Theresa Ann Savoy: Le mystère de l'anticonformisme


Un nom indissociable des films les plus sulfureux d'Italie, un visage à la beauté aussi androgyne qu'énigmatique, une mine boudeuse à la Brigitte Bardot passée aujourd'hui à la postérité, ex-lolita d'origine anglaise entourée de mystère, il est impossible de ne pas évoquer Theresa Ann Savoy lorsqu'on se dit amateur de cinéma de genre italien. Fascinante femme-enfant elle eut une assez courte carrière pourtant, étalée tout de même sur plus de dix ans dans laquelle cette jeune actrice n'interpréta que des personnages d'une extrême force, démontrant à quel point ses talents d'actrice étaient indiscutables même si peu de réalisateurs les ont remarqué bien plus intéressés par sa facilité à se déshabiller. Retraçons aujourd'hui la carrière de la plus ravissante des bambina, Theresa Ann Savoy.
Véritable énigme vivante, ex-égérie de Tinto Brass qui ne tarit pas d'éloges à son égard, Theresa Ann Savoy parfois créditée Teresa Ann Savoy est née à Londres dans le quartier de Chelsea en 1956. Elle n'a que 17 ans lorsqu'elle quittent le domicile parental et part pour l'Italie en compagnie d'un photographe qu'elle venait de connaître. En litige avec ses parents, Theresa, peu aventurière et terrorisée à l'idée de se tromper, fait pourtant le grand saut. Elle vit de façon bohème dans une communauté hippie avec Carlo, un des amis de ce photographe. Theresa y apprend à se montrer nue et vit de petits boulots comme secrétaire. Mais elle se sent enfermée et ne rêve que de liberté. Carlo l'utilise comme modèle pour des photos destinées à Playmen. Theresa, Terry pour les intimes, étant mineure elles ne peuvent donc être publiées. Pourtant un jour, une d'entre elles sera éditée. Sa beauté étrange, son regard tendre un brin énigmatique ne passent pas inaperçus.
Elle a tout juste 16 ans mais Theresa s'invente toute une aura de mystère quant à sa vie privée et les rumeurs vont bon train. La machine est donc lancée, les médias s'intéressent au mystère Terry qui refera parler d'elle en posant à nouveau nue pour d'autres revues dont le fameux Playboy. Tout naturellement le cinéma lui fait de l'oeil. C'est en 1974, âgée tout juste de 17 ans, qu'elle fait ses grands débuts grâce à Alberto Lattuada qui lui offre le rôle principal de Le faro da padre / La bambina. Si au départ le rôle était attribué à une autre actrice, c'est Theresa qui le décroche à sa surprise en rentrant d'un voyage aventureux au Maroc. La bambina est un film dur et son personnage exceptionnel projette Theresa sur les devants de la scène. Oeuvre à controverse, La bambina raconte l'histoire de Clothilde, adolescente attardée dont le cerveau s'est arrêté au stade de l'enfance mais pas le corps, provoquant moultes troubles autour d'elle. Version déformée de la Lolita, Theresa brille littéralement par son talent d'actrice dans ce personnage difficile. Son talent y est d'autant plus remarquable que c'est là son tout premier film.
Elle devient la nouvelle lolita du cinéma italien ce qu'elle a du mal à comprendre alors. Theresa se trouve laide, elle souffre déjà de ce complexe qui ne la quittera jamais. Ajoutons à cela des séquences scabreuses dont elle a honte et qu'elle n'aurait pas tourné si elle avait pu dire non et on comprendra aisément la vision qu'elle eut d'elle alors.
