Cerimonia dei sensi

Autres titres: Cérémonie des sens
Réal: Antonio D'Agostino
Année: 1978
Origine: Italie
Genre: Fantastique
Durée: 114mn
Acteurs: Franco Pugi, Ornella Grassi, Eva Robbins, Luca Miliani, Camilio Bezancon, Mario Monetti, Piero Fraticelli, Sergio Fiore Pisapia, Valerio Fiorino...
Résumé: Un jeune accidenté de la route git inconscient sur son lit d'hôpital. Son subconscient le projette dans un univers où il est le nouveau Messie. Il va y vivre de terribles aventures dans une société décadente et corrompue jusqu'à sa crucifixion...
Premier film du réalisateur pornocrate Antonio D'Agostino ce dernier s'est souvenu ici du Salo de Pasolini dont il ne fait que nous livrer sa vision très personnelle et violemment blasphématrice.
Oeuvre férocement blasphématrice, Cérémonie des sens nous plonge dans un monde à la fois de rêve et de cauchemar à travers le voyage d'un jeune accidenté de la route dans un univers onirique où son subconscient le projette, étendu sur son lit de souffrance.
Aux confins du réel et de l'imaginaire D'Agostino ne cesse de jouer avec ce qui est ou n'est pas. Le film n'est jamais qu'une suite de tableaux obscènes et provocateurs tous empreints d'une incroyable force religieuse et hérétique. On assiste au parcours de cette réincarnation du Messie aux prises avec une société totalitaire et fasciste. Il représente un danger pour ses dirigeants qu'ils soient politiques, juridiques ou religieux qui cherchent sa destruction afin de continuer d'exercer la répression, la corruption sur le peuple soumis tout en s'adonnant aux pires excès orgiaques.
Ce pourrait être une revisitation de la Bible et du calvaire du Christ transposé à notre époque dans la société fasciste d'un Salo moderne ou tout simplement Salo transposé à notre époque. Les adolescents victimes de Pasolini seraient le jeune peuple, les bourreaux et hauts dignitaires SS les dirigeants de l'Italie d'aujourd'hui, l'Eglise et la haute bourgeoisie.
S'ensuit alors un film bizarre, envoûtant, irracontable composé d'une série d'images et de scènes toutes plus extravagantes les unes que les autres, de séquences à la fois grotesques et immondes dont ce Christ est le lien.
D'Agostino se livre à un jeu obscène, étalant scatophilie, urophilie, orgie, hérésie, bestialité jusqu'au supplice christique final sans oublier la violence de certaines scènes telles l'immolation quasi surréaliste qui ouvre le film, le passage à tabac d'un jeune voyou ou la brutalité de la crucifixion qui clôture le film.
On retiendra entre autres perversions l'orgie scatophile menée par une vieille femme obèse ordonnant à ses invités, cardinaux, officiers, juges et autres autorités, de déféquer et d'uriner sur le sol de son salon. Cette véritable fête excrémentielle, carnaval obscène et coprophile, défilé de culs se laissant aller en une indécente sarabande se terminera par l'arrivée d'un groupe d'adolescents nus tenus en laisse, scène reprise à Salo, contraints de s'ébattre sur le sol couvert de merde et d'urine.
Dans la continuité de cette orgie suivra celle, toujours inspirée par Salo, organisée par les dignitaires où un groupe de jeunes filles tenant un vase de nuit devront laver les pieds des invités (on pense ici à la scène des apôtres de la Bible). Le bain se transforme vite en décadentes bacchanales qui se termineront par une séance de bestialité. Les jeunes filles devront se nourrir de morceaux de viandes jetés à terre. On ne peut que songer à la séquence des boulettes de polenta de Salo une fois de plus.
A cela s'ajoute le grotesque d'une pseudo naissance où d'un vagin géant gonflable jaillit une hermaphrodite qui s'adonnera plus tard aux plaisirs saphiques.
Il est clair que D'Agostino tente de revisiter à sa façon la Bible. Le Messie est dans notre société le malvenu, l'être à abattre comme il le fut jadis, celui qui représente une menace pour le pouvoir en place, fier de sa corruption et de son autorité, vivant dans la luxure et le luxe.
Le réalisateur y reprend certains passages de la Bible qu'il transforme à sa guise, véritable blasphème envers l'Eglise sur laquelle il crache comme crache cette maquerelle obèse sur le corps de ce Messie supplicié. "Tu ne m'inspires que cela" siffle t-elle, triomphante.
Cérémonie des sens se veut également une sorte de miroir de la corruption du pouvoir, c'est le triomphe du fascisme, la mort de la pureté et le retour de l'Homme ou plutôt le bas peuple au rang d'animal avant sa destruction comme jadis dans Salo.
Cérémonie des sens est un étrange mélange des deux, parfois maladroit mais toujours fascinant. D'Agostino fait preuve pour une fois d'un réel sens de l'onirisme qui embrase par instant le surréalisme et d'un certain talent comme entre autres passages ce Christ courant dans ces églises et salles aux décors fabuleux, ces enfants en aube blanche qui tels de petits anges lancent des pétales de fleurs, ces cardinaux et religieux riant de toute leur bouche édentée comme de terribles juges lors des ébats du Christ et de cette femme qu'on pourrait voir comme une potentielle Marie sous H sur un parterre de bougies scintillantes, les enfants courant dans les nefs telle une envolée d'angelots.
Peut être plus maladroites mais tout aussi empreintes de poésie sont ces scènes comme celle dite de la guérison sur une immense place blanche déserte, celle où une horde d'aveugles sortent comme de dessous Terre telle une meute de zombis ou l'hypnotisante résurrection d'un mort sortant de sa dalle tombale. Il émane de cette séquence une sorte de tension sourde, une indicible angoisse.
Les scènes de sexe sont par contre plus faibles et font quelque peu retomber ce coté envoûtant par leur manque de conviction surtout et le coté parfois un peu trop amateur de l'ensemble, terme ici point insultant, peu aidé par des dialogues ridicules.
Le final totalement anticlérical, sorte de trip hallucinogène, conclura le film de façon impressionnante avec la reconstitution de la crucifixion. D'Agostino se déchaine sur son faux Messie, interférant sans cesse comme dans un tourbillon de folie, rêve, cauchemar et réalité. Les personnages s'interchangent à satiété sous les hurlements de ce Christ nu aux bords de l'aliénation, monté sur la croix par des prêtres ricanants qui se transforment en infirmiers le mettant en camisole de force ou en policiers miliciens le matraquant. Il se retrouve alors seul chez lui face à son miroir jusqu'à l'image de cette hideuse sorcière qui le projettera à nouveau dans l'enfer des supplices avant le terrible dénouement, véritable no happy end pour cet accidenté de la route ayant vécu dans son coma ce voyage mystico-cauchemardesque.
Oeuvre obscure totalement à part, quasi unique dans l'euro-trash italien, Cerimonia dei sensi n'est jamais qu'une vision personnelle de l'Italie d'alors, pays que le Christ compare à des latrines, imagé par la séquence de l'orgie scatophile. C'est cette merde dont les dirigeants et la bourgeoisie aiment se repaitre et dans laquelle vit et se perd le peuple, une allégation biblique où l'innocence et la pureté ici représentées par ce Messie sont vouées à la mort. Le Christ sera d'ailleurs poignardé dans sa propre demeure, l'Eglise menteuse et corrompue.
Maladroit certes puisqu'on reste dans le cadre d'un pur cinéma d'exploitation Cerimonia dei sensi ne laissera cependant pas indifférent les plus récalcitrants de par son étrange onirisme, certaines scènes étonnantes voire dérangeantes et une partition musicale magnifique, à la fois planante, angoissante et envoûtante, mélange de musique synthétique et religieuse d'où s'échappent des airs qui par instant rappellent Pink Floyd.
L'interprétation demeure plutôt moyenne. On ne retrouve au générique quasiment aucun nom connu. Franco Pugi a été choisi très certainement pour sa ressemblance avec le Christ. On retrouvera perdu(e) dans la distribution une toute blonde Eva Robbins créditée ici sous le simple nom de Eva la plus fameuse transsexuelle italienne que D'Agostino réutilisera notamment dans Eva man avant que Dario Argento ne la rendre célèbre avec Ténèbres. Une petite curiosité sur laquelle l'actrice déteste revenir, considérant ce film comme un des pires qu'elle a tourné à ses débuts.
Le version française éditée autrefois en VHS fut tronquée de quelques bonnes vingt minutes. L'amateur se rabattra donc sur la version italienne fort heureusement intégrale d'une durée de 114 belles minutes.