Maniaco Deprebis

Johan, second film du cinéaste Philippe Vallois, est en fait un portrait en creux de "Johan", un film qui raconte une histoire vraie au moment où s'en déroule le tournage. On est ici face à un essai qui mêle documentaire et fiction, une enquête-reportage sur le vif, et le film à proprement parlé qui s'emboitent plus ou moins bien donnant à l'ensemble un coté chaotique qui pourtant ne laisse pas indifférent.
Philippe Vallois y mélange pudeur et narcissisme, étalant autant d'acteurs qu'il y a de facettes à ses personnages. Ce narcissisme le pousse même à apparaitre à l'image et exposer sa mère qui joue son propre rôle sous l'objectif de sa caméra. Cette femme est une mère dont le fils est homosexuel. Décontractée, elle se laisse interviewer, en total décalage avec son époque. Rappelons que nous sommes en 1975. Elle apparait en effet comme une maman libérée qui accepte l'homosexualité de son fils et par conséquent ses choix et sa vie. "Fais ce que tu veux, j'approuve. C'est honnête et puis c'est à la mode même si je dois être la seule à penser ça surtout en province. Ici à paris c'est peut être différent."
Honnête le film l'est en effet. Jamais voyeur, jamais complaisant, il nous entraine dans le Paris gay et les lieux de drague, ces rencontres prises sur le vif aux Jardins des Tuileries, immense lieu de rencontres homosexuelles et baisodrome publique, Stalingrad, les parcs et les toilettes publiques, le sauna... le jour, la nuit. Voilà Paris et sa vie homosexuelle.
Vallois nous présente des jeunes gens comme nous tous qui acceptent de jouer le jeu et de se livrer devant la caméra quand celle ci ne surprend pas deux sodomites dans des WC publiques, filmant leurs pieds dans l'entre-jour, laissant deviner tout de leurs activités coupables.
Il nous offre une galerie de personnages parfois surprenants, parfois attachants: le jeune sadomasochiste et sa vision de la violence corporelle, le jeune légionnaire qui nous fera assister à une belle séquence de domination virile dans le désert, l'étudiant... sans oublier l'étonnante amie du réalisateur, prototype même de la "fille à pédé" enjouée et pleine d'allant.
Alternant noir et blanc et couleur, Johan nous offre également de très belles scènes de sexe toujours pudiques et soignées, parfois artistiques, comme celle où Philippe fait l'amour au pâtissier noir. Vallois réalise là une magnifique scène de sexe interracial, audacieuse pour son temps, où le noir et le blanc des corps se mêle à celui de l'image ainsi qu'au blanc immaculé des draps. La séquence renvoie à la plus pure symbolique homo-érotisante des gravures des années 50.
Sans jamais franchir la barre du X, Johan n'est pas pour autant dépourvu de moments glauques et graveleux. Vallois nous fait découvrir la "baise" sauvage sur les lieux de drague, les rencontres au coin d'une rue où on finit enlacés sur un lit, la toilette intime après une après-midi d'amour. Ceci ne signifie pas que Johan est dénué d'humour. "Tu m'as laissé un beau cadeau" lance un jeune homme après avoir quitté un de ses amants d'une nuit alors qu'il s'arrache du pubis quelques hôtes indésirables avant de s'asperger de poudre tout en exécutant une chorégraphie endiablée sur fond de musique classique.
Reportage piquant sur la vie et la drague gay dans le Paris des années 70, fiction parfois touchante, film "mode" Johan est une oeuvre tout à fait attachante. Film empreint d'amour, parfois narcissique, dédié à celui qu'on aime, l'Unique, l'Irremplaçable, il offre une vision assez juste de l'homosexualité et de son coté libertin. Vallois récidivera quatre ans plus tard avec l'excellent Nous étions un seul homme.