Véritable succès en Italie, le talent et la beauté vénéneuse de Theresa ne pouvait faire d'elle qu'une nouvelle star du ciné italien. Son charme ne pouvait quant à lui qu'attirer l'attention de Tinto Brass, grand spécialiste de la femme, qui lui offre son deuxième grand rôle dans le sulfureux Salon Kitty aux cotés de toute une pléiade de stars telles que Ingrid Thulin et Helmut Berger. Tinto Brass l'avait remarqué dans La bambina mais il avoue qu'au départ, malgré son talent et sa beauté, il ne l'avait pas choisie. C'est Theresa elle même qui a insisté, allant le trouver plusieurs fois de suite, en se pavanant et montrant ce qu'elle savait faire. Finalement, elle réussit à convaincre le grand réalisateur qui l'a pris pour jouer Margherita. Très inspiré du succès de Portier de nuit et Cabaret, Salon Kitty restera comme un des meilleurs exemples du film nazi italien, nouveau rôle fort pour Teresa qui y joue une jeune fille dévouée au nazisme qui va tomber amoureuse d'un soldat désillusionné qui veut déserter. Bordel, prostitution, espionnage sur fond de nazisme, Salon kitty est un film sur la décadence fasciste rempli de scènes de sexe graphique, fétichisme et perversion dans lesquelles Theresa ondule avec grâce.
Elle enchaine avec Vizi Privati pubbiche virtù / Vices privés vertus publiques du yougoslave Miklos Jancso, autre rôle difficile pour l'actrice qui cette fois se voit incarner une hermaphrodite. Affublée d'un faux sexe, Theresa y est une fois de plus nue, une nudité quasi constante qui ne semble pas la déranger pour le moins du monde. Elle a toujours vécu sa sexualité librement, sans honte ni tabou et cette facilité à se montrer nue désarme et enchante le public. Theresa garde un souvenir pénible de ce film notamment dû à ce faux pénis qu'elle devait se coller sur la peau. Jouer une hermaphrodite la mettait mal à l'aise et selon elle le film souffre de temps à autre de son obscurité scénaristique. Elle accepte ce personnage car à cette époque, tout va mal dans sa vie sentimentale et dans la communauté où elle vit. Partir lui fait oublier ses déboires. Pourtant malgré sa popularité, Theresa demeure une énigme. On la dit perverse, étrange, anticonformiste mais elle s'en moque. Rien n'émane de sa vie privée et les seules informations sur la Belle proviennent de Tinto Brass lui même lors du tournage de Salon Kitty: Theresa était une fille délicieuse, délicieuse, délicieuse.. Très libre, ingénue et virginale. Quand elle était nue c'était comme si elle portait une robe de Yves St Laurent, une élégance unique à être nue. A l'époque de Salon Kitty malgré son âge avancé, je ne pense pas qu'elle avait déjà eu ses menstruations. Quand elle les a enfin eu, elle s'est de suite mariée et elle est tombée enceinte. Ceci fait beaucoup rire Theresa aujourd'hui puisque ce n'est bien sûr que pure légende.
Paradoxalement cette même année , Theresa déclare lors d'une interview qu'elle aimerait pouvoir jouer dans un film dirigé par une femme afin de ne pas avoir à se déshabiller et prouver ainsi qu'elle peut être autre chose qu'un objet sexuel.
Elle enchaîne pourtant en 1976 avec Caligula, film qu'on ne présente plus, toujours sous la houlette de Tinto Brass, certainement le plus beau rôle de sa carrière. Insolente, impudique, elle y est Drusilla la soeur de l'empereur fou joué par un hallucinant Malcolm Mc Dowell, dont elle est follement éprise, un amour proche de la folie auquel la maladie et la mort mettront un terme. Ce rôle au départ aurait du échoir à Maria Schneider, la vedette du Dernier tango à Paris. Après qu'elle se soit désistée au vu des scènes de nudité trop choquantes pour elle, le réalisateur eu donc à nouveau recours aux charmes de Theresa. Elle garde un très bon souvenir du tournage, un véritable rêve pour elle, perdue au milieu de ces décors gigantesques. A cette époque, Theresa vit toujours dans une communauté hippie en Sicile, une maison sans eau ni électricité, un paradis en été, un enfer l'hiver. Malgré son succès et sa popularité, Theresa préfère cette vie de Bohème à la vie d'artiste, évitant le show-biz. Elle ne lie aucun lien spécial avec ses partenaires au cinéma. Il y a le travail et la vie privée dit-elle. Sa timidité et son coté réservé font le reste. Caligula sera malheureusement son dernier grand rôle. Theresa ne trouvera plus l'occasion de prouver qu'elle peut faire autre chose si ce n'est dans son film suivant. Dissimulée sous une perruque brune, elle fait en 1977 une belle apparition dansLa tigre è ancora viva: Sandokan alla riscossa! de Sergio Sollima, l'adaptation cinématographique de la célèbre série TV Sandokan tigre de Malaisie, un des plus gros succès de l'année 1976. Aux cotés de Kabir Bedi elle joue le rôle de Jamilah, une jeune malaisienne transformée en guerrière par amour pour le pirate. Elle est également la même année au générique de la série française La chartreuse de Parme. Si Theresa continue à mener une vie de gitane, elle traverse aussi à cette époque de graves problèmes de santé qui ont débuté lors du tournage de Caligula. Elle est anorexique et passe son temps à vomir ce qu'elle mange ce qui la fatigue beaucoup. Elle fait alors une pause.
