L'immoralità
Autres titres: Cock crows at eleven
Année: 1978
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 105mn
Acteurs: Lisa Gastoni, Howard Ross, Karin Trentephol, Mel Ferrer, Wolfgang Soldati, Andrea Franchetti, Angela Luce, Franco Ferri, Ida Meda, Deborah Lupo...
Résumé: Maniaque sexuel, Federico est blessé par la police. Il se réfugie chez Simona, une fillette de onze ans qui vit avec son père paralytique et une mère indigne, alcoolique et nymphomane. Simona est seule dans son univers où elle n'a comme pour seuls amis une tortue et ses oiseaux. Fasciné par la fillette, Federico qui à sa façon a toujours refusé le monde des adultes va se rapprocher d'elle. Elle en prend soin, le soigne et lentement une étrange relation va naitre entre eux dans ce monde exalté par la haine, le désespoir et la déchéance humaine...
La scène d'ouverture donne le ton: un homme, Federico, enterre une fillette dans un terrain vague. Dès les premières images émane quelque chose d'insidieux et de particulièrement malsain. Un étrange sentiment de malaise saisit le spectateur à la gorge à la vision de ce film que l'Italie qualifia jadis d'obscène. La sortie de L'immoralità provoqua un véritable tollé, hué par la critique et un public qui le bouda. Le film disparut très rapidement, oublié de tous. Ce n'est que récemment qu'il fut réhabilité puis acclamé avant de devenir une sorte d'oeuvre culte du teensploitation italien par le biais du DVD qui a été édité au début des années 2000.
Spécialiste d'un certain cinéma d'exploitation souvent dérangeant, Massimo Pirri signe là une oeuvre forte, troublante mais surtout effroyablement intelligente, désespérée, maladive presque morbide.
Simona est une petite fille solitaire dont l'unique passion sont les tortues et les oiseaux. Ces animaux la symbolisent. Elle porte la carapace de la tortue pour se protéger du monde extérieur, elle est comme un petit oiseau fragile et sauvage enfermé dans une cage, celle de l'univers qu'elle s'est crée, à l'image même des oiseaux qu'elle élève dans l'immense volière du jardin familial.
Le jour où elle recueille en cachette Federico, tueur psychopathe pédophile blessé lors de sa fuite, c'est pour elle comme une révélation, une sorte de coup de foudre. Une relation aussi forte qu'ambigüe va lentement s'instaurer entre eux. Federico est un oiseau blessé qu'elle veut sauver et à qui elle donnera le peu d'amour qui lui reste dans le coeur.
De son coté, elle fascine cet homme qui devra lutter dans un premier temps contre ses terribles démons intérieurs avant d'adopter la fillette comme un animal s'éprend de son sauveur.
Simona représente ce qu'il aurait toujours aimé être. S'il tue les enfants c'est pour éviter qu'ils ne deviennent adultes, s'il les viole c'est pour se donner l'impression qu'il est resté enfant. C'est là un effroyable jeu de transgression. Federico a conscience du désespoir et de l'immense vide qu'est la vie de Simona d'où cet amour qui va lentement naître entre eux.
La vie de Simona, c'est d'une part un père paralytique cloué dans un fauteuil roulant avec qui elle ne peut rien faire ni partager. Il est tel un zombi qui regarde à longueur de journée passer le temps sur les horloges qui décorent le salon. C'est d'autre une mère ignoble, monstresse alcoolique, putain bourgeoise et nymphomane qui hait ce mari qui la répugne et cette fille qui lui rappelle son passé. Elle n'attend plus que la mort de ce mari inutile afin d'hériter de sa fortune et pouvoir enfin fuir et se sentir vivre. Elle est elle aussi à sa façon un oiseau encagé qui attend le jour où il s'enfuira de sa prison pour s'envoler vers cette liberté salvatrice tant désirée. Elle pourra ainsi s'extirper de cette abîme qu'est devenue sa vie, croupissant dans une routine insupportable.
Liberté est le mot clé du film. Il est comme une bouffée d'oxygène qu'un noyé tenterait désespérément de chercher à la surface de l'eau. Simona, enfant déjà trop adulte et sans avenir, vit seule, retranchée dans cette noirceur.
