L'ascension d'un jeune réfugié: Richard Ulacia
Son nom restera à jamais lié à celui de Paul Morrissey, l'inséparable acolyte de Andy Warhol, pour qui, par le pur fruit hasard, il joua en 1984 dans Mixed blood / Cocaïne. Il y incarnait Thiago, un jeune dealer brésilien sous l'emprise d'une mère hyper protectrice interprétée par Marilia Pera qui va se lancer dans une véritable guerre contre un gang rival dans le quartier est de Manhattan. Au milieu d'une pléthore de jeunes comédiens hispaniques non professionnels tous plus séduisants les uns que les autres, pour la plupart des danseurs de breakdance choisis par le cinéaste et des inconnus recrutés dans les agences de casting, ce solide brun aux yeux verts irradiait l'écran de sa beauté ténébreuse, ses faux airs de bad boy, sa virilité explosive que Morrissey a su homo érotiser. Si certains le comparèrent à Joe Dallesandro il n'en eut pas la longue et fructueuse carrière puisqu'il disparut très vite après deux années de bons et loyaux services. Il est temps de retracer l'étonnant parcours de celui qui pour l'éternité sera, pour nous cinéphiles amateurs de créatures divines, Thiago, à la ville le ravissant Richard Ulacia.
Né à Cuba en 1964 Richard Ulacia a vu sa vie basculer en 1980 lorsque Fidel Castro alors au pouvoir expulse plus d'une centaine de milliers de cubains considérés comme contre révolutionnaires. A tout juste 16 ans Richard fait partie de ses expulsés qui vont devoir fuir leur pays en direction de la Floride à bord de bateaux de fortune. Ces boat people quittent le port de Mariel, non loin de la Havane, espérant atteindre les côtes américaines. Richard y parviendra et s'installera sur le nouveau continent pour y débuter une nouvelle vie. Il ne parle alors qu'espagnol, son anglais est précaire. Il survit en multipliant les petits boulots jusqu'à
sa rencontre fortuite avec Paul Morrissey. Le célèbre metteur en scène créateur de la trilogie Flesh / Trash / Heat, qui fit de Joe Dallesandro une icône, son icône, une idole gay, s'apprête à tourner son nouveau film intitulé Mixed Blood. Nous sommes en 1984. L'acteur prévu au départ pour interpréter Thiago, un des rôles principaux, vient de se désister. Il s'agissait d'un jeune joueur de football et modèle brésilien, extraverti, que Morrissey avait rencontré à San Paulo un an auparavant. Malheureusement lorsque le réalisateur lui annonce que le tournage est sur le point de commencer, le garçon lui apprend non seulement qu'il joue désormais au Japon mais qu'une vieille loi japonaise interdit tout joueur de football d'avoir
une quelconque relation avec le monde du show-bizz sauf s'il existe un lien entre le foot et la raison pour laquelle il se retrouve devant l'objectif. Morrissey doit lui trouver au plus vite un remplaçant. Son agent de casting lui parle alors d'un jeune cubain venu se présenter à son bureau. Il s'agissait de Richard. La première impression de Morrissey fut assez négative. Richard semblait avoir un grave problème d'élocution, Son anglais était catastrophique, incompréhensible. Quelques jours plus tard toujours sans acteur l'agent rappelle Morrissey qui insiste pour qu'il revoit Richard. Il est important de signaler qu'à cette époque il était
rarissime qu'un metteur en scène recherche de jeunes hispaniques. Le cinéma n'en réclamant pas il n'existait pratiquement aucune agence où trouver ce type de comédien. Morrissey accepte de le recevoir une seconde fois et s'aperçoit très vite que son anglais est bien meilleur. Richard avoue qu'il était simplement terrifié, si nerveux qu'il n'arrivait pas à parler correctement. Plus détendu cette fois malgré un très fort accent Richard séduit le cinéaste qui lui présente le personnage qu'il devra jouer, un fils dominé par sa mère, La Punta, une femme forte à la tête d'un gang de dealers brésilien dans un quartier de New
York. Si pour Morrissey son très fort accent est un véritable atout pour le film la beauté de Richard alors âgé de 20 ans en est un autre. D'une certaine manière il lui rappelle Joe Dallesandro à ses débuts. Son charme, son physique ambigu pourrait faire de lui une nouvelle icône gay et surtout parfaitement coller à l'ambivalence du personnage de Thiago. L'homosexualité comme la bisexualité ont toujours été un important facteur dans l'oeuvre du cinéaste. Si l'aspect homosexuel est moins présent dans Mixed blood pour la simple raison qu'elle n'a pas vraiment sa place dans un film de gang l'ambiguïté sexuelle est bel et bien au rendez-vous comme est flagrant l'homo érotisme que dégagent tous les jeunes acteurs
soigneusement filmés par Morrissey qui avoue également avoir été très touché par l'histoire personnelle de ce réfugié issu des boat people de Mariel.
