérieux ce qu'on lui demandait de jouer n'ayant jamais peur de donner son avis. Mario Trevi en garde un excellent souvenir et tout deux sont restés par la suite très proches.
Massimo a par la suite terminé sa scolarité puis il est parti faire son service militaire. Ses obligations terminées il s'est marié, a eu plusieurs fils mais il a surtout tourné définitivement la page sur sa carrière au cinéma qui ne fut qu'un court passage dans sa vie. Il vit toujours à Naples dans le plus parfait anonymat mais pour l'amateur de genre Massimo restera à jamais Gennarino le petit napolitain, l'innocence au coeur tendre.
Il en va bien différemment pour la petite Karin Trentephol qui si elle marqua l'histoire du cinéma de genre ce sont pour des raisons bien plus licencieuses puisque la jeune comédienne fut au coeur d'un véritable scandale lorsqu'en 1978 sortit en Italie son seul et unique film le si joliment intitulé L'immoralità signé Massimo Pirri. Karin y interprétait Simona, une fillette de 12 ans qui allait entamer une relation interdite avec un dangereux maniaque pédophile recherché par la police qu'elle cache dans une dépendance de sa maison de campagne. Fascinée par cet homme à qui elle demande de lui faire un enfant,
symbole d'une liberté dont elle rêve tant, prisonnière d'une vie qui lentement l'étouffe, elle finira par s'offrir à lui, entièrement nue, allongée sur le carrelage de la salle de bains. L'homme s'exécute et lui fait l'amour lors d'une séquence aujourd'hui totalement impensable, particulièrement morbide, pour beaucoup dérangeante, d'une audace rarement atteinte à l'écran d'autant plus que Karin avait l'âge de son personnage.
Les exemples de films traitant de la sexualité avec des enfants et de la sexualité adolescente sont légion puisque ce furent deux thèmes privilégiés du cinéma italien des années 70. Avec des titres tels que Nenè, La bambina et surtout La maladolescenza, véritable apothéose
avec laquelle le genre atteignait son point de non retour, L'immoralità fait partie des oeuvres les plus dérangeantes jamais réalisées.
A travers Simona, le personnage qu'incarne Karin, Pirri balaie d'un puissant revers de bras toute la pureté de l'enfance au profit d'une sidérante perversion dans un contexte parfaitement compréhensible. Simona se révèle diabolique, ange noir né d'un père impotent, impuissant, à l'article de la mort et d'une mère haineuse, frustrée, jalouse, inhumaine que la puberté de sa fille transforme en ennemie. Et c'est sous l'aile protectrice d'un psychopathe pédophile dont l'enfant tombe amoureuse qu'elle trouve refuge jusqu'à lui offrir sa virginité
Mais qui était donc Karin Trentephol? Véritable anti thèse d'Eva Ionesco, ravissante petite poupée de chair blonde propre à tous les fantasmes, adulte involontairement égarée dans un corps d'enfant, provocante, obscène, troublante Karin, brune, la coupe au bol, l'air grave, taciturne, aussi sombre que le film qui fit d'elle une star d'un jour, était d'origine autrichienne. C'est à peu près tout ce qu'on sait sur cette diabolique petite lolita qui une fois habillée, maquillée se mue en fascinante femme-enfant, hormis le fait qu'elle avait 13 ans lors du tournage et qu'elle disparut aussitôt le film terminé pour ne plus jamais réapparaitre. Karin reste d'autant plus une énigme qu'il n'existe quasiment aucun document d'époque sur
L'immoralità encore moins d'interviews de Pirri prématurément disparu en 2001. Le film fut un échec à sa sortie et disparut très vite à son tour pour ne resurgir qu'au début des années 2000 sous forme de galette numérique. Ainsi la brune petite s'évapora avec son mystère.
Il faut cependant préciser une chose. Contrairement à La maladolescenza qui se complaisait non seulement à filmer ses adolescents nus mais offrait surtout à Eva Ionesco, alors poussée par sa mère Irina, à tourner de véritables scènes de sexe sans artifice ni pudeur avec son partenaire, le jeune Martin Loeb, Pirri s'il filme la nudité de Karin reste cependant pudique. Hormis le plan où elle sort nue de la baignoire, pour se donner à
Howard Ross il y a toujours un élément du décor qui cache ce qu'il y a à cacher. Quant à la fameuse scène d'amour elle ne fut pas tournée par Karin mais par une doublure qu'on remarque aisément, un détail qui ne change en rien l'aspect particulièrement malsain de la séquence ni l'avis que peuvent avoir sur ce film ses détracteurs.
Au vu du jeu particulièrement convaincant, toujours très juste de Karin, devant sa performance face au professionnalisme de Lisa Gastoni qui trouve là un de ses rôles les plus odieux, méprisables, vu la difficulté du personnage que la jeune autrichienne doit interpréter, il est réellement dommage qu'elle n'ait pas continué dans ce métier.
Si Karin Trentephol demeure avec Eva Ionesco une des lolitas les plus perverses et sulfureuses que le cinéma de genre italien ait connu elle est avant tout une de ces comètes surgies de nulle part, une météorite particulièrement ambigüe dont on retiendra l'aspect pervers et diabolique aussi noir que ce film de nos jours impensable, inclassable, un magnifique exemple à l'instar de La maladolescenza de ce cinéma italien secret.