Peu de film ont dépeint de façon si intense le désespoir, le néant d'une vie. L'aura de la mort se cache derrière ces semblants d'existence. Chaque mot, chaque geste, chaque regard est ici comme un couteau qui s'enfonce un peu plus chaque jour dans l'âme des protagonistes les tuant lentement en une longue agonie.
Les personnages de Pirri sont odieux et pitoyables, des parents de Simona au commissaire vicieux dont le plaisir est d'aller là où est "la merde pour mieux la retourner" et ces citoyens fascistes et hystériques.
Tous plus abjects les uns que les autres, le maniaque fait soudain figure d'ange. Il est peut être le plus pur, le plus sain d'entre eux. Il refuse de devenir comme tous ces gens comme il refuse ce monde d'adultes. La relation contre-nature qu'il entretient avec Simona part d'un amour pur et profond. Il est le père, l'ami, le confident mais aussi l'amant.
L'immoralità nous offre une scène impensable de nos jours lorsque Simona s'offre à Federico dans la salle de bain. Dérangeante certes même si le réalisateur a eu recours à une doublure elle reste une superbe et émouvante séquence qui aurait pu être particulièrement scabreuse et choquante mais qui sous l'objectif de Pirri devient un moment d'une infinie tendresse, jamais complaisant ni voyeuriste.
En découvrant l'existence de Federico, la mère volage le volera à sa fille et, narquoise, se donnera à lui sous ses yeux attisant la haine qui les lie. Pirri a réussi le tour de force d'imager à la perfection et avec une force remarquable l'exaltation du mépris, de la haine et de l'humiliation. La vie a fait de tous ces êtres des personnages monstrueux, abjects, une monstruosité qui atteint des sommets de cruauté lorsque cette épouse fera tomber de sa chaise roulante son mari afin de le voir ramper alors qu'il hurle qu'il n'est pas prêt de mourir et par conséquent de léguer sa fortune.
Odieuse, elle demandera alors à Federico de tuer ce mari impotent, de supprimer cet obstacle à sa liberté. Un enfant ou un homme quelle différence, tuer c'est tuer. Froide, sans pitié, prête à toutes les bassesses, ouverte à tous les vices, elle est l'être le plus pitoyable qu'on puisse imaginer, rongée, dévorée par le désespoir.
Dés lors, Simona n'a plus rien. On lui a tout pris et le suicide de son père la poussera au drame inexorable. Elle tuera de sang froid le commissaire venu "baiser la chienne" comme il aimait le dire, abattra sa mère qui trouvera enfin cette liberté salvatrice tant attendue dans la mort, défiant sa fille une dernière fois de son indécente nudité de vieille femme fatigué. Elle prendra Federico par la main, l'enfermera dans la volière du jardin. Plus que jamais il symbolise cet oiseau sauvage, criant son amour pour l'enfant. Federico est heureux jusqu'aux terribles et intenses images finales toute empreinte de cruauté, inexorable drame pour une conclusion glaciale où seule la mort peut libérer les âmes.
Magnifiquement mis en scène, le film est un véritable coup de poing, un film cruel et bouleversant sur le néant de la vie d'êtres sans avenir bercé par la très belle musique de Ennio Morricone d'une absolue tristesse.
A film exceptionnel, distribution exceptionnelle: Mel Ferrer est ce père las et grabataire, Howard Ross incarne le maniaque et Lisa Gastoni dont ce fut l'un des derniers grands rôles est une mère exécrable mais pitoyablement émouvante.
C'est l'extraordinaire Karin Trentephol qui joue Simona, actrice suisse de onze ans, absolument incroyable et fascinante qui porte une bonne partie du film sur ses frêles épaules. Elle est l'anti-thèse de Eva Ionesco, véritable petite poupée blonde sophistiquée au regard pervers dans La maladolescenza, alors que la brune Karin, nouvelle enfant-femme, a la beauté ingrate de l'adolescence pré-pubère, fascinante avec sa coupe au bol, perchée sur ses chaussures à semelles compensées et moulée dans ses mini-shorts, un visage de glace et un regard vide dans lequel ne brille que la lassitude de vivre.
L'immoralità est un des plus incroyables films que l'Italie ait tourné, un film unique aujourd'hui totalement impensable qui continuera longtemps encore à hanter l'esprit du spectateur et témoigne de l'audace dont pouvait alors faire preuve l'Italie en matière de cinéma.