A la vision de Mixed blood, seul film de son auteur à avoir bénéficié d'une sortie mainstream sur le territoire américain, il est évident que le choix de Richard est parfait. Non seulement son jeu plutôt professionnel bluffe le public américain qui pense qu'il s'agit d'un véritable comédien malgré un anglais désastreux mais sa beauté, son charme latino crève littéralement l'écran. Comme ceux incarnés par Joe Dallesandro jadis Thiago restera un des personnages forts de la filmographie de Morrissey, un de ces caractères qui marquent les
esprits par sa seule présence à l'écran mais également par le trouble qui émane de sa personne, un trouble que capte l'objectif du metteur en scène, sublimant l'ambiguïté du jeune cubain
A 20 ans Mixed blood fait de Richard une des nouvelles idoles américaines. Le petit réfugié débarqué sur la côte est quatre ans plus tôt est désormais sous les feux des projecteurs. En 1985 il tourne son second film, une production allemande réalisée par Dieter Schidor Kalt in Kulumbia / Cold in Colombia, une obscure pellicule underground qui suit l'itinéraire d'un allemand venu faire un reportage sur le trafic de cocaïne en Colombie. En fait il a quitté
l'Allemagne pour retrouver son ami qui jadis l'a trahi et ainsi se venger. Tourné sous forme d'un documentaire vérité Kalt in Kolumbien, tourné en Colombie, est avant tout un film qui tente à sa façon de soulever les problèmes du pays en parlant d'économie sociale, de politique, de justice, des lacunes du gouvernement, du trafic de drogue et des dealers dans la capitale mondiale de la cocaïne mais aussi de sexe, d'homosexualité. Richard y interprète un jeune dealer colombien.
Ce sera l'ultime film de Richard qui par la suite va se consacrer un temps à une autre activité,
celle de mannequin. Sa beauté latine, son visage de bad boy au regard sombre, son corps aux muscles saillants, ses longs cheveux de jais, ne pouvaient laisser indifférent les magazines de mode. Richard fait les belles pages de Rolling Stones en mai 1986 en posant, plus sexe que jamais, pour une marque de jean et quelques clichés d'un homo érotisme foudroyant. Il y incarne la beauté virile brut, un tough guy version salopette ou guitar hero qui n'en finit plus de nous faire fantasmer. Ce sera sa dernière apparition, son ultime exposition sous les feux de la rampe.
Membre à part entière de la grande famille de ces stars éphémères qui le temps d'un été ou deux ont brillé de tout leur éclat sauvage le jeune cubain qui personnifia si bien le garçon des rues va disparaitre de la vie publique après avoir été une des . Si on n'entendra plus jamais parler de Richard qui semble s'être évaporé du globe il restera à nos yeux un des jeunes acteurs hispaniques les plus séduisants que le cinéma des années 80 nous ait apporté.
Souhaitons lui tout simplement que sa vie loin des projecteurs et des objectifs se soit aussi bien déroulée que lors de son arrivée quelques années plus tôt en Amérique.