Tisa Farrow: L'ombre d'une grande soeur
Dans la grande famille Farrow, celle à qui on pense de prime abord c'est évidemment Mia mais les plus pertinents d'entre vous évoqueront d'un air mutin Tisa, la petite soeur de Mia, qui durant l'espace d'une dizaine d'années connut un succès d'estime aussi bien au petit comme au grand écran. Mais est ce vraiment étonnant lorsqu'on est issue d'une aussi prodigieuse famille?
Glorifiée par les fans de cinéma d'horreur grâce à son rôle dans l'inoubliable L'enfer des zombis de Lucio Fulci, on oublie un peu trop souvent que Tisa a également participé à bon nombre de films tout aussi intéressants au détriment de sa petite carrière transalpine. Il est grand temps de revenir un peu sur le passé oublié de cette talentueuse actrice trop méconnue du public.
De son vrai nom Theresa Magdalena Farrow Tisa vit le jour le 22 juillet 1951 à Los Angeles. Elle est l'une des sept enfants des célèbres acteurs hollywoodiens John Farrow et Maureen O'sullivan, la plus célèbre étant bien sûr Mia.
Bercée toute son enfance par le monde du cinéma, Tisa ne pouvait y échapper. C'est à l'âge de 19 ans en 1970 qu'elle fit ses grands débuts sur les écrans dans une dramatique post-woodstockienne américano-canadienne obscure et marginale quasiment perdue aujourd'hui Homer de John Trent deux ans après que sa soeur Mia ait connu la gloire internationale avec le film de Roman Polanski, Rosemary's baby. La machine est alors lancée et c'est René Clement qui en 1972 lui offre son second rôle dans La course du lièvre à travers les champs aux cotés de Jean-Louis Trintignant et Lea Massari.
L'année suivante, on la retrouve dans une adaptation étrange aux limites du fantastique de Cendrillon, le film de James B. Harris Some call it loving / Sleeping beauty. Le conte de Perrault est ici transposé dans notre monde moderne où un musicien de jazz lors d'un carnaval est confronté à une femme tombée dans un coma profond. Il réalisera très vite qu'elle n'est pas la seule et devra faire face à cet étrange mystère.
On retrouve Tisa en 1974 dans Only god knows, une comédie de Peter Pearson. En 1976, c'est Alberto Di Martino qui fait appel à son talent pour jouer la jeune professeur de piano aveugle dans son polar particulièrement musclé Blazing magnum / Una magnum special per Tony Saita / Special Magnum dont la distribution est particulièrement riche puisque Tisa y côtoie Martin Landau, John Saxon, Carole Laure, Stuart Whitman ainsi que Gayle Hunnicut.
Cet excellent mélange de polizesco, de polar à l'américaine et de giallo sera suivi en 1978 par un téléfilm d'horreur de Robert Day The initiation of Sarah, un scénario conventionnel pour un film sans surprise qui lorgne vers Carrie. Tisa y a pour partenaire Shelley Winters, Kay Lenz et Morgan Fairchild.
Cette même année, elle est au générique de Fingers / Mélodie pour un tueur de James Toback aux cotés de Harvey Keitel. Sombre et inquiétant, la fragile beauté de Tisa tranche avec la froideur de ce film poisseux et pessimiste qui met en scène un écorché vif, suicidaire, aux pulsions sadomasochistes incapable de la moindre émotivité face au monde qui l'entoure.
La jeune actrice va alors se retrouver le plus souvent dans des oeuvres violentes où elle incarne une jeune femme à la fois forte et fragile. Ses grands yeux de poupée, son teint pâle et sa douce sensualité, cette innocence qu'elle personnifie, en font une victime toute désignée mais toujours triomphante. Avec Search and Destroy / L'exterminateur de William Fruet en 1979, on retrouve le même schéma. Tisa est la douce fiancée d'un ancien soldat du Vietnam décidé à faire auto-justice qui se fera kidnapper par ses implacables ennemis.
Elle enchaine avec un téléfilm retraçant l'affaire Patty Hearst, The ordeal of Patty Hearst de Paul Wendkos. L'année 79 et particulièrement riche pour Tisa puisqu'elle ne cesse d'enchainer films sur films. C'est son beau-frère Woody Allen qui va enfin lui donner la chance d'apparaitre dans de grands films en lui demandant de participer à ses deux prochaines oeuvres Manhattan et Winter kills. Même si elle n'y a que de petits rôles, Tisa y fait éclater tout son talent de comédienne prouvant quelle grande actrice elle peut être.
En effet, jusqu'alors Tisa n'avait tourné que dans des séries B et autres téléfilms certes souvent intéressants mais peu ambitieux. Force est d'admettre que pour les metteurs en scène Tisa vivait dans l'ombre de Mia et ne serait jamais que la petite soeur de la grande star. La chance offerte par Woody Allen ne se reproduira malheureusement plus.
A l'aube des années 80 elle amorce un début de carrière en Italie, une phase qui pour bien des comédiens américains fut souvent le commencement de la fin, un pas vers la tombe professionnelle. C'est Lucio Fulci qui fait appel le premier à sa beauté pour être l'héroïne principale de L'enfer des zombis qui ouvre ainsi la période transalpine de Tisa. Le film fera de la frêle actrice à l'étrange regard en partie dû à son oeil de verre une nouvelle icône du cinéma d'horreur transalpin. Cette période durant laquelle elle apparait exclusivement dans des films d'horreur sanglants renforce cette image de femme fragile qui se retrouve dans des situations extrêmes. Ce n'est pas Anthropophagous de Joe D'Amato qui prouvera le contraire puisqu'elle en est la principale protagoniste aux cotés de Zora Kerowa. Joe D'Amato avait connu Tisa lors du tournage de Special magnum puisqu'à cette époque elle avait une liaison avec son frère électricien, Fernando. Zora garde un agréable souvenir de Tisa, celui d'une femme discrète qu'on prenait souvent pour sa soeur puisque lors du tournage elles arboraient toutes deux quasiment la même coiffure.
En 1980 Antonio Margheriti la projette au coeur de l'enfer du Vietnam aux cotés de David Warbeck dans Héros d'apocalypse / L'ultimo cacciatore. A cette époque, Tisa sortait avec un des producteurs, une des raisons pour laquelle elle décrocha ce rôle. Margheriti ainsi que ses partenaires gardèrent d'elle une image quelque peu mitigée, celle d'une femme de caractère, grossière, toujours prête à égaler la gente masculine et faire des concours de qui boira le plus de bière. A ce jeu plutôt trivial peu d'hommes arrivaient dit-on à la battre. Héros d'apocalypse sera pour l'actrice son chant du cygne. Choisie pour être l'héroïne de Wild beasts / Les bêtes féroces attaquent elle se désiste au dernier moment et Lorraine De Selle la remplacera au pied levé. Tisa qui était alors mariée et mère de famille, retourne à New-York. Certains seront étonnés mais ravis de la voir un temps au volant d'un taxi, une activité qu'elle exerçait déjà parallèlement à sa carrière d'actrice. Malheureusement le destin va s'acharner sur Tisa et le clan Farrow. Si Tisa n'a jamais été très proche de Mia, un drame va encore plus l'éloigner de sa soeur lorsque le fils de Tisa, Jason, décide de partir combattre en Irak. Féroce militante Mia n'acceptera jamais cette décision. Lorsque le jeune soldat meurt, le fils de Mia, très proche de son cousin, se suicidera en se tirant une balle dans la tête. Mia mettra cette mort sur le compte de Tisa à qui elle ne cessera de reprocher d'avoir laissé partir son fils au combat. Le deuil frappera à nouveau Tisa puisqu'elle perdra ses deux filles, l'une emportée par le Sida, l'autre par un cancer.
Aujourd'hui septuagénaire Tisa, après toutes ses épreuves, s'est retirée dans le Vermont en 1994 où durant vingt-sept ans elle exerça le noble métier d'infirmière. Elle s'éteint paisiblement dans son sommeil le 10 janvier 2024 à tout juste 73 ans.
Eternelle victime, belle et si douce, dont le regard vert irradiait l'écran Tisa continuera à personnifier la fragilité et l'innocence.
A nos yeux, Tisa, tu es aussi grande que ta tout aussi divine grande soeur!