Elle ne reviendra au cinéma qu'en 1980 avec la splendide dramatique de Aldo Lado La disubbidienza / La désobeissance face à une distribution de choix dont Marc Porel, Adolfo Celi, Stefania Sandrelli dont elle fut un temps l'amie, Marie-José Nat et Jacques Perrin sans oublier le jeune Karl Zinny qu'elle n'eut pas le temps de véritablement connaître. Karl était assez timide et beaucoup plus jeune qu'elle ce qui ne facilita pas le dialogue se souvient-elle. Dans le contexte de l'après seconde guerre mondiale elle joue Edith, la blonde soeur incestueuse de Karl Zinny, une jeune fille impudique et dévergondée qui va attiser bien des jalousies.
C'est surtout la télévision qui fera appel à elle par la suite puisqu'on la verra dans la mini-série Capitaine X de Bruno Cantillon avec Pierre Malet ou encore Ragazzo Di Ebalus de Giuseppe Schito en 1984.
On ne la reverra pas avant 1986 pour une apparition dans D'Annunzio de Sergio Nasca avec Robert Powell, Florence Guérin, Eva Grimaldi et Stefania Sandrelli et enfin une dernière fois dans La donna del traghetto de Amedeo Fago. Elle fit ce film à titre gratuit via son ex-mari qui lui offrit ce court rôle. On mentionnera aussi la mini-série italienne Rose de Tomasso Sherman avec Nino Castelnuovo.
Theresa disparaitra ensuite des écrans et n'est plus jamais réapparue. Ce ne fut pas un choix dit elle, ce fut ainsi tout simplement. Theresa n'a jamais su se vendre ou insister afin d'avoir des rôles. Sa carrière s'est donc éteinte d'elle seule. Mais elle ajoute qu'elle était aussi fatiguée de cette vie. Elle venait d'avoir son second fils et a voulu se consacrer entièrement à lui et à son éducation. Cette disparition a renforcé le mystère Theresa. Pourtant, elle n'a jamais dit non à une éventuelle interview ou réapparaitre sous les lumières. On la disait à jamais disparue alors qu'elle vit paisiblement et dans le plus parfait anonymat à Milan depuis des années. Elle a une vision très claire et intelligente sur son passé d'actrice qu'elle ne renie en aucun cas même si aujourd'hui elle confesse qu'elle n'aurait pas tourné certaines scènes dont elle a un peu honte, d'autant plus qu'elle ne supporte toujours pas de se voir à l'écran. Elle avoue n'avoir vu aucun de ses films mais elle aurait bien aimé faire le doublage anglais de Caligula tant elle trouve sa doublure affreuse. Malheureusement personne n'est venue la chercher alors. Toujours aussi belle et mystérieuse, tendre, simple et anticonformiste, Theresa ne dirait pas non à une proposition de film à condition ne plus apparaître nue à l'écran. Malheureusement son voeu n'aura pas pu être exaucé. Teresa s'est éteinte le 9 janvier 2017 à Milan emportée par un cancer à tout juste 61 ans laissant derrière elle un époux, leurs deux enfants et des millions d'admirateurs qui jamais ne l'oublieront.
Adieu éternelle